Bertrand Lavau
Quartier la Gandole
26740 Savasse
7 octobre 2000

7 octobre. Dix ans que la tête de papa est retombée sur sa poitrine.


Papa, votre grand-père. Maudit tabac, maudit cancer !
" Il ne tient que par la volonté ! " disaient quelques jours plus tôt les infirmières de l'Hospitalisation à Domicile à votre tante Florence.
Georges dans son bueau à Sciences Po.

Ce bébé tout bleu, inanimé à la naissance, on l'avait déposé dans un haricot sous le lit de l'accouchée. On ne s'occupait plus que d'elle, de la sauver et de l'entourer. Puis le calme revint. Une demi-heure plus tard, une ménagère ou aide-soignante jeta par hasard un regard sous le lit, et vit un bébé fort calme et rose, qui suçotait : " Mais ! Il est vivant, ce bébé ! ". Un miracle du climat de Madagascar en hiver austral.
Un an plus tard, dans la photo prise à Diego Suarez, votre grand-père arborait un grand sourire sur sa chaise haute. En nous montrant la photo, il attira notre attention sur " toute l'indépendance et tout l'esprit qui se dégageaient de ce gros orteil redressé à l'écart des autres orteils ".

Esclave de ses sentiments de culpabilité, papa cherchait à se faire pardonner d'être vieux. En juillet, il consacra plus d'une heure de ses dernières forces à me soutenir que sa femme l'aimait, et que ma femme m'aimait ! Cela faisait dix ans qu'il était trompé et bafoué à tire la Rigault.... En septembre, il la supplia de plutôt venir regarder la télévision avec son amant ici, mais ne plus le laisser si seul...  Vaine supplique, évidemment.

Quand j'étais jeune homme, en fin d'adolescence, papa promit qu'ils seraient des grands parents vrais et présents, exactement ce que sa parenté à lui n'avait jamais su faire. On n'a jamais vu papa tenir une promesse au long terme. Ce n'est qu'après avoir été foutu à la porte de chez lui par sa femme et ses jumelles, et recueilli par votre tante, qu'il a enfin été proche de ses petits enfants, et encore, seulement la moitié. De vous trois, seule Audrey dans sa câlinerie d'enfant, lui donna des joies inespérées dans ses derniers jours.

Une culpabilité : n'avoir rien su faire pour retenir sa mère à Paris, la laisser retourner à Saïgon la mort dans l'âme, et s'y suicider à l'opium. Je ne l'ai appris qu'à la mort de Pierre : j'ai appris d'un des assistants à la messe funéraire de Pierre, que grand-père n'était jamais sans une congaï vietnamienne. Elles croquèrent tous les bijoux que grand-mère avait encore à sa mort.

Je n'ai jamais entendu qu'un léger mépris dans la bouche de papa, pour son père - ma soeur corrige : un profond dépit, voire de la haine. La panique des deux pères (beaux-frères), faisant quelques courses avec leurs fils respectifs dans les poussettes, et laminant des propos distingués dans leurs bouches coincées, découvrant atterrés, par l'amusement des passants, que les deux garçons se conspuaient mutuellement à cris de :
" Caca chien !
- Caca chien !
- Caca chien !
- Caca chien ! ... "
Oh que ce n'était pas distingué !

En voiture, " Papa ! Pourquoi tu ne conduis pas plus vite ? " demandaient les garçons impatientés. Une autre voiture les avait dépassés.
" - Oh mon ché' ! Le quawante à l'heu', c'est le gwand maximum ! "
Et il était bien loin de le faire le quarante à l'heure, ajoutait papa.

L'exigence de corruption chez le juge : c'est papa, alors adolescent, qui reçut le coup de téléphone d'une connaissance (j'ai oublié la position sociale dans la colonie, élevée).
- Ah ? C'est toi Georges ? J'aurais voulu avoir ton père. Oh et puis ça ne fait rien, tu es en âge de comprendre ces choses-là. Alors tu lui diras à ton père, que dans cette affaire, il n'a pas à se tromper, hein ! Il n'a pas à se tromper !

Faiblement courageux, mais d'éducation honnête, grand-père se prenait parfois la tête à deux mains, devant le déni de justice qu'on lui avait préparé, aux dépens des travailleurs vietnamiens, au profit de l'employeur colonial : " Mais qu'est-ce que je dois faire ! Mais qu'est-ce que je dois faire ! "

Le film de Laurel et Hardy " Les Compagnons de la Nouba " passa à Saïgon. Papa enchanté de sa séance au cinéma, recommanda si chaleureusement le film à ses parents, qu'ils y allèrent tous les deux. Il les vit rentrer dans un état d'esprit aussi contrasté que possible. Son papa la gueule complètement coincée, sa mère se tenant à quatre pour ne pas exploser de fou-rire : tous les rituels et les accessoires des Compagnons de la Nouba copiaient de très près les rituels et les accessoires maçonniques. Grand-père qui n'avait rien d'un humoriste, n'avait pas du tout apprécié la dérision.

Un procureur arrive au Tribunal la tête lourdement bandée. Mais que vous est-il arrivé ? Un accident de chasse, répondait-il. La région était giboyeuse. Ah ? La chasse au tigre ? lui demandait-on, la mine gourmande. Non, c'était le couvercle de sa chasse d'eau qui lui était tombé sur la tête. Assez souvent, quand on ouvrait un tiroir à linge, un serpent s'en échappait.

Des adultes de référence, pour s'éduquer, papa en trouva auprès de vieillards. Parents ou grands-parents de ses copains de lycée ou de fac. Son catholicisme tardif fut aussi sa façon de se rattacher à son meilleur ami, dont il me donna ensuite le prénom. Ce Jacques Malaspina, fils unique, fut raflé comme otage à Virieu le Grand, et mourut à Mauthausen.

Les blagues de ses copains... Dans l'autobus, l'un deux se mit à parler l'ancien français, et à engueuler les passagers et le contrôleur à l'ancienne " Hola manant ! ... ". Bientôt expulsé, il arc-boutait son parapluie sur la plate-forme, bloquant l'expulsion " Mais poussez donc plus fort, marauds ! ... ".

Passant au Conseil de Révision, le même plaisantin déclara avoir la " sub tegmine fagi " (un demi- vers de Virgile, pour les latinistes). Embarras des médecins militaires :
" Mais enfin, ce n'est pas grave ?
- Si tout de même, c'est assez sérieux !
- Et c'est terminé maintenant ?
- Oh, j'ai encore des troubles. Des troubles...
- Bien ! Vous serez convoqué devant un Conseil de Révision spécial. "
Il se dégonfla avant, et conta son exploit à son père, qui se fâcha, écrivit au capitaine responsable, et le plaisantin fut classé bon pour le service...

Sans doute le même, qui le soir hèle Jacques depuis le trottoir d'en face : " Hé Jacques ! Regarde ce que j'ai dégotté ! ". Les parents Malaspina et leurs invités, et Jacques, viennent à la fenêtre pour comprendre ces cris.
" Regarde ce que j'ai dégotté !
- Mais je ne vois rien ! répond Jacques, qui n'était pas peu pince-sans-rire, lui aussi.
- Ah, tu ne vois pas ? Alors écoute ! "
VRRRROM VRRRROM ! Difficile à ne ni voir ni entendre, une contrebasse...

Encore des frasques à la contrebasse, des frasques de béqués de Pointe à Pitre. Deux jeunes gens (de la génération de mon grand-père) vont donner une sérénade à une belle, déchiffrant la partition à la lueur d'une bougie, le soupirant à voix, et l'accompagnant à la contrebasse. Pas de belle au balcon, mais arrive une des ces pluies tropicales carabinées, comme la Guadeloupe vous en gratifie... Le balcon n'est qu'un abri dérisoire. La contrebasse en est irrémédiablement endommagée. Je crois bien que les pères récupèrent leurs fils au poste de police. Désespéré de l'inutilité futile de son fils, le père le menace d'une discipline de fer, en ces termes : " Mauwice ! Tu fewas jamais wien ! Si tu continues, moi je te fous à Saint-Cy' ou à Polytechnique ! "

Sous-lieutenant inutile à Pau en juillet 1940 (je le sais par l'annotation de sa main, sur le Grand Testament Villon, que maman lui avait offert), puis affecté sur la Ligne de Démarcation, puis envoyé en Algérie, papa en revint malade, et fortement suicidaire. Du moins avait-il discuté avec des algériens partisans de l'indépendance, et avait-il apprécié le sentiment de l'honneur de ceux-là : " Ce n'est pas maintenant que la France a des ennuis, qu'on va agir contre elle, mais après la guerre, nous la demanderons, et l'obtiendrons, notre indépendance ". Sur la dernière page du tome 2 de Contrepoint, d'Aldous Huxley, il a griffonné une carte des manoeuvres à exécuter le lendemain, à partir de 4 h 37 : Piste d'Aïn Kebria, Djebel Fillaoussène, Sidi Moulay Ahmed, et les noms des sous-officiers dans son groupe G11.

Votre grand-mère était bien écrasée du fardeau d'un tel fiancé, revenu d'Algérie malade et suicidaire. Une protection lui évite le STO, dont il ne serait peut-être pas revenu, partant dans cet état, et le voilà précepteur des fils d'un hobereau du Cantal. Parmi tant d'horreurs du régime de Vichy, quelques bonnes idées, telles que faire héberger à la campagne pendant quelques semaines des enfants pauvres des grandes villes. Voici donc un petit parigot mêlé aux deux grands fils du hobereau. Papa et le petit parigot marchaient devant sur le sentier, suivis à quelques distance par les fils du châtelain. Le petit avise des fraises des bois, exulte, débraguette et pisse dessus. Puis il appelle tout joyeux les jeunes nobliaux, " Venez voir ! Il y a des fraises des bois ! ". Les grands garçons accourent, et enchantés se baissent pour les cueillir et les manger. Quand elles sont toutes mangées, il triomphe " J'ai pissé dessus ! J'ai pissé dessus ! ". Incrédules, les garçons se tournent vers le précepteur pour qu'il donne le démenti. Penaud, papa ne peut que confirmer...

Je suis la preuve vivante que la nourriture du Bouissou, et le climat du Cantal, firent merveille sur la santé des fiancés. A la campagne, on trouvait encore à manger. A Toulouse, ce fut bien plus dur. Un matin, votre grand-mère trouva à acheter, par miracle, du miel. Un grand pot d'un miel très noir, de troisième choix. Le soir, quand papa arriva, presque plus de miel. De cuillerée en cuillerée, la future maman avait presque tout descendu. Il faisait si faim ! Chez les Privas, les femmes réunies accomplissaient de longues corvées de tri de microscopiques graines, dont depuis nous avons oublié qu'elles sont comestibles à la rigueur, et même le nom (des vesses ?), et qui prenaient si longtemps à cuire.

Pas un seul trait de Résistance chez papa. On a les parents qu'on peut... Sa description sarcastique de la " libération héroïque " de Toulouse : les maquis des campagnes débarqués dans Toulouse après le départ de tous les allemands, donc après la fin de tous les dangers, et après l'extermination des M.O.I.-F.T.P. qui avaient porté tout le fardeau de la Résistance urbaine dans Toulouse... Papa était allé chercher du lait pour son bébé, et au retour, quand il veut traverser le pont, un maquisard lui appuie une mitraillette sur le ventre : " Hein Salopard ! Où tu vas ! ". Un supérieur finit par intervenir, faire ôter le doigt de la gâchette, et laisser passer ce citoyen chargé de lait, présumant que ce n'était pas un espion. Sur la place devant la cathédrale, les maquisards tiraient toutes leurs cartouches vers le clocher, tous si bien répartis à découvert, qu'un vrai tireur en aurait descendu un bon nombre. Mais que se passe-t-il ? demanda papa. " Là haut ! Il y a un de ces salopards ! " lui répond un des maquisards. Un commando s'approche de la cathédrale " avec des ruses !  ", rasant des murs, bondissant à travers des espaces découverts, grimpe l'escalier du clocher, et revient bredouille et dépité : " Ce devait être le vent, qui faisait battre un volet. "

Quelques jours avant, le départ précipité des allemands avec leur butin. Un officier charge sa grosse voiture de tous les objets précieux et tableaux qu'il peut, puis s'escrime à la faire démarrer. Coups et coups de manivelle. Rien n'y fait, la luxueuse voiture ne démarre pas. L'assistance de badauds grossit, devient goguenarde. Furieux, l'officier dégoupille une grenade, et la lance dans la voiture, qui brûle en grand.

Naïveté de votre grand-mère qui s'imaginait que puisque les allemands étaient partis, on allait lui donner à manger le soir même. En réalité, la famine augmenta encore, les premiers mois.

Ce n'est que plusieurs années après avoir pris son poste à Grenoble, que papa commença un engagement politique. Il n'avait pas caché, que malgré des relations aigres-douces, il devait une grosse part de son éducation politique à sa belle-mère. Engagement contre les guerres coloniales, pour la décolonisation de l'empire. Engagement avec d'autres professeurs et prêtres, pour que le préfet ne livrât pas à Franco, des ouvriers espagnols grévistes, et pour que l'honneur de la République Française soit maintenu, malgré le retour en force des réflexes vichyssois, à la faveur du climat de Guerre Froide.

L'esprit caustique de votre grand-père : alors qu'ils comparaient et comptaient, et essayaient, avant d'acheter leur première voiture, d'occasion, papa s'arrêta soudain :
" Au fond, c'est idiot d'acheter une auto ! On n'a qu'à acheter des habits, puisque les habits sacerdotaux. "
Se faisant livrer le vin à l'étage, maman note ses comptes, et les consignes en abrégé : 40 cons.
" Oh Anne ! Te rends-tu compte de ce que tu as écrit là ? Tu ne crois pas qu'il y en aura trop ? "

En juillet 1961, durant une école d'été, hébergée dans la Chartreuse désaffectée de Curière, au dessus des gorges du Guiers Mort, au Sud de Saint-Laurent du Pont, papa n'aurait pas apprécié l'exposé de son jeune collègue Leca, sur le système politique anglais. Non ce n'est pas tout à fait cela, Jean Leca rectifie ce point : Il s'agissait de dépolitisation en France sous la 5e République, et de concertation. Georges commence alors à dessiner une caricature : "Leca-fé-concert (positif ou négatif)". Par un chemin qui nous échappe à présent, sans doute le statut difficile de l'opposition aux premiers temps du règne de De Gaulle, ils en viennent au bipartisme anglais, et aux communications de presse du Shadow Cabinet du parti dans l'opposition. Georges poursuit alors par des caricatures d'un goût plus douteux : d'abord " Leca binet fantôme ", puis de plus en plus éloignées du bipartisme britannique,  " Leca rit indien, Leca s'tord, Msieu ! Leca y ment !... ". A la fin de l'école d'été, les étudiants lui dédicacent ainsi un livre d'art : " A obtenu le premier prix de Leca ricature, décerné par Leca randache. A soulevé l'enthousiasme des foules, par son exégèse subtile, didactique et nuancée, des articles de Jean Cau... ".
- Dis papa ? C'était quoi, ton exégèse subtile, didactique et nuancée ?
- Oh ! j'ai explosé ! J'ai dit : Jean Cau, c'est un con, c'est le roi des cons, et ça a toujours été un con !
Ainsi incités, nous avons bien occupé l'été 1961, en calembours sur le cas et le car. Peu importe où le car mène, pourvu que le car parte. Attention le car avance et raille ! Il vaut mieux que le car nage, car quand le car touche, le car casse, et ça fait un car à bosse. Et puis le car pète, le car rote... Vous prenez le quart quand ? Vous prenez le quart en bas ? Dites-moi Jacques ? Vous qui savez ce que le cas vaut, croyez-vous que le cas m'aille ? Le plus recherché des cas, n'est-il pas le cas rare ?

Dans les éloges funèbres de papa, les politologues et journalistes ont loué son esprit de tolérance, et comment il leur avait appris à respecter nos adversaires politiques. Plus tard, découvrant ses articles, j'ai découvert avec stupéfaction cet aspect de mon père. Oui mais, à la maison, je ne l'ai pas connu tolérant, en tout cas pas avant cette année 1961. Il excitait nos rires contre les morceaux d'émancipation de maman, il était d'une férocité inexcusable envers son fils. J'ai quand même fini par apprendre aux écoles que rien de tout cela ne doit être présenté comme isolé et intrapsychique, et que ce sont les interactions entre les acteurs, et les imaginaires des acteurs, qu'il faut questionner en priorité. Questionner pourquoi les relations entre le couple conjugal et le couple mère-fille tournaient toujours en défaveur du mari. Ce n'est pas en stressant et dévalorisant quelqu'un qu'on le fait grandir. Tous deux, mon père et ma mère auraient eu tant besoin de grandir, et d'apprendre à s'écouter et se respecter l'un l'autre.

Dix ans après sa mort, je n'ai plus mal à mon père. J'ai toujours mal à ma mère.

Maudit tabac ! Durant la seconde grossesse, maman se plaignit de la fumée de papa. Explosion : " Si tu crois que je vais changer mes habitudes parce que tu es enceinte ! ".

Le meilleur de lui même, papa le réservait à l'extérieur. Nous eûmes du bon, mais souvent aussi le pire. Ce qui est unique, c'est qu'il m'en demanda pardon par écrit, de cette négation de son fils, tout occupé à sauver le monde. En 1968, il était bien tard. Et il n'a jamais critiqué sa part de torts dans son couple. Son complexe de culpabilité, après avoir lancé des accusations extravagantes, lui fit prendre seul tous les torts du couple, alors qu'il était loin d'être le seul fautif.


Papa, tellement égoïste et inconscient, qu'il paya un garagiste pour être débarrassé de sa Chrysler, alors que sa fille et son compagnon en avaient besoin, et se retenaient de demander son prix à papa, craignant qu'il en demande trop.

Papa, tellement faible et dépendant qu'il se fit dépouiller et parjurer jusqu'à l'os, tout en m'assurant que sa femme l'aimait, et que ma femme m'aimait... Papa, qui savait pourtant bien quel avare sordide et méchant, avait élevé sa seconde épouse... Papa quasi aveugle qui lui laissa carte blanche pour nous dépouiller à sa façon ragagnouse de fille d'avare. Papa qui ne remboursa jamais le prêt amical offert par André Tunc, avant de faire cadeau à ses jumelles de l'appartement de sa première épouse, appartement dont le paiement n'était toujours pas terminé.

Papa, qui fut regretté mais si peu pleuré à sa mort, tant il avait mêlé de mal à son bien. Du mal privé à son bien privé, et à son bien public. Vous rappelez-vous que le premier ministre et le garde des sceaux s'étaient dérangés pour l'office funèbre de votre grand-père ?

Un grand père, on vous prive de sa mémoire aussi, pour les besoins de la guerre. On vous a confisqué la moitié de votre famille, pour les besoins de la guerre.


Jacques. J'ai publié ce mémorial de Georges Lavau le 3 octobre 2000.



23 mars 2007
Et comment s'explique ce décalage entre le criticisme et les sarcasmes de Georges à l'intérieur de la famille, et cet esprit de paix, de conciliation et de respect de l'adversaire, que j'ai découvert dans ses écrits publics et politiques ?
Il est intéressant de jeter une oreille sur les assauts d'intimidations dissuasives contre cette question innocente, sur tous ces "Circulez ! Ya rien à voir !", ces "Oh ! Les mecs, ils sont tous comme ça !" , ou ces "Ah, tu sais, les familles, alors, c'est tous des fous !"...
Il n'est pas question d'accepter ces innombrables diversions fatalistes, ni ces intimidations intéressées. Un enquêteur a une croyance de base en la causalité, ou sinon il entre en secte ou en religion.
Le fil conducteur pour la causalité sont les deux faits suivants : les sarcasmes sont restés après le départ de Georges, en bien moins spirituels, en bien plus méprisants, tandis que dans son nouveau ménage, Georges avait cessé d'être sarcastique, et est devenu conciliant au delà du raisonnable, poire juteuse, honteusement exploité, puis volé comme dans un bois par sa seconde épouse. Georges confiait à la fin de sa vie, alors qu'il était bafoué à fond par Saddam Zussom : "Oh tu sais, ça aurait pu être encore bien pire. J'aurais pu être encore avec ta mère !". Pourquoi a-t-il quitté Anne en abandonnant tous ses biens, et la plupart de ses livres, par exemple tous ses livres d'art, pour partir avec sa doctorante, plus âgée que moi de quatorze mois ? Bien sûr largement parce qu'elle capturait là l'homme le plus friqué qu'elle pût dénicher... Mais aussi parce que Georges nourrissait l'espoir fou d'échapper ainsi enfin à la guérilla, à la lutte permanente pour le pouvoir. Il ne soupçonnait pas à quel point Saddam Zussom dissimulait son jeu, le manipulait à sa guise, et n'en fera qu'une bouchée.

Le vrai maître du jeu donc jusqu'en 1968, était bien le couple mère-fille : ma grand-mère Cécile et sa fille Anne. Ma famille d'origine est restée un champ de tir depuis, alors que Georges est mort : en effet, quelqu'une a repris le flambeau, et tire à vue à son tour, avec autant de jalousie, et plus de perfidie.

Georges était sarcastique et féroce, en raison de l'insécurité essentielle que le couple mère-fille faisait peser sur lui.
Tandis qu'à l'extérieur, vie professionnelle et vie politique publique, Georges a su vite trouver sa sécurité ontologique ; sa compétence s'imposait rapidement.

N'ayant plus de mari à maltraiter et à brimer, notre mère s'est rabatue sur Leulio-superbe-et-généreux, l'homme le plus immature et fallot qu'elle put trouver afin de le dominer et le maltraiter facilement. Et quand il n'y a plus d'Eulio-superbe-et-généreux à maltraiter, il reste le fils, comme cible du nouveau couple-mère-fille : "Je reviens de chez Florence, et on est toutes d'accord contre toi. Il n'est pas question que tu puisses prouver en justice... Et je saurai bien t'en empêcher !".

Le vrai maître du jeu demeure le couple mère-fille, de la génération suivante.


2 février 2008.
Merci à  Jean Leca d'avoir bien voulu rectifier mes souvenirs indirects de la Chartreuse de Curière.

Retour à l’accueil général