13 septembre 63

Jacques Lavau
Union Nautique Française
Centre du Letty
par Bénodet (Sud Finistère)


Ma chère maman

Malgré la prière instante de papa, je reste ici très égoïstement. Ce sont enfin mes vacances.

Je te prie de croire que je garde rancune à Maurice de m'avoir ainsi associé à ses lubies, aux dépens de mes propres intérêts, voire des siens. Combien de fois, comparant ses bizarreries et les tiennes, ce déséquilibre qui vous fait si facilement quitter réalité, santé, famille et bonheur pour des Don Quichottades; je me suis demandé qui vous avait élevés...

Ce qui est important, c'est que toi ne commettes pas le même crime vis à vis 

13 septembre 1963. Page 1.

de ta fille Florence, ce que vous ont fait Louis de Corlieu et Mémé. Elle a besoin de sérénité, d'une mère attentive et digne de confiance.

Papa craint très fort que tu ne manques un peu à ce rôle les prochains jours. De grâce, ne justifie pas ces craintes ; pas de vernissage de piano ou d'étagères, pas de peinture de chambre, de cuisine, de couloir ou de salle de bains, etc... Aucun de ces travaux impossibles que tu réussis généralement – mais à quel prix ! -. Limite-toi - je t'en supplie - aux travaux possibles : aider Florence à couvrir ses cahiers, l'encourager à tenir sa chambre en ordre (elle l'a rangée sous nos yeux ; pourvu que ça dure), se laver les dents. Il est bon que Florence réunvite de ses jeunes amies. Et pourquoi pas toi n'entretiendrais-tu pas un peu de société chez nous ? Madame Malaspina est-elle rentrée de Belmont ?

13 septembre 1963, page 2.

Je ne peux que te prier également de ne pas fulminer en épitre au sujet de contrôle des naissances, d'habitation Le Corbusier, de promotion de la femme, de nettoyage de l'escalier, ou de la propriété du Mont-Salvat. Ecris-moi plutôt !

Je me permets de t'écrire ainsi, d'abord parce que papa m'en prie, et ensuite parce que réellement tu m'as causé beaucoup de mal ainsi. J'ai certes fini par te pardonner, mais rien ne s'est amélioré. Tu sais, ou plutôt tu n'as jamais voulu savoir à quel point j'étais misérable l'hiver dernier... et tu n'aurais jamais été d'aucun secours.

Suis-je injuste ? Non, pas du tout. Et Florence sera en droit de nous maudire un jour, si nous continuons ce style durant, et au delà peut-être, de sa puberté.

L'affirmation de la personnalité que tu nous infliges de temps en temps est calamiteux. Pourrais-tu faire la paix, et admettre d'exister dans ta famille, et non contre ?

13 septembre 1963, page 3.

Je me maudirais si je devais fonder un foyer aussi vide, aussi creux que le vôtre. Maudite sois-tu si Florence devait avoir elle aussi ce sentiment.

Voilà tout ce que j'avais à dire. En revanche, pourquoi n'as-tu pas continué à travailler à la « Documentation française » ? Peut-être pourrais-tu trouver un équilibre familial convenable ainsi ? Je termine, j'écris à Florence aussi.

Sais-tu que madame Carron, le jour où je suis arrivé ici sans clé et sans argent, fut la gentillesse et la serviabilité même ? Il faut également que je lui envoie une carte.

Bien affectueusement, et non sans souci.


Jacques

P.S.

Tiens-moi, tiens papa au courant de ce que vous faites. Je peux toujours rentrer en catastrophe, mais si l'on m'envoie les subsides pour voyager avant expiration de mon contrat.

13 septembre 1963, page 4.

13 septembre 1963, j'avais donc 19 ans, et ma soeur 11.

Au fait, c'est ladite soeur qui a retrouvé ce courrier dans le fatras maternel. Depuis le temps qu'elle était montée contre cette mère toxique et négligente... Tout en n'oubliant pas de traiter copieusement de "tous paranos" ceux qui sont lésés par les combinazzione montées par ladite manipulatrice narcissique.

Chronologie jusqu'en 1971.

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