Que l'enseignement de la godille (dite "bretonne" de ce
côté-ci de la Manche) soit défaillant et sous-développé chez les
intellectuels, ça n'est pas un scoop. On ne compte plus dans
les ports les plaisanciers qui ont tenté d'appliquer ce qu'ils avaient
lu dans les livres, et le résultat était désastreux. Ils avaient lu que
c'était "vachement difficile", donc ils essayaient de faire
quelque chose de difficile au lieu de chercher et trouver la facilité.
Ils avaient lu que "il faut se tordre les poignets", donc ils
se tordaient les poignets, et que "il faut faire un huit couché",
et la godille leur échappait.
C'étaient les livres qui étaient fautifs, lourdement fautifs. Jamais
les livres ne leur avaient dit que la godille sert à avancer, et que
donc elle doit propulser de l'eau vers l'arrière. Jamais les livres ne
leur avaient dit que la pale de la godille est un profil
hydrodynamique, qui se déplace transversalement comme une pale d'hélice
d'avion ou de navire. Il est vrai que la majorité des avirons sont très
mal profilés pour l'usage en godille. Jamais les livres ne
leur avaient dit clairement que le godilleur voit toujours la même face
de pale, l'intrados. Beaucoup ont cru lire des variations autour de la
position longitudinale, où le godilleur voit la même arête de pale. Le
mouvement est alors impossible, même "en se tordant les poignets".
Heureusement les praticiens, marins-pêcheurs pour la plupart,
pratiquaient ; les enfants pratiquent par imitation de leurs aînés,
mais faute d'ingénieurs mécaniciens pour se pencher sur la question, la
godille par chez nous demeure un superbe exemple d'anti-ergonomie,
d'hydrodynamique médiocre, et de rendement musculaire décourageant,
trop rapidement épuisant.
Car en Chine, la pratique avait évolué de façon bien plus astucieuse et
efficace : des enfants ou des femmes menues déhalent de lourds sampans,
cela sans aucun folklore de "huit couché" ni "vachement
difficile" ni "il faut se tordre les poignets". L'aviron
chinois est courbé ou coudé, il est articulé sur l'arrière du sampan à
son coude, et la poignée est retenue au plancher du bateau par un
filin. Ce filin prend à sa charge toutes les forces verticales et
longitudinales que les biceps du godilleur occidental doivent se
farcir, forces qui ne travaillent pas. Le coude de l'aviron prend en
charge automatiquement l'incidence de la pale, et plus personne n'a à
contrôler cette incidence à la force des poignets. Reste à la charge du
godilleur ou de la godilleuse la seule force qui travaille : de droite
à gauche puis de gauche à droite et ainsi de suite. Ce qui reste à la
charge du fabricant est la précision des dimensions de l'aviron, et
l'angle de coude.
Inconvénient en contrepartie : en Chine l'aviron de godille est la
propulsion principale, il est donc plus encombrant, il ne se dégrée pas
en une seconde, il ne se met pas à poste en catastrophe en une
seconde. Optimisé pour la propulsion, il est moins apte à un
effet strictement évolutif tel qu'assurer une amure à l'appareillage,
ou secourir un virement vent debout compromis. Quand il s'agit
d'arracher son bateau à la plage contre un vent debout (comme cela nous
est arrivé à Porto Vecchio en 1964), la godille chinoise ne permet pas
d'enchaîner dans une fraction de seconde l'action de pousser avec
l'aviron comme perche, puis de godiller avec.
Longtemps la "pédagogie" d'André-Louis Pécunia, paru en 1958
aux Editions Maritimes et Coloniales, est demeurée l'exemple de ce
qu'il ne faut pas faire. Mais nous verrons ensuite que le Centre
Nautique des Glénans lui a fait en 1982 une concurrence féroce dans
l'horreur.
Voyons A.-L. Pécunia :
Sur son dessin en figure 6, le matelot ne place pas correctement ses
poignets : il les place de part et d'autre de l'aviron. Pas de danger
qu'il réussisse facilement ! Il faut placer ses poignets en dessous de
l'aviron et les laisser traîner, tandis que les avant-bras et le reste
du corps meuvent latéralement. Il n'y a rien à tordre ! Juste
laisser traîner souplement.
Et le coup du huit couché ? L'auteur (celui-là et les autres
aussi) a confondu le résultat avec un but. A chaque bout de course,
quand la pale inverse son incidence, elle serait un frein dans l'eau si
le godilleur ne persistait à tirer vers lui, et de plus l'aviron
sortirait de la dame ou de l'engoujure. Pour revenir à ses positions à
chaque cycle, évidemment que durant chaque course, le godilleur
laisse filer sa poignée un peu plus haut, de la hauteur qu'il va tirer
en bout de course.
Dans la première édition du cours de navigation du CNG, parue en 1961
pour le tome 1 sous la rédaction de Philippe Harlé et Claude
Rougevin-Baville (dit Grand-Claude), en 1962 pour le tome 2 par
Jean-Louis Goldschmid et Marie-Ange d'Adler, les mots aviron et godille
n'apparaissent que pages 178 et 180 du tome 2, pour les manoeuvres de
port en annexe, et le choix d'amure à l'appareillage. C'est peu, cela
implique tout a été renvoyé à la seule pratique.
La troisième édition est de 1982, tous les noms d'auteurs sont
désormais secrets. Opacité tribale...
Cela donne ceci :
Avec un bonnet, on va lentement et on a de la
puissance. Tête nue, on peut aller vite mais avec peu de puissance.
La description du mouvement paraît sans portée
pratique : elle pourrait trouver sa place, à la rigueur, dans un roman
d'avant-garde, ou servir à l'illustration d'un traité sur la Psychanalyse
du Biais. Mais elle gagne à rester évasive.
Disons simplement qu'on s'efforce d'utiliser au mieux
les ressources ambiguës de la voie oblique.
Page 479, le dessinateur a dessiné une fausse position pour les
poignets : encore une fois trop haut et trop écartés par rapport à
l'aviron.
Page 480, aucune explication sur les défauts des positions présentées.
Page 481, la blague du bonnet et de la tête nue dénote que le rédacteur
ou la rédactrice n'a jamais ou rarement commandé à la mer, et n'en a
jamais assimilé les principes de base. Un ordre ne doit indiquer que
l'action : qui doit faire quoi, quand, éventuellement comment ; et
taire toutes incidentes, parasites et humeurs.
Dans l'avant-propos, le rédacteur avait annoncé son parti-pris
antiscientifique :
Disons que nous en sommes tenus ici à l'enseignement
primaire, celui essaie de donner des idées claires avant que la vie et
les sciences ne viennnent embrouiller l'esprit.
Jamais ni Philippe Harlé, ni Grand-Claude (Rougevin-Baville), ni le
père Jean-Louis (Goldschmid) n'auraient écrit ce genre de stupidités
irresponsables. Un nouveau que je ne connaîtrais pas et qui aurait pris
tellement de pouvoir qu'il pouvait écrire toutes ces conneries sans que
personne ne le ramène à la raison ? Ou tout simplement Philippe et
Hélène Viannay, qui avaient 65 ans à la parution du livre ? Hélène
naviguait extrêmement peu, et Philippe au commandement de la Sereine
avait gagné le sobriquet de Capitaine Abalof : "Abats !
Non, loffe ! Non, abats ! Non, loffe !". Ce que j'ai
personnellement constaté fut l'irréalisme militant et pédagogique de
Philippe, qui fait compter trois grosses vagues sur la plage de
Penfret, et se fait culbuter avec son chargement de stagiaires de quart
par la quatrième vague, plus forte que les précédentes. Personne ne fut
noyé, mais tous trempés et à rincer d'eau douce et changer. La bonne
parole fut très mouillante, ce jour là.
Que doit-on faire alors ? Et que je ne ferai que plus tard, quand
j'aurai de meilleurs outils de dessin.
Diagramme des forces en projection sur le plan sagittal, des trois
forces qui ne travaillent pas dans le repère du bateau :
de l'eau sur la pale, de la dame de nage sur le manche, du godilleur
sur la poignée.
Hydrodynamique de la pale en translation latérale (dans le repère du
bateau).
Fouetté des poignets : photo.
houache de godilleur actif : photo.
Photos de godilles chinoises en action. Voire vidéo si on en trouve.
Et comment faire un aviron chinois avec un aviron du commerce de chez
nous, bien droit ?
Simple, assembler une sous-poignée à environ 12-15 cm sous la poignée
officielle. Et voilà !
Le prototype est en cours de réalisation.