La persistance de schèmes infantiles dans l’enseignement des mathématiques et de la physique.  2

1.                  Introduction : « Encore un effort pour être vraiment scientifique ! ». Le lien avec la psychologie de l’enfant .

2.                  Exemples populaires.

2.1.                   En linguistique : l’usage est accessible, rarement le sens.

2.2.                   « Je fais », et une rancoeur des cols bleus.

3.                  Exemples dans la communauté scientifique.

3.1.                   Exemple du retard à architecturer les ensembles dont on a besoin : mesure, grandeur physique, nombre.

3.2.                   La confusion entre nombres et grandeurs.

3.2.1.                 Les prolégomènes oubliés.

3.2.2.                 Premier progrès en cercle vicieux : des espaces vectoriels de dimension 1 ? 

3.2.3.                 La granularité nulle de R n'est pas pertinente en physique.

3.2.4.                 L'acte fondateur de la physique, qui la distingue des mathématiques, est heuristique.

3.2.5.                 Problèmes de pédagogie quotidienne.

3.2.6.                 Solutions en pédagogie quotidienne.

3.2.7.                 Conséquences dans la stratégie de management des concepts.

3.2.8.                 Etouffer le scandale, et continuer comme si de rien n’était.

3.3.                   L’activisme calculatoire dans l’enseignement de la Quantique.

3.4.                   Le solipsisme activiste de Niels Bohr, et de l’Ecole de Copenhague.

3.4.1.                 Le règne de la « dualité onde-corpuscule », et le début de la double-pensée.

3.4.2.                 Incompatibilités d’humeurs et coup d’état : le congrès Solvay de 1927.

3.4.3.                 Neutralisation et décès des opposants, et hégémonie sans partage.

3.4.4.                 Granularité ou atomicité de la réalité physique.

3.4.5.                 Rien de plus petit ? 

3.4.6.                 La confusion entre réaction quantique, et mesure.

3.4.7.                 Les « trajectoires » des chambres à bulles.

3.4.8.                 Les calculs qui sont l’occasion de restaurer en fraude le corpuscule.



La persistance de schèmes infantiles dans l’enseignement des mathématiques et de la physique.

1.      Introduction : « Encore un effort pour être vraiment scientifique ! ». Le lien avec la psychologie de l’enfant .

1.1.      Je réduirai ici nos connaissances sur le développement psychomoteur et intellectuel de l’enfant à des principes très schématiques :

·      Seules les actions de se déplacer dans le paysage, d’agir par ses mains et ses pieds sur l’environnement, permettent au bébé de dépasser la vision plate du monde, lui donner de la profondeur et de la structure solide et permanente.

·      Seule la résistance des objets à ses actions, permet à l’enfant de percevoir leurs lois propres, notamment leur permanence, au lieu d’être seulement des éléments de tableaux à la disposition de l’action égocentrique du bébé.

·      L’enfant apprend d’abord des phrases. Ultérieurement, il apprend à y repérer des mots. Plus tard encore, il pense à demander le sens d’un mot inconnu.

·      L’objectivation de l’enfant, objet parmi d’autres objets, humain parmi d’autres humains, d’une civilisation parmi d’autres, comprend de nombreuses étapes, dont certaines réclament plusieurs dizaines d’années pour s’accomplir, éventuellement.

·      Ces étapes cognitives ne s’accomplissent bien que sur un minimum de sécurité personnelle, ontologique, dont une certaine sécurité affective.

 

1.2.      Je suivrai Michel Schiff sur l’affirmation suivante :

« J’en viens à croire que, si mes collègues sont devenus scientifiques, c’est parce qu’ils ont fait à l’adolescence le même choix que moi : refouler ce qui concerne la personne... La religion de l’objectivité n’est pas seulement l’opium du peuple, elle est aussi celle des chercheurs. » (SCHIFF 94, p174). J’en déduis l’hypothèse de travail suivante : ce refoulement, cette censure d’adolescence maintient au pouvoir des immaturités et des égocentrismes datant d’au moins de la période de latence, chez ceux qui deviendront ensuite des scientifiques.

 

1.3.      Je reconnais que c’est l’expression piagétienne « tableaux à disposition » qui a fait tilt dans ma tête, et qui me fait évoquer une foule de faits, sur lesquels on maintient d’ordinaire un silence diplomatique.

·      Ainsi pour le populaire, la langue est un substrat à sa disposition. Elle est inquestionnable, n’a pas d’histoire, et c’est lui qui est le propriétaire discrétionnaire des lois qu’il appliquera selon son humeur et ses habitudes.

·      Pour la bourgeoise, « l’ordre établi » est un substrat à la disposition de son égoïsme triomphant et de son goût du mépris.

·      Pour presque tous, le « bon sens » est une évidence qui est à leur disposition, et à laquelle tout opposant devrait opérer sa reddition immédiate et sans conditions ; s’il ne le fait, cela prouve sa malignité...

·      Pour la communauté scientifique, est à sa disposition le paradigme tacite : « Nous, on sait, et les profanes ne savent pas. Nous seuls pouvons apporter des connaissances nouvelles, et aucun technicien ni praticien ne saurait nous en remontrer. Nous seuls pouvons évaluer, en toute autarcie, la qualité des productions de nos confrères. En aucun cas les profanes ne devront être prévenus de quoi que ce soit avant nous ! » (sous peine d’exclusion immédiate hors du club, du contrevenant à la règle d’exterritorialité de la communauté qui sait).

Schiff précise en quoi ladite « communauté » est aussi une communauté de croyants : « Du point de vue psychologique, ce qui distingue une secte d’un autre groupe social est le caractère radical, quasiment métaphysique, de la coupure avec les autres. Pour la personne qui appartient à une secte, le monde des humains est divisé en deux catégories bien distinctes : il y a « nous » qui connaissons la vérité, et « eux » qui ne veulent ou le peuvent la connaître. De ce point de vue psychologique, les scientifiques me semblent constituer une secte, tout comme les membres d’un parti doctrinaire. ... C’est précisément l’illusion de ne pas avoir de croyances qui fonde l’Eglise scientifique... Certains sociologues de la science prétendent que, contrairement à ce qu’ils croient, les scientifiques sont bien semblables aux autres humains : comme le commun des mortels, le scientifique est guidé dans sa pratique professionnelle par un système de croyances. » (SCHIFF 94, pp 166-167). Ce système de croyances est justement invoqué comme un bon sens, comme un « Ben voyons ! » à sa disposition.

En revanche Schiff n’a pas détaillé en quoi les rituels d’autocensure - et de censure active à défaut - dans les publications, les colloques et les congrès, sont une partie de l’organisation de la position supérieure en nom collectif, et donc un aménagement nécessaire aux censures collectives de la personne humaine, constitutives du contrat social de la communauté scientifique.

 

1.4.      J’étudierai plusieurs persistances de ces schèmes infantiles dans la communauté scientifique, et chez ses enseignants :

·      L’ensemble des nombres (lesquels ?), l’espace ordinaire de la géométrie sont souvent niés en tant qu’objets propres, ayant des particularités très spécifiques, et parfois très impropres à l’usage postulé. L’usager entre dans de violentes colères pleines de frustration, lorsqu’on lui montre qu’il faut prendre la peine de définir l’« espace » (au sens mathématique général) dont on a besoin, ne serait-ce par exemple que l’espace des grandeurs physiques (nombre multipliant une unité physique (CMAXW 1873)).

·      Je vais tâcher de résumer des débats sur la microphysique qui remplissent des volumes (LOCHAK 92, SELLERI 86, BITBOL 96, par exemple), mais mon approche est originale et unilatérale. Je prétends que Niels Bohr a anthropocentré à outrance la microphysique quantique : il a subordonné toute description à notre action, confondant « mesure » avec « réaction quantique », vingt ordres de grandeur plus petit. Nous verrons que son excuse était de lutter contre un autre anthropocentrisme, qui continue encore de croire à des catégories multimillénaires : l’espace géométrique macroscopique, et les coordonnées dans cet espace, idéations défendues à l’époque par Einstein et Schrödinger. Sans parler de la conjecture d’Everett, exceptionnellement farfelue, des « mondes parallèles » créés à chaque réaction quantique...

 

1.5.      J’étudierai  les conditions nécessaires pour qu’un domaine de connaissances devienne une science. La condition négligée jusqu’à présent, est sa socialisation explicite et rationalisée, notamment par ses cercles de contrôle qualité externes et incorruptibles. J’étudierai les avatars de l’instinct territorial dans quelques unes de ces communautés, et l’organisation de leurs résistances à ce que leurs coutumes soient converties au droit écrit, indispensable pour en faire une science.

En pays de droit écrit démocratique, le droit n’est en dernier ressort à personne. Alors qu’en pays coutumier, il appartient aux morts en dernier ressort, et en pratique à ceux qui ont le privilège d’interpréter les morts. En pays théocratique, le droit appartient à ceux qui interprètent le ou les dieux. Accomplie, la science n’est en dernier ressort, à personne. En pratique, les choses vont bien différemment, et les conflits de territoire et d’autorité sont réglés entre orgueils sourcilleux : « La science, c’est moi ! », en particulier avec un fort refus de tout contrôle de qualité, surtout externe.

 

1.6.      J’étudierai les délais de réponses colossaux, et quasi impossibles à gérer, qui font du complexe (science + enseignement) un monstre qui n’a plus les propriétés postulées de « la science », et notamment qui s’est rendu incapable de se piloter en exactitude, et qui n’est plus capable de se piloter qu’en coutumes.

 

1.7.      J’étudierai le stade ultime de la lexicalisation du langage, tel que la communauté scientifique devrait en être le parangon. J’ébaucherai quelques principes de ce que devrait être une ingénierie des concepts, discipline transdisciplinaire nécessaire à tous.

 

2.      Exemples populaires.

2.1.     En linguistique : l’usage est accessible, rarement le sens.

2.1.1.   Le linguiste Roman Jakobson rappelait que penser à la définition d’un mot, est un réflexe de savant, pas de populaire : « Don’t ask for the meaning ! Just ask for the use ! »

Autrement dit, pour le populaire, la langue n’a pas vraiment de lois propres, elle est à la disposition de son action. Pour eux, les mots n’ont pas de sens défini, et encore moins de définition impersonnelle et contractuelle, qui échappe à leur bon plaisir de locuteur : ils sont à la disposition de leur action, à leur bon plaisir.

De plus, les mots peuvent être engagés dans des jeux de tabous et d’euphémismes, utilisés par le corps social pour cacher... Pour cacher quoi ? Il leur faut une longue réflexion, et un travail d’accouchement assisté, pour se rappeler quoi, et pouvoir le désigner !

 

2.1.2.   J’ai eu maintes confirmations de cet implicite « pas de définitions ! Juste un terrain de jeu à ma disposition ! » avec des élèves de Lycées Professionnels, et leurs parents. Comme professeur de mathématiques, on est confronté à une discordance culturelle : en mathématiques, il faut d’abord savoir les définitions. Sans les savoir, et les décortiquer, vous ne savez même pas de quoi il s’agit. Ensuite il faut savoir les théorèmes, enfin il faut savoir les appliquer. Pour ma douleur, le « Il faut savoir les définitions » se rapportait à « De tout recouvrement par une famille d’ouverts, on peut extraire un sous-recouvrement fini », définition des ensembles compacts en topologie... Vous avez compris ? Moi non plus ! Depuis trente-six ans, je n’ai toujours pas réussi à me figurer ce que représente cette définition. Pour votre tranquillité d’esprit, un segment de droite, un intervalle fermé sur la droite R, sont compacts. La droite entière ne l’est pas.

Le mathématicien pose des définitions. Malheureusement, chaque charbonnier est maître chez lui, et le paysage de tous les jardins de tous ces charbonnier maîtres chez eux, et pleins d’esprit de revanche sur tous les sacrifices qu’ils ont consentis pour faire de longues études supérieures, et prendre ainsi la position haute, est souvent d’un illogisme opaque, sans norme ni raison. Et nos clients, les élèves ? Perdus, frustrés, furieux ! C’est une idée totalement nouvelle pour eux que d’avoir un contrat sur le sens des mots, même un contrat unilatéral du producteur de la définition, qui s’engage à restreindre sa liberté arbitraire : « Je m’engage à ce que chaque fois que je parle de trucmuche, je ne me réfère qu’à la définition que j’ai donné à tel endroit, et non pas à l’idée générale que vous aviez emmagasinée au hasard de vos expériences toutes différentes les unes des autres. »

Qui s’engage, ou qui devrait s’engager... J’ai donné des détails très sévères et critiques sur les polysémies foireuses qui entachent « vecteur », dans « « Vecteurs » ? 151 ans de déloyaux services » (LAVAU 97). Nombreux sont les manuels qui changent subrepticement de définition toutes les trois pages. Sciences exactes, disiez-vous ? Ecole de logique ?

 

2.1.3.   Les mésaventures des premiers cartographes, interrogeant les paysans pour connaître la toponymie, sont nombreuses. L’une d’elles concerne justement l’égocentrisme pratique : la Barre des Ecrins, désignant désormais le sommet culminant de l’Oisans. Les géographes interrogèrent des paysans dauphinois sur le nom du sommet, cette crête éclatante. Or ça s’est passé ainsi : Ils désignèrent de la main la rivière, les cascades successives, les chalets visibles, les pâtures, la plus proche colline, et les paysans répondirent à qui étaient les chalets, les pâtures, la colline, et comment ils s’appelaient. « Et après ? Comment appelez-vous ce qu’il y a derrière ?

- Après ? Il y a encore la barre des écreins. ». La barre, c’est à dire la cascade sous laquelle nous disposons des boîtes de bois, des écrins, pour recueillir la poudre d’or. Le sommet éclatant ne leur servant à rien, n’avait donc pas de nom, et ils n’imaginaient même pas que les géographes de la ville pussent s’intéresser à quelque chose d’aussi superflu. Alors que la poudre d’or, elle, avait de l’usage, donc l’ultime cascade utile, avait un nom... Ont des noms populaires, les montagnes qui indiquent midi : Aiguille du Goûter, Pic du Midi, Middags Fjællet, etc...

 

2.1.4.   Il est impressionnant de suivre le linguiste Emile Benveniste dans ses Problèmes de linguistique, ou son Vocabulaire des institutions indo-européennes. On ne rencontre pas de dictionnaire ni de définitions dans les écrits anciens (Euclide excepté). On doit détailler dans quelles formules apparaissent tel ou tel mot mystérieux, qui les utilise, dans quel but rituel, ou juridique, etc. Au bout de cette archéologie de l’usage des mots, il peut proposer un sens probable, pour les gens de cette lointaine époque du latin archaïque, de l’étrusque archaïque, du grec archaïque, ou du védique. Plus récemment et modestement, pour traduire des brevets d’invention en micro-électronique, j’ai dû vite renoncer à me procurer un dictionnaire de micro-électronique. En aurait-il existé, que cela m’aurait coûté la peau des fesses, et qu’il aurait été en gros retard sur la technique. Pour quatre fois moins cher (338 F, amortis dès la première traduction), j’ai acheté le manuel « VLSI Engineering », chez Prentice Hall, et j’ai su tous les usages des mots américains mystérieux. Par mes revues de langue française, je savais les mots français qui ont le même usage, et ce fut parfait.

 

2.1.5.   « Don’t ask for the meaning ! Just ask for the use ! ».

« La question est de savoir qui sera le maître ! Un point c’est tout ! », répliqua Humpty Dumpty sur un ton méprisant.

 

2.2.     « Je fais », et une rancoeur des cols bleus.

« J’entends et j’oublie,

Je vois et je retiens,

Je fais et je comprends ! »

Cette citation de Mao Zeu Dong, a l’avantage de rappeler la frustration dans l’apprentissage, par un homme qui est de sensorialité visuelle et kinesthésique, et non auditive, devant un enseignement auditif, et surtout de rappeler combien l’action précède, et renforce la connaissance. Une autre citation souvent reprise, concerne la meilleure préparation à comprendre le calcul infinitésimal, pour l’ouvrier qui a poli une courbe à petits coups de lime, que pour l’étudiant col blanc qui sèche devant un livre. Toutefois, l’usage pragmatique de ces phrases n’était pas pour, mais contre. Non pas pour un meilleur équilibre travail manuel vs travail intellectuel dans les écoles, mais contre les lettrés qui pourraient résister à la dictature.

 

3.      Exemples dans la communauté scientifique.

3.1.     Exemple du retard à architecturer les ensembles dont on a besoin : mesure, grandeur physique, nombre.

 

Nous ne suivrons pas ici le populaire, qui oppose couramment « abstrait » à « concret ». Nous suivrons au contraire les définitions pratiquées en génie logiciel, par exemple telles que données dans des manuels de la méthode « Merise » (TARD 84, NANCI 92), et plus encore dans les traités de génie logiciel organisé par classes (en jargon de métier : « orienté objets ») (tels que BOOCH 94).

Pour le populaire, « abstrait », signifie « très lointain de ma pratique, très dur pour moi à imaginer ». Ainsi l’abstrait de l’un est le concret de l’autre, selon le métier, l’expérience et l’environnement de chacun. Ce qui vous était « abstrait » à 25 ans, vous devient concret à 28 ans, quand vous en avez acquis une pratique ? Ce genre de fantaisies personnalisées est inadmissible dans une communication qui se veut interprofessionnelle, et si possible universelle.

Nous ne suivrons pas non plus les manies méprisantes et narcissiques des mathématiciens : plus je suis abstrait pour le populaire, et donc inutilisable en pratique, plus je suis élitiste, et plus je prends ma revanche ! (comme le chat perché haut sur un arbre, nargue le chien resté en bas, écumant de rage ?)

Nous empruntons à un article précédent non publié (destiné aux professeurs de collège) un diagramme d’abstraction comparée des nombres, et des grandeurs physiques :

Nous avons organisé ce diagramme selon un axe vertical d’abstraction croissante. Ceci s’oppose à l’habitude du professeur de mathématiques, à qui on a enseigné l’habitude de confondre « abstraction » avec « généralisation et immersion dans un ensemble plus vaste », soit l’axe que nous avons placé horizontalement.

ABSTRAIRE : c’est se dispenser de regarder un certain nombre (souvent un très grand nombre) de propriétés et de particularités (étymologie : trahere tirer, ab hors de, à partir de). Autrement dit, en termes ensemblistes, une abstraction est un ensemble quotient par l’ensemble des classes d’équivalence. A charge pour l’analyste d’écrire noir sur blanc la relation d’équivalence, et d’exhiber les preuves que cela tient bien la route.

Corollaires : abstrait n’implique pas « mieux » ! C’est la tâche de l’analyste que de vérifier et de prouver que dans le procédé d’abstraction qu’il a choisi, il n’a pas commis de fautes professionnelles, qu’il n’a pas écarté des propriétés vitales. Ensuite il doit prouver que son abstraction est efficace en productivité, et enfin, si c’est possible, qu’elle est optimale.

3.2.     La confusion entre nombres et grandeurs.

(Ce sous-chapitre 3.2 est partiellement extrait de l’article paru en décembre 1997).

Cette confusion entre nombres et grandeurs parasite le coeur des mathématiques depuis les auteurs grecs; elle s'est adaptée chez les auteurs arabes; elle a continué à parasiter tout au long du 19e siècle (sauf Grassmann, et partiellement Maxwell), et elle continue encore d'obscurcir l'apprentissage des sciences. Elle n'est qu'un cas particulier de l'oubli total d'une systématique des niveaux d'abstraction. Elle a induit la confusion entre coordonnées, et composantes de vecteur.[1]



3.2.1.   Les prolégomènes oubliés.

Bien qu'on définisse les espaces vectoriels abstraits assez tard dans les études, au début des études supérieures, nos bambins manipulent dès l'école primaire, souvent dès le CE2, des membres d'espaces vectoriels de dimension 1 : les grandeurs concrètes, et les grandeurs physiques (autres que vectorielles, ni tensorielles). Puis, l'enseignement secondaire étant disloqué entre spécialités étrangères les unes aux autres, nos potaches oublient tout, aux mains de matheux purs, qui n'entendent rien à la physique. Ils s'installent alors durablement dans la confusion entre nombres et grandeurs, entre le tout-abstrait, et le demi-abstrait.

Les nombres sont tout-abstraits. Le nombre "quatre" n'est pas "quatre ânes", ni "quatre cailloux", mais ce qui est commun entre eux, par la relation "on peut établir une bijection entre ces deux collections", respectivement d'ânes et de cailloux. C'est donc une classe d'équivalence : la relation est symétrique, réflexive, transitive.

Les grandeurs physiques sont semi-abstraites, et gardent une propriété du monde réel, dont les nombres sont dispensés : une signification, une unité-étalon, et la grammaire de variance qui y est associée.

Les grandeurs physiques sont dispensées des propriétés fort compliquées des mesures, et des résultats de mesures (avec toutes leurs sortes d'incertitudes et d'erreurs), et de celles du stockage de ce résultat sur un papier ou dans une machine électronique, avec ses problèmes de largeur et de résolution limitées.

Pour les grandeurs concrètes et les grandeurs physiques, l'égalité a un sens, si l'on sait définir un protocole de comparaison et de mesure. Par exemple, comparer deux longueurs, comparer deux aires, ou comparer deux lots de paquets de lessive, sous fardelages différents. A ce prix, nous avons le droit d'écrire une égalité de grandeurs, même en unités inhomogènes, comme :                                   

1 tour = 2\piradians.

La grandeur physique est définie comme l'abstraction commune à ce qui dans la réalité est justifiable de la même famille de protocoles de mesure, dont la précision et le coût peuvent être très différents, mais qui ont tous pour objet de comparer une même sorte de grandeur. Par exemple une longueur, ou une masse au repos.

C'est donc aussi une classe d'équivalence. Elle est bien moins abstraite qu'un nombre, car elle est un descripteur de quelque chose. Elle est tenue à la syntaxe inhérente à la vocation sémantique de chaque grandeur physique.

Nous allons avoir besoin de caractériser ces grandeurs pratiques et concrètes d'une part (par exemple 500 flacons d'un médicament), et ces grandeurs physiques d'autre part, par leur lien avec une grandeur unité, et avec l'ensemble des nombres réels. Nous allons donc définir les grandeurs scalables. Nous aurons aussi besoin de distinguer entre les grandeurs arbitrairement scalables, et les grandeurs nombrables, pour lesquelles existe une unité absolue définie par la nature, et non par une société humaine.

En 1873, Clerk Maxwell consacrait le premier paragraphe de son Treatise (Clerk Maxwell 1873) à expliquer que toutes les grandeurs physiques sont le produit d'un nombre par un échantillon de cette grandeur, appelé unité. Pourtant, encore aujourd'hui, légions sont ceux qui répugnent à s'apercevoir que dans tout problème physique ou pratique de la géométrie, les grandeurs qu'on considère, ne sont que rarement des nombres, mais des produits de nombres par des unités physiques. Ouvrez n'importe quel ouvrage de mathématicien consacré aux mathématiques de la physique; vous constaterez qu'il vous affirme sans rire, que les fonctions de la physique sont à valeur dans R, ou dans C, ou dans Rn, ou dans Cn.

Prenons la largeur de cette feuille de papier, qui sort de mon imprimante. Elle mesure 21 cm; ou 210 mm; ou 0,21 m. Or, il n'existe aucune fonction réelle ayant la propriété que :     21 = 210 = 0,21.

Tandis qu'il est parfaitement correct d'écrire que :                                21 cm = 210 mm = 0,21m.

Ces deux égalités ne sont pas écrites entre nombres, mais entre grandeurs physiques. Elle dénotent des classes d'équivalences déterminées par les principes des mesures. Ici, seuls les principes d'au moins un protocole de mesure des longueurs, au moins un principe de construction des appareils de mesure, et des campagnes de mesures vérifiant l'équivalence et la bonne adéquation de ces appareils et de ces protocoles, peuvent justifier la définition de la grandeur physique, et les conditions de l'égalité.

Tout le drame historique et social, est que les sept phrases banales, écrites ci-dessus, semblent avoir été trop matérialistes pour échapper au mépris et à la phobie des mathématiciens, et trop mathématiciennes, pour échapper au mépris de l'abstraction de trop de physiciens. Chacun clôturant prématurément son métier longtemps avant que le partenaire indispensable n'ose ou ne daigne ouvrir le sien; chacun laissant en friche une large part de son métier de base.



3.2.2.   Premier progrès en cercle vicieux : des espaces vectoriels de dimension 1 ?

Le premier progrès est de remarquer que si cette feuille de papier pèse autant que 5 g, ou que 50 dg, alors cette grandeur masse présente les propriétés d'un élément d'un espace vectoriel de dimension 1. La coordonnée naturelle est contravariante à l'unité de masse, prise comme "vecteur" de base. Du point de vue de l'algébriste, la question semble close.

Du point de vue du didacticien, ce premier progrès se mord la queue. Nos élèves doivent rencontrer cette question de la variance des grandeurs physiques relativement aux unités, plusieurs années avant d'aborder les espaces vectoriels en algèbre : dès le CM1, dès qu'on traduit de centimètres en mètres. De plus, le choix des mots est traditionnellement désastreux. On a accoutumé tout notre corps enseignant de physiciens à considérer que les vecteurs sont de dimension 2, ou 3, mais jamais 1, tandis que les mathématiciens sont accoutumés à identifier comme synonymes "vecteur" avec "membre d'un espace vectoriel abstrait".

Sur de telles bases, le résultat sera consternant, si on leur assène désormais que la masse, la température, la surface et le volume, dont aucun n'est vectoriel (géométrique), sont néanmoins des espaces vectoriels (algébriques). Nous proposerons plus loin une solution à cette fâcheuse polysémie autour de vecteur-espace-vectoriel.

Nous n'avons encore ni jeu d'axiomes, ni terminologie simple - à usage grand public, j'insiste, c'est indispensable - pour les espaces des grandeurs physiques, a commencer par ceux qui sont de dimension 1. Nous n'avons pas non plus de stratégie didactique stable. Notre système d'enseignement bafoue trop souvent et la sécurité, et l'ergonomie, dans les concepts incohérents qu'il impose à nos enfants.

 

3.2.3.   La granularité nulle de R n'est pas pertinente en physique.

Très peu de grandeurs physiques véritables ont la granularité nulle de R. La charge électrique est toujours multiple entier relatif de la charge élémentaire. L'action est toujours multiple entier de h. Ce sont des exemples de granularité finie totalement définie : des grandeurs nombrables, qui n'ont aucun degré de liberté. Plus nombreux encore sont les exemples de granularité finie floue, pour les grandeurs arbitrairement scalables.

Les nombres de R sont définis comme de largeur infinie, sauf une proportion négligeable d'entre eux, tels que les entiers et les fractionnaires. Or une vie humaine ne nous donne jamais le temps d'écrire un nombre de largeur infinie. Aucun instrument de mesure ne nous donne de mesure dont la précision et la définition soient de largeur infinie. Exceptés en principe les quantiques e (charge de l'électron) ou h , bases de grandeurs nombrables, aucune grandeur physique n'est définie avec une précision infinie. Aucun calculateur ne peut ni stocker, ni calculer de nombres de largeur infinie. Ils sont plus couramment limités à 64 ou à 80 bits, rarement 120 bits. Il existe bien quelques logiciels de calculs, où la largeur des nombres n'est limitée que par la mémoire totale de la machine, mais il faut en payer le prix, en temps de calcul comme en puissance machine.

Or l'ensemble des entiers relatifs Z, n'est pas un corps mais un anneau. Sur un anneau, on ne construit pas des vrais espaces vectoriels, mais des modules. Cette distorsion est toujours renvoyée dans le non-dit de la physique. Intellectuellement, c'est un travail de mathématicien, mais les mathématiciens s'en moquent. Et un physicien qui s'en occuperait, se verrait couper les crédits. No man's land en friche.

Sur le plan topologique, on s'est enthousiasmé pour l'analyse Non Standard de Robinson. Or, si elle est féconde pour fournir une topologie moins coûteuse, avec de bien pratiques voisinages, notamment voisinage de l'infini, elle non plus n'atteint pas encore la cible des besoins de la physique. En fait, elle n'a pas encore été prévue pour traiter de la limitation de la granularité.

Cette hypnose sur la granularité nulle de R a entraîné la physique dans des impasses toujours renouvelées. Notamment, du temps d'Einstein et de Bohr, cela a engendré le monstre de la dualité onde-corpuscule. Nos grands ancêtres étaient tellement inhibés à imaginer des règles numériques et syntaxiques à granularité finie, qu'ils se sont crus obligés - E. Schrödinger excepté, et oublié - de les justifier par des corpuscules néo-newtoniens. Bonjour les dégâts !



3.2.4.   L'acte fondateur de la physique, qui la distingue des mathématiques, est heuristique.

C'est d'abord un aveu d'ignorance, et un aveu d'existence. J'avoue qu'il existe quelque chose dans le monde réel, qui échappe et résiste au libre arbitre de mon imagination, et dont je ne sais pas tout. C'est très différent du théorème d'incomplétude de Gödel. Cela signifie que nous n'avons aucune chance d'écrire dans notre vie le système d'axiomes complet et définitif d'un quelconque des espaces de grandeurs physiques, alors qu'il est certain que nous aurons toute notre vie l'usage urgent desdits espaces de grandeurs physiques. Qu'au contraire, notre système d'énoncés, doit intégrer la certitude que notre travail devra être profondément révisé et remanié par d'autres personnes. Et que cela ne serve pas d'excuse pour continuer à ne rien faire, à ne rien formaliser !

L'aveu d'ignorance et d'existence a été formulé par Bunge (1973). Il visait à l'époque le folklore néopositiviste qui encombre la mécanique quantique, et utilisait cet aveu d'ignorance pour fonder l'attitude réaliste critique. Si je projette de mesurer le niveau d'énergie d'un électron, j'avoue ne pas en connaître tout d'avance, et surtout j'avoue croire à l'existence de quelque chose à mesurer : cet électron, et ce niveau de d'énergie. Si ma mesure créait l'électron et son niveau d'énergie, on peut se demander comment l’Univers a bien pu exister avant que les physiciens quantiques le mesurent, et comment leurs ancêtres ont pu exister et procréer...

Bunge est un des auteurs les plus honnis par les physiciens - mais aucun n'avoue pourquoi. Sans doute parce que Bunge a raison plus souvent qu'à son tour.



3.2.5.   Problèmes de pédagogie quotidienne.

Il semble trop souvent que le but de l'enseignement soit d'empêcher nos élèves de vérifier la signification des symboles et des formules qu'ils ont tant de mal à assimiler (socialement, l'obscurité est sélective) :

          On leur interdit les identificateurs clairs; puisque les vrais mathématiciens qui font de vrais longs calculs ont l'usage d'identificateurs raccourcis à une seule lettre, ils n'imaginent rien d'autre au monde, et veulent imposer ça à des élèves, dont beaucoup n'ont encore jamais maîtrisé un long calcul, de leur vie :

      "Longueur d'onde" = "célérité" . "période" est officiellement interdit... Seul est autorisé : lambda = v .T.

La solution est évidente à un instituteur avisé, qui faisait écrire (avant l'ère de la T.V.A.) :

bénéfice = prix de vente - prix de revient;

          On leur impose de lire et d'écrire des lignes inhomogènes dimensionnellement, où tous les coefficients sont entassés, sans aucun aide-mémoire physique, suivies, mais seulement à la dernière ligne du calcul, d'une unité physique parachutée - et qui est vraie ou fausse, par pur hasard.

On a sous-estimé l'insécurité due à la manie d'interdire aux élèves de porter les unités physiques à l'intérieur des formules de physique, les privant ainsi de pouvoir vérifier la cohérence dimensionnelle de leur écriture. On leur interdit de laisser l'unité à côté de son coefficient, dans l'application numérique des formules physiques.

Prenons un cas très simple, le calcul d'une longueur d'onde à partir de la célérité et de la période.

= 343 m/s . 0,025 s,          si simple, que théoriquement, les élèves ne devraient pas s'embrouiller avec la forme hélas réglementaire (et contradictoire) :

= 343 . 0,025                    (nombre pur !)

= 8,6 m.                            (Coucou ! Je suis redevenu miraculeusement une grandeur physique !)

Contradictoire, disais-je. Cette longueur d'onde est une grandeur physique, mais dans les lignes intermédiaires, on l'a traitée comme un nombre, produit de nombres. En pratique, ils s'embrouillent, nos élèves, et tout n'est de leur seule faute. C'est la doctrine officielle qui marche sur la tête. Les ouvrages des séries de Bringuier, chez Hachette - donc, comme tous les concurrents, sous parrainage d'inspecteurs de l'enseignement -, sont particulièrement riches en exemples de ce Jean-foutrisme :

v(5) = -1,74 5 + 20,83        puis : v(5) = 12,1 m.s-1 = 43,7 km.h-1.

Fin de citation, p16, Bac Pro T2.



3.2.6.   Solutions en pédagogie quotidienne.

La solution est d'expliciter le schéma d'héritage de nombre vers grandeur, et de restructurer nos progressions pédagogiques autour de cet héritage. Avec leurs oeillères de purs matheux, nos professeurs du secondaire font oublier aux élèves ce que les instituteurs leur avaient appris, et que la vie autour d'eux confirme : peu des nombres qu'ils manipulent et calculent représentent vraiment des nombres, mais ont bien vocation à représenter des grandeurs physiques, ou pratiques. Or un nombre qui représente des mètres de tranchée, un qui représente des palettes de lessive, un qui représente un taux d'intérêt composé, et un qui représente la vitesse moyenne d'un mobile, n'ont pas du tout la même vocation à être bombardés n'importe où dans une formule. On peut additionner toutes sortes de nombres. Mais on ne peut additionner des pots de fleurs avec des mètres de tranchées. On peut multiplier toutes sortes de nombres. Mais multiplier une vitesse par une fréquence, ça ne donnera sûrement pas une longueur d'onde.

S'il s'en était souvenu, Elie Cartan aurait sûrement réfléchi à deux fois avant d'écrire des barbarismes dimensionnels tels que "Toute matrice carrée de degré 2n est décomposable en une somme d'un scalaire, d'un vecteur, d'un bivecteur, etc... et d'un n-vecteur." (Cartan 1937). Car les classes des vecteurs, bivecteurs, multivecteurs, tous tenseurs, sont à dériver de la classe des grandeurs scalaires (ils héritent de la variance envers les unités), et non de la superclasse des nombres complexifiés.

Cinq règles à retenir, à titre d'axiomes provisoires :

On ne peut additionner (ou retrancher) que des grandeurs de même nature.

On peut multiplier une grandeur physique nombrable par n'importe quel nombre entier. On peut multiplier une grandeur physique arbitrairement scalable par n'importe quel nombre réel.

Dans la famille des grandeurs physiques, écrire une égalité, suppose qu'on a réussi à définir une méthode expérimentale, et des instruments, pour comparer.

On a alors le droit d'écrire une égalité entre grandeurs, comme 210 mm = 21 cm. Nous exprimons la grandeur physique comme le produit d'un nombre, par une unité de cette grandeur. Il faut avoir défini ou construit un étalon de cette grandeur-unité.

Toute grandeur physique a un inverse, et il n'est pas nécessaire de définir à nouveau une méthode de mesure. Exemples : un décamètre est gradué à 100 divisions par mètre. L'inverse du mètre s'écrit m-1.

On est libres de multiplier une grandeur physique par n'importe quelle autre grandeur physique; ou de diviser par une grandeur physique non nulle. Cette opération est externe : elle génère une autre grandeur physique distincte.

Savoir si le résultat a un intérêt pratique, n'est que la question suivante. On peut montrer que les résultats réellement pratiques forment une structure assez simple et remarquable.

Exemple de bénéfices :

Toutes les conversions d'unités coulent alors de source. On s'impose de n'écrire que des égalités vraies en grandeurs physiques. Par exemple, pour traduire une masse volumique (ici celle d'un acier) donnée dans des unités non S.I., vers le Système International, on commence par écrire la tautologie :

7,8 .  = 7,8 .             Jusqu'ici, on n'a certainement violé ni la physique, ni la mathématique.

Puis on multiplie le second membre par une fraction égale à 1. On la choisit de façon à faire apparaître les éléments d'unités voulus, et faire disparaître, par simplification, les éléments d'unités indésirables. Ici on veut faire disparaître grammes du numérateur, et y faire apparaître kilogrammes, faire disparaître cm3 du dénominateur, y faire apparaître m3. Procédons en deux étapes :

7,8 .  = 7,8 .  . .  = 7,8.      (commutativité nombre.unité)

7,8.  = 7,8. . = 7800 kg/m3.

Aux élèves doués, la méthode peut paraître lourde, peu valorisante, et socialement peu sélective. Ils préfèrent deviner le bon résultat, au flair. Mais tous les autres élèves préfèrent ma méthode : elle est incassable !



3.2.7.   Conséquences dans la stratégie de management des concepts.

Les conséquences stratégiques et managériales, il faut aller les chercher ailleurs, là où elles sont déjà connues, dans une branche d'activité à cycles de vie des concepts, bien plus courts qu'en physique. En science de l'économie d'entreprises, la "drosophile" est l'industrie pharmaceutique. Ici, je suggère l'industrie informatique comme drosophile. Elle peut convenir, dans la mesure où elle est assez bien supervisée par des universitaires très dynamiques, en plus d'avoir été fortement secouée par des entrepreneurs très dynamiques. L'emploi du passé semble hélas se justifier en 1995, où l'avenir étouffe sous un quasi-monopole.

Cela signifie qu'il faut architecturer nos systèmes de concepts, en se centrant sur la nécessité des remaniements de maintenance, soit pour remédier aux malfaçons, soit pour répondre à de nouveaux besoins, comme tenir compte des nouvelles découvertes, ou tenir compte des nouveaux utilisateurs, de cultures bien différentes de celle des pionniers.

A l'heure actuelle de nombreux manuels (surtout dans le technique, et je pense en particulier à la série des Niard, chez Nathan) sont en passe de devenir inutilisables, et bons à jeter si les réformes que je préconise aboutissent, car leurs auteurs n'ont jamais pensé à donner une représentation des phénomènes physiques, qui soit stable envers le remaniement des concepts pseudo-mathématiques auxquels ils ont cru bon d'identifier la physique. Les remaniements étant l'avenir normal et le plus probable, il faut prévoir l'architecture avec le maximum de stabilité, tant globale que locale, malgré tous ces prochains remaniements et corrections. On n'a encore jamais étudié la didactique dans cette perspective des remaniements inévitables, par correction de l'exposé incorrect. On s'est contenté d'envisager la correction des erreurs de l'élève tout seul, qui sont censées ne jamais se propager au niveau professeur, ni n'en provenir. C'est un peu court.

 

3.2.8.   Etouffer le scandale, et continuer comme si de rien n’était.

On pourrait croire que j’exagère, que je noircis le tableau ? Prenons le schéma ci-après, donné en classe, des deux étages d’abstraction dans la résolution d’un problème par l’algèbre.

·      Première abstraction : du problème formulé par le client, vers une schématisation des phrases d’énoncé, l’écriture d’un dictionnaire des variables et de leurs symboles (que ce dictionnaire ait une, deux ou dix entrées) et la transcription par la pose d’un système d’équations.

·      Seconde abstraction, quand la vérification dimensionnelle est terminée et ne révèle plus d’erreurs, alors résoudre le sous-système numérique, par les méthodes algébriques.

·      Seconde désabstraction : restituer les unités physiques, pour répondre en grandeurs physiques au problème physique.

·      Première désabstraction : répondre dans le langage du client, dans des termes qui lui sont accessibles, et qui répondent à son problème. Hé bien, un inspecteur réel, dans un lycée réel, devant les deux flèches du bas, de retour au problème réel, les vivait comme autant d’insultes, dont il a tiré vengeance (1996).

 

3.3.     L’activisme calculatoire dans l’enseignement de la Quantique.

Jean-Marc Lévy-Leblond et Françoise Balibar (LEVY 84) ont décrit la précipitation des enseignants de Quantique à esquiver leurs tâches sémantiques, pour immédiatement plonger dans les particularités mathématiques de leur spécialité. Je confirme : il en est bien ainsi à Lyon 1. Et on verra au sous-chapitre suivant combien ils ont raison de glisser précipitamment loin des fondements sémantiques indéfendables, qu’ils enseignent faute de mieux, faute d’avoir osé approfondir. Voici les mots de ces auteurs :

« La physique quantique se signale par l’importance de ses difficultés conceptuelles et sa complexité expérimentale. Plutôt que de nous abriter, comme c’est souvent le cas, derrière la redoutable efficacité d’une machinerie mathématique bien rodée, nous avons préféré aborder ces difficultés de front. A l’exploration frileuse des solutions d’une équation différentielle très particulière (l’équation de Schrödinger), nous avons préféré la découverte aventureuse d’un immense domaine de la physique de notre temps. Autrement dit, nous voulons permettre un plein accès aux idées de la théorie quantique, par delà les simples manipulations techniques à quoi elle est souvent réduite. Cette réduction, qui depuis cinquante ans, domine la divulgation et l’enseignement de la physique quantique, a des origines historiques évidentes; après la mise au point et les premiers succès de la décennie 1920-1930, la théorie quantique, pour pouvoir connaître une large diffusion, malgré l’obscurité et la difficulté de ses concepts, s’est appuyée sur la clarté et la rigueur de son formalisme. Le débat épistémologique initial sur les fondements et l’interprétation de ces concepts, qui était loin d’être clos, a été peu à peu occulté par un consensus résigné sur l’efficacité des méthodes. D’où cette longue série de livres, réservant pour la forme quelques pages aux problèmes philosophiques, présentant un abrégé de la vulgate orthodoxe (« l’interprétation de Copenhague ») et oubliant aussitôt ces grandes questions, pour passer aux choses sérieuses : séparation des variables dans l’équation de Schrödinger, couplage des moments angulaires, méthodes des perturbations, et autres gymnastiques formelles ».

De son côté, dans son Cours fameux, professé à Caltech en 1963 et 1964 (FEYN 65), Richard Feynman avouait clairement : « Personne ne comprend la Mécanique Quantique ». S'agissant du prix Nobel 1965, pour sa mise au point de l’électrodynamique quantique, l’aveu est d’importance...

En tant qu’étudiant de Physique, je confirme l’anxiété des enseignants, que l’on voit paniquer en quelques secondes, et devenir hargneux, dès qu’on tâche de les questionner sur autre chose que la technique calculatoire, sur la signification physique de ce que l’on calcule, ou qu’on attire leur attention sur la contradiction entre l’hypothèse qui a ouvert le calcul (hypothèse corpusculaire), et le tableau qui se dégage au bout du calcul (strictement ondulatoire). Oui, le calcul à outrance est bien utilisé comme une drogue anxiofuge.

 

3.4.     Le solipsisme activiste de Niels Bohr, et de l’Ecole de Copenhague.

(Ce chapitre est basé sur des extraits de mon mémoire de maîtrise, de mai 1998.)

Parmi les anthropocentrismes actuellement nuisibles en microphysique : « observable », « principe d’incertitude », « dualité », confusion entre réactions quantiques et mesure (elles sont séparées par une vingtaine d’ordres de grandeur de distance), la philosophie néopositiviste de Niels Bohr : « n’a de sens physique que ce que nous humains savons mesurer à ce moment-ci de notre histoire », ou littéralement : « Le mot réalité est aussi un mot que nous devons apprendre à utiliser correctement », « Je conseille d’appliquer le mot phénomène uniquement en référence à des observations faites dans des circonstances spécifiques, incluant la prise en compte de tout le dispositif expérimental. », et « Il est faux de penser que le but de la Physique soit de trouver comment est faite la Nature. La Physique n’est concernée que par ce que nous pouvons dire sur la Nature ».

 

3.4.1.   Le règne de la « dualité onde-corpuscule », et le début de la double-pensée.

Cette dualité est inventée par Einstein, qui ressuscite en 1905 les corpuscules de lumière de Newton, pour illustrer l’irruption du quantum d’action de Planck dans l’effet photoélectrique. Cette dualité sera reprise par Bohr, mais enrobée de magie. Born et Heisenberg ne reprendront cette dualité que sous une médiation statistique : l’onde y calculée par l’équation de Schrödinger, ou ses développements relativistes tels qu’équation de Klein-Gordon (particules sans spin, tels que pions) et équation de Dirac (particules de spin ½, sans interaction forte, telles qu’électrons), ne décrit que des probabilités d’apparition de corpuscules. Cette interprétation statistique a toujours cours de nos jours. Ma propre position est résumée en annexe, avec la reproduction de l’article « L’hypothèse clandestine et dirimante de la géométrie ».

Il semble que Niels Bohr ait été alors le seul à soupçonner en clair que le cadre spatio-temporel qui nous est familier à notre échelle humaine, soit incompétent dans le domaine quantique (MOYER 81). Hélas, il ne l’a exprimé que dans le cadre de la souffrance alors générale éprouvée par les physiciens devant les déroutantes solutions à énergie négative de l’équation de Dirac de 1928, et alors qu’on n’avait pas encore mis la main sur le positron.

 

3.4.2.   Incompatibilités d’humeurs et coup d’état : le congrès Solvay de 1927.

Lire en particulier LOCHAK 92, SELLERI 86.

Le rapport de Born et de Heisenberg, signé finalement du seul Heisenberg consacra l’interprétation probabiliste. Depuis ce congrès, les camps sont tranchés, il y a des vainqueurs et des vaincus : Einstein, de Broglie et Schrödinger sont vaincus, Heisenberg, Pauli, Born, Bohr et Dirac vainqueurs.

Apreté des controverses : « C’est sans doute à la suite du surmenage, qu’après quelques jours, Schrödinger tomba malade et dût garder le lit chez Bohr. Même là, il était difficile de tenir Bohr éloigné du lit de Schrödinger. ... Finalement Schrödinger quitta Copenhague plutôt découragé, tandis qu’à l’Institut de Bohr, nous sentions qu’au moins, nous étions débarrassés de l’interprétation donnée par Schrödinger à la théorie quantique, interprétation trop hâtivement arrivée à utiliser les théories ondulatoires classiques pour modèles. » W. Heisenberg, cité par Franco Selleri.

Deux exemples des amabilités qu’éprouvaient chaque camp à l’égard des idées de l’autre :

« Plus je réfléchis aux aspects physiques de la théorie de Schrödinger, plus ils me semblent écoeurants » écrivit Heisenberg à Pauli.

« Un véritable calcul de sorcières où apparaissent des déterminants infinis à la place des coordonnées cartésiennes. C’est éminemment ingénieux et suffisamment protégé, par une grande complexité, envers toute preuve de fausseté. » écrivit Einstein à Besso.

C’est pourtant la même année où Davisson et Germer fournissent la preuve que les électrons diffractent bien dans un réseau cristallin, et que tout comme les photons, ils n’ont donc qu’une seule façon de se propager : comme des ondes. Jamais comme des corpuscules à la newtonienne.

3.4.3.   Neutralisation et décès des opposants, et hégémonie sans partage.

Typiques par les censures de certains auteurs fondateurs : WAERD 67, et d’autres que je n’ai pas sous la main, par exemple par Heisenberg.

Typiques par leur oubli sélectif : Que leurs noms ne soient plus !

Pour la France, consulter les mémoires d’Abragam (ABRAG 87).

Un antidote parfois : des auteurs russes, qui ne censurent pas tout de suite les fréquences et les périodes brogliennes, ni les vitesses de phase supraluminiques. Ainsi Chpolski (Physique Atomique).

La montée du nazisme et la guerre eurent largement leur part dans l’extinction de la carrière de Schrödinger, obligé de fuir d’exil en exil, ne sauvant que deux valises de Vienne, et demandant à Fermi de le cacher avant de lui trouver un embarquement pour le monde libre.

De Broglie se neutralisa de lui-même jusqu’aux années 50, obligé d’enseigner tout de suite, et donc de remiser ses doutes dans un placard. Un autre élément est frappant dans ses écrits, et qui à mes yeux explique sa longue stérilité (l’homme qui n’a eu qu’une seule idée géniale dans sa vie, brocarde Abragam) : « Le beau résultat de M. Untel, ... la belle théorie de M. Dirac... la pensée si profonde et si complexe de M. Bohr... », c’est cette immense et paralysante politesse, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ! Pour avoir l’énergie nécessaire aux découvertes et aux inventions, il faut être beaucoup plus teigneux que cela ! Pas teigneux envers les gens bien sûr, mais teigneux sur les idées, teigneux sur la qualité des expériences, teigneux sur la qualité des raisonnements scientifiques.

On a beaucoup écrit sur la fin de la carrière d’Einstein, et je n’y reviens pas ici.

 

3.4.4.   Granularité ou atomicité de la réalité physique.

La granularité nulle de R n’est pas pertinente en physique, car les phénomènes en physique ne sont pas indéfiniment divisibles, mais bornés inférieurement par plusieurs atomicités.

Physiquement : je peux observer les grosses vagues du haut de la falaise. Mon observation par la lumière du soleil réfléchie ou diffusée par l’eau et l’écume, ne modifie les vagues que de manière totalement négligeable, comparativement aux interférences de vagues secondaires, aux réflexions sur les rochers, aux risées défléchies par le relief, aux réfractions par les courants et les hauts fonds, aux amortissements par les bancs de goémons, et même comparativement à tel banc de sardines frétillant et aux goélands qui s’en régalent. Mais...

Mais, il n’y a rien de plus petit qu’un électron, et rien de plus petit qu’un photon, et qu’un quantum de moment angulaire. Donc rien qui permette d’observer sans tout changer. Observer contemplativement, c’est fini. Désormais nous ne pouvons qu’agir, et notre action change toujours quelque atome. Par exemple, on oblige un quantum de moment angulaire à changer de propriétaire.

 

3.4.5.   Rien de plus petit ?

Un peu de modestie dans nos certitudes ! Considérons la métaphore suivante :

Dans l’espèce humaine, et surtout de nos jours, les moeurs des jeunes sont compliquées, les flirts sont compliqués, les sentiments vont et viennent, évoluent du doux à l’acide à grande vitesse... Mais du froid point de vue de l’avenir génétique de l’espèce, ne subsiste qu’une grande simplification : au bout du compte un seul spermatozoïde fécondera un seul ovule. Laissons tomber les problèmes de non-viabilité d’embryon, et de mortalité précoce, qui encombreraient la valeur métaphorique de notre exemple. Considérons maintenant une puéricultrice qui ne sache rien des moeurs des jeunes gens, qui ne comprenne rien de rien à l’amour, qui ne sache qu’une seule chose : de temps en temps, de nouveaux enfants arrivent à sa crèche; d’autres partent. Bonne comptable, elle peut dresser des statistiques, observer les variations saisonnières et les variations annuelles, comparer la fécondité dans une mégalopole comme Lagos, et en zone sahélienne en désertification.

Bref, elle sait faire ce que nous, physiciens macroscopiques, savons faire avec ces foutus quantons bien trop petits pour nos grosses mains et nos gros yeux : compter ce qui est stable assez longtemps et qui est assez gros, pour intersecter notre propre monde macroscopique.

Ce qui est plus petit, nous échappe expérimentalement depuis longtemps, et peut-être pour longtemps. Cela ne nous donne aucun droit à nous conduire comme le renard de la fable de La Fontaine, devant les fruits juteux, hors d’atteinte de sa concupiscence : « Ils sont trop verts, et bons pour des goujats ! ». Rien ne nous autorise à nier sans preuve. Même, si verts de rage et de frustration, nous aimerions bien nier ce que nous appréhendons encore si mal. La frustration n’est pas la meilleure conseillère scientifique.

Car nous sommes bien moins désarmés qu’on s’est persuadés de le croire. Des outils existaient, mais nous les avons jetés avec l’eau du bain, histoire de bien trancher entre les vainqueurs et les vaincus. Depuis 1924, on connaissait les périodes caractéristiques de l’électron au repos (8,0933 . 10-21 s/cycle, et du proton au repos (4,40775 . 10-24 s/cycle). Il ne restait plus qu’à s’en servir, au lieu de les censurer précipitamment. Par exemple, on pouvait faire la thermodynamique des réactions électroniques des cortèges atomiques, et voir quand l’irréversibilité statistique se manifestait obligatoirement. Et de même la thermodynamique des réactions nucléaires.

 

3.4.6.   La confusion entre réaction quantique, et mesure.

Excepté par Bunge (BUNGE 73), les sophismes de l’école de Copenhague ont été très peu relevés : ce ne sont ni l'appareil de mesure macroscopique, ni le psychisme d'un humain qui déterminent le résultat de la réaction quantique. Simplement, il n'y a d'effet macroscopique, donc mesurable par nous humains, que s'il y a eu réaction quantique - ou qu’on peut opposer présence ou absence d’une telle réaction quantique. Hypnotisés par la remarquable combativité de Niels Bohr (SELLERI 86, SEGRE 84), nos aînés en ont oublié de dégager le concept de réaction quantique.

Simplement, le concept de réaction quantique se transfère de celui bien connu de réaction chimique (ou nucléaire) par abstraction vers la classe abstraite des réactions, et par instanciation de cette classe.

 

 

Un exemple parmi des centaines qu’on peut extraire de la littérature : « même si dans une expérience donnée, on ne mesure pas la charge des particules, un électron et un positron ne seront jamais traités comme des particules identiques. » Notre victime est ici le Cohen-Tannoudji (CTDL 88), page 1365. Tout autre traité aurait aussi bien fait l’affaire.

On aurait dégagé le concept de réaction quantique, on aurait pu s’inquiéter en temps utile de la durée réelle des phénomènes transitoires, au lieu de se contenter de prononcer plus fort, et d’écrire en caractères italiques le mot « état », que l’on prenait soin de ne pas définir. Or, à en juger par l’usage qu’ils en font, ils désignent par « état » un état stationnaire, ou une évolution stationnaire entre deux réactions quantiques : celle qui lui a donné naissance, et celle qui va l’absorber, autrement dit, cela correspond à un ou des segments d’un diagramme de Feynman, entre les apex.

 

Dans un diagramme de Feynman, la réaction quantique correspond aux apex du graphe. Deux apex sont reliés par un propagateur-temporisateur : propagation d'un photon, existence d'un électron, etc.

 

On aurait alors pu distinguer entre les réactions quantifiantes telles qu’une transition électronique avec émission ou absorption de photon, et les non-quantifiantes, telles qu’une réflexion de photons dans un miroir, ou d’autres qui ne font pas intervenir de conditions de résonance : de l’impulsion change bien de propriétaire, mais aucun quantum de moment angulaire ne change de propriétaire.

On aurait alors aussi pu distinguer entre réactions avec thermalisation et thermodynamique, qui créent de l’irréversibilité, et celles qui ne thermalisent rien, et ne décohèrent donc rien. On a commencé à le faire, mais avec soixante ans de retard.

 

On n’observe l’irréversibilité postulée, que si les conditions expérimentales permettent une thermalisation sur un nombre notable de particules. Ainsi, la réémission spontanée d’un photon par un atome excité, quelques dix nanosecondes après avoir absorbé cet excédent d’énergie, par exemple en absorbant un photon, est un phénomène thermalisé, et il n’y a donc plus aucune relation de phase entre le photon absorbé et le photon émis. Le photon émis, ne dépend plus que de l’atome excité, et plus du tout du moyen d’excitation . En effet, dix nanosecondes est une durée énorme, comparée à la période broglienne[2] de chacun des électrons du cortège de cet atome : environ 8,09 . 10-21 s/cycle (0,08 attosecondes par cycle), environ mille deux cent cinquante milliards de fois la période broglienne de l’électron. Les électrons ont donc eu largement le temps de s’informer l’un l’autre de l’absorption d’un photon, et de s’en partager l’énergie en conséquence.

De même, dans une double réaction nucléaire typique, passant par un état de noyau excité, telle qu’on en produit sur l’accélérateur d’ions lourds de Darmstadt, telle que :

                  

où la seconde réaction n’intervient qu’après thermalisation sur l’ensemble des nucléons du plomb 200. La durée de demi-vie du plomb 200 fortement excité est de l’ordre de 10-20 s. Bien sur, c’est très bref à l’échelle humaine, et la tentation est grande, dans notre anthropocentrisme outrecuidant, d’abandonner tout sang-froid, et d’abandonner immédiatement tout raisonnement.

Mais comparons à la période broglienne des neutrons : Tau0 =  = 4,4016 . 10-24 s/cycle. Sur deux mille trois cent périodes brogliennes de nucléon, ou quatre cent cinquante mille périodes brogliennes de noyau, les nucléons ont donc largement le temps de s’informer l’un l’autre de ce qu’il leur arrive. Le schéma plus haut n’est pas valide à toutes énergies. A de plus hautes énergies d’impact, le noyau-cible est directement brisé en fragments : l’énergie d’impact n’a pas eu le temps de s’équirépartir. A de plus hautes énergies encore, il est vaporisé directement en nucléons sans aucune thermalisation, et les calculs de diffusion par la méthode des phases, deviendraient valides, pour autant qu’on sache les mener sur un nombre de particules aussi élevé.

Depuis l’interprétation probabiliste des fonctions d’ondes de Schrödinger, par Max Born, tout le monde répète et enseigne des phrases qui n’ont de sens qu’à condition de s’imaginer un corpuscule néo-newtonien, mais doué de magie et de fantaisie : « probabilité de présence », « aspect corpusculaire »,

On n’ose penser à la réplique que le dessinateur Reiser eût prêté à un de ses bonshommes mal élevés, devant cette accumulation de probabilités d’apparition... Apparition du corpuscule néo-newtonien ? Et la vierge de Fatima ? Elle est avec ?

 





 

3.4.7.   Les « trajectoires » des chambres à bulles.

Les trajectoires de chambre à bulles (à brouillard pour commencer) ont induit les naïfs en erreur : "Vous voyez bien que les particules sont des corpuscules, puisque que nous enregistrons leurs trajectoires !". Or chaque bulle résulte de réactions quantiques entre la particule et les électrons des atomes ionisés par la bousculade. Vu l'énorme écart d'impulsion entre la particule incidente, et chaque électron bousculé, les réactions successives sont "bien" alignées... à l'échelle de l'oeil humain, sans plus. Les belles trajectoires filiformes (au moins 1000 µm2 de section, c'est à dire énormes comparées à l'échelle atomique) prouvent bien la conservation de l'impulsion, de réaction à réaction, mais ne prouvent aucun corpuscule. On s’obstine à amalgamer une affirmation microscopique, avec des réalités macroscopiques, séparées par vingt ordres de grandeur environ.

3.4.8.   Les calculs qui sont l’occasion de restaurer en fraude le corpuscule.

Typique dans les livres classiques, tels que le C-T, D, L (CTDL 88), est le calcul des termes de structure fine, comme la correction de Darwin. On y calcule froidement des termes coulombiens en fonction de distances classiques à une particule ponctuelle classique. Puis on pondère par une fonction de probabilité de présence, qui finit par donner par magie un résultat apparemment correct.

Puis on argumente : vous voyez bien que j’ai raison de ne faire ni philosophie ni sémantique, puisque je retrouve toujours les bons résultats ! Le bon calcul et le bon résultat justifient tout !

Sauf que selon l’hypothèse de Schrödinger de 1926, la forme mathématique de la « fonction de probabilité » avait un tout autre usage physique : c’était la fonction de répartition spatiale de l’électron diffus autour du noyau, et de sa charge électrique diffuse. Même calcul formel, physique bien différente. Cet argument habituel pour le corpuscule, ou pour le tantôt-corpuscule est donc logiquement nul.

On peut ouvrir n’importe quel manuel, dans n’importe quelle spécialité dont l’auteur ait nécessairement assimilé, et longuement pratiqué le formalisme quantique, lequel est strictement ondulatoire. Et pourtant dans chacun, les schémas fondamentaux de représentation interne à l’auteur, et exprimés au lecteur, sont restés corpusculaires. L’entendement du formalisme ne percole jamais au delà du calcul, jusque vers la représentation mentale. Exemple : S. M. Sze, Semiconductor Devices; Physics and Technology. Wiley 1985, page 7 « Each electron spends an equal amount of time with each nucleus. However, both electrons spend most of their time between the two nuclei. »

 

 

 

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[1] Composante : projection sur un axe du repère; elle est donc encore un vecteur de même nature. La coordonnée est la mesure algébrique de cette composante, soit le quotient de la composante, par le vecteur unitaire de cet axe. La coordonnée naturelle est donc un simple nombre. Les choses se compliquent quand on veut rapporter d'autres grandeurs physiques vectorielles, sur les mêmes vecteurs de base; par exemple, les coordonnées d'une quantité de mouvement (kg.m/s), projetée sur une base de longueurs, seront exprimées en kilogrammes par seconde.

[2] Lors de sa thèse « Recherches sur la théorie des quanta », soutenue en 1924, Louis Victor de Broglie postula que la relation d’Einstein, reliant l’énergie à la fréquence, pour un photon, fut valide pour toute autre particule, même de masse non nulle : W = hn : l’énergie totale W (énergie de masse, plus énergie potentielle, plus énergie cinétique) est égale au produit de la fréquence (n) par le quantum d’action de Planck (h). Louis de Broglie postulait donc que toute particule fut de nature ondulatoire. Ce fut, mais après sa soutenance, le début d’un succès expérimental sans précédent, et ininterrompu depuis, en commençant par l’expérience de Davisson et Germer en 1927, qui prouvait que les électrons interféraient bien sur les réseaux métalliques cristallins, tout comme les rayons X, et qu’ils sont donc bien des ondes, au moins durant tout leur temps de vol entre deux réactions.

Ce qui a tout compliqué à tout le monde, y compris de Broglie lui-même, c’est qu’on a voulu faire nègre-blanc : à la fois ondulatoire ET pas-ondulatoire. Bonjour les dégâts ! Les dégâts sont toujours en place de nos jours, jamais corrigés.