La persistance de schèmes infantiles dans l’enseignement des mathématiques et de la physique. Suite. 

Exemples d’activismes anxiofuges dans l’enseignement des sciences 

4.1.       « Je fais le produit en croix ! » 

4.2.       Angles ? de quelle sorte ? 

4.3.       La réticence à dégager la notion de fonction en triplet, du seul « je calcule ».

4.4.       La primauté frustrée du « Je fais », et ses vengeances sur la question « Oui, mais sur quoi ? » 

5.      Un obstacle aux corrections : les harcèlements par confusions transférentielles.

« Je t’ai reconnu ! Tu es tous les (gnagnagnah !) que j’ai toujours rêvé d’abattre ! » 

« Non, les gars ! Vous n’avez pas les pieds sur Terre ! » 

6.      Pour devenir une science ? 

7.      Le geai se pare des plumes du paon.

7.1.       Le stade des pionniers.

7.2.       Le stade de l’enseignement routinier.

7.3.       perte de l’esprit scientifique par l’enseignement de masse.

8.      Défectuologie : étude des fautes professionnelles collectives.

8.1.       La brimade par le mauvais outil : l’écriture à outrance.

8.2.       Cette révérence envers l’outil scriptural, est responsable.

8.3.       Le calcul-rien-que-calcul comme activité anti-pensée.

8.4.       Savoir clore le temps du flou heuristique ? 

9.      Les difficultés de mener la lexicalisation à son terme 

9.1.       Décodage par contexte.

9.2.       « Collisions inévitables, collisions évitables.

9.2.1.      Collisions phonétiques.

9.2.2.      Entassements de concepts sous un même morphème.

9.3.       La responsabilité des scientifiques envers le vocabulaire.

10 . L’instinct territorial et ses frustrations : « La science, c’est moi ! » 

11 . 1.        La renonciation à tailler un territoire personnel.

10 2 .     Le rôle du mensonge.

10 . 3 .       Chapelles ? Vous avez dit chapelles ? 

11 .        Le rôle des inhibitions de l’action dans ces persiflages, ces incivismes, ces procès d’intention.

11 . 1 .       En linguistique.

11 . 2 .       Les persiflages en sciences et techniques.

12 .        Conclusion générale.

13 .        Bibliographie.

14 .        Annexe 1 : L'hypothèse clandestine et dirimante de la géométrie.

15 .        Annexe 2.   Ils ont mathématisé de travers.

 

La persistance de schèmes infantiles dans l’enseignement des mathématiques et de la physique. Suite.



4.      Exemples d’activismes anxiofuges dans l’enseignement des sciences

4.1.     « Je fais le produit en croix ! »

A ma grande surprise, cette exhortation, « Je fais le produit en croix ! » était commune à tous ceux de mes élèves de B.E.P. qui sortaient d’une classe de 3e technologique. Que la situation ait ou non une ressemblance avec une proportion, une relation linéaire, ou « recherche de quatrième proportionnelle » (ce qu’on appelait autrefois une règle de trois) n’avait aucune espèce d’importance, n’était même pas regardé.

Bôf ! On ne leur avait pas appris à reconnaître une situation, mais à placer une action. Anxiofuge ?

 

4.2.     Angles ? de quelle sorte ?

Second exemple : l’extrême réticence des professeurs de mathématiques à dégager de quelle notion d’ « angle » il va s’agir aujourd’hui.

En collège et en lycée, nous enseignons à nos élèves de certaines sortes d’êtres mathématiques, que nous appelons « angles ». « Soucieux de rigueur », nous ne prenons pas la peine de distinguer entre un secteur angulaire (la portion de plan comprise entre deux demi-droites de sommet commun), et un angle : le truc qui réoriente un machin. Toujours « soucieux de rigueur », entre les six sortes d’angles mathématiques que nous leur enseignons selon l’année et la matière, nous ne prenons pas la peine de les distinguer entre eux (pour la simplicité, nous n’avons pas inclus les angles de spineurs, d’un bien autre programme universitaire) :

 

angles

orientés

non orientés

Complets

retordage d’un fil : de moins l'infini à plus l'infini

usure d’un arbre, d’un moteur : de 0 à + l'infini

De vecteurs

équivalents par leurs sinus et cosinus : de 0 à 2Pi, ou de - Pi à + Pi.

transporté par fausse-équerre de menuisier : de 0 à Pi.

De droites

équivalents par leurs tangentes : de - Pi/2 à + Pi/2.

fausse-équerre hypothétique de charpentier : de 0 à p/2.



Et pour tout arranger, au lieu de dire à nos élèves que chaque usage, par chacun des métiers qui en a besoin, est respectable, mais distinct, nous les invitons à se joindre à notre mépris envers telle acception « archaïque », et à adhérer à l’acception victorieuse du jour.

 

 

4.3.     La réticence à dégager la notion de fonction en triplet, du seul « je calcule ».

En 1969-1970 (époque d’une réforme inspirée par Lichnérowicz), j’étais chargé d’enseigner aux élèves un schéma rigoureux, et révolutionnaire pour l’état de l’enseignement à l’époque :

Une fonction est un triplet, constitué d’un espace de départ (E), d’un espace d’arrivée (F), et d’un graphe, qui est une partie du produit cartésien E × F.

 

 

Cet ensemble graphe peut être donné en extension (énumérer les éléments), ou en compréhension, par exemple par un algorithme ou une prescription de calcul (faire que y vaille ax²).

Or, au cours du 18e et du 19e siècles, cette notion ne s’est dégagée que réduite au seul graphe, qui lui-même était réduit à la seule possibilité d’un calcul uniforme. Autrement dit, à l’activisme « Je fais ! », tandis que les espaces d’arrivée et de départ étaient implicitement tenus comme à disposition du mathématicien.

Tous les manuels de mathématiques du secondaire, tous les manuels de physique actuellement disponibles, enseignent la confusion entre nombres et grandeurs physiques, alors que la première page (jointe en annexe) du « Treatise on Electricity and Magnetism » de James Clerk Maxwell,

 

 

exposait cette distinction en 1873, en termes d’une clarté irréprochable (LAVAU 97). Or de très nombreuses fonctions de la physique ne concernent que des ensembles de grandeurs physiques, et pas du tout des ensembles de nombres.

Après la vague de rigorisme ensembliste due à Lichnérowicz, au lieu de corriger pragmatiquement par petites touches, on a tout jeté à la poubelle, et on est retourné loin dans le passé, voire dans une attitude réactionnaire. Le balancier est allé à fond dans l’excès contraire, et y resté depuis : il est devenu interdit de définir quoi que ce soit, il faut respecter toutes les contradictions et absurdités transmises par la tradition sédimentée. Jusqu’aux fonctions trigonométriques qui sont redevenues des « lignes trigonométriques », ce qui fait bien cent dix ans de péremption : ces « lignes » remontent au 19e siècle, quand on ne distinguait pas encore un segment d’une droite, et où les six segments « sinus, sécante, cosécante, cosinus, tangente, cotangente », étaient découpés sur une figure attenant au cercle trigonométrique, segments que plus personne ne sait ni n’enseigne de nos jours.

 

Mais dans cette régression réactionnaire, je cherche en vain le respect dû à nos clients, le respect de leurs besoins de recevoir des systèmes de concepts fiables et réutilisables en sécurité.

Je fais, oui, mais sur quoi ? Où sont les limites de validité des méthodes apprises sur tel ensemble, si on refuse de considérer l’architecture des abstractions et des généralisations ?

 

4.4.     La primauté frustrée du « Je fais », et ses vengeances sur la question « Oui, mais sur quoi ? »

Les persiflages interprofessionnels ont presque tous pour base : « Ils veulent nous empêcher d’agir ! ».

Envers la profession plus intellectuelle, c’est évident : « Avec leurs complications et leurs coupages de cheveux en quatre, ils veulent nous empêcher d’agir ! ».

Envers les professions moins intellectuelles, c’est un peu plus subtil à dégager.

Je prendrai un exemple vécu. Vers janvier 1985, la revue List, émanation provisoire de la défunte L’Ordinateur de Poche, publiait un article de mathématicien, expliquant que ni la base binaire, ni une base de numération supérieure à quatre, telle que notre dix à nous humains, ne conduisait à une optimisation des machines à calcul, mais qu’à condition que l’on sache réaliser des bascules à trois états, la base trois serait la meilleure de toutes. Il justifiait ses affirmations avec des graphes irréprochables. L’électronique ne nous fournit, depuis de nombreuses années, que des bascules à deux états, et non à trois, aussi la numération binaire s’est imposée dans toute cette industrie. J’étais en stage de formation continue, en électronique et en informatique industrielle. Un de mes collègues en formation, ingénieur de production, tout en mâchoire, et très porté sur l’affirmation, entreprit de démolir l’article : « Il a pas les pieds sur Terre, ce type là ! », et était furieux qu’on l’ait publié.

Je n’ai jamais réussi à lui faire admettre que nous sommes une société assez riche pour payer des mathématiciens, qui nous montrent des informations dont nous n’avions pas la moindre idée, qui défrichent des domaines que nous ne soupçonnions pas, et explorent des chemins d’optimisation, sans forcément savoir d’avance si la technologie suivra ce chemin un jour, ou en prendra un autre. Je n’ai pas réussi à lui faire admettre que la profession de l’autre, que le travail de l’autre, étaient respectables et utiles. Son intolérance voulait tout assujettir, et imposer le silence dans les rangs.

 

5.      Un obstacle aux corrections : les harcèlements par confusions transférentielles.

« Je t’ai reconnu ! Tu es tous les (gnagnagnah !) que j’ai toujours rêvé d’abattre ! »

Innombrables exemples sur des forums internet, mais ceci a fait d’un autre mémoire, dans l’unité « Groupes et entretiens ».

 

Variante imprévue : « Je t’ai reconnu ! Tu es les réactionnaires que nous avons vaincus (en 1927 pour le cas des physiciens quantiques courant majoritaire, autres dates pour d’autres exemples dans d’autres branches) ! Vous ne voulez pas reconnaître la victoire de notre révolution ! » alors que souvent, on leur reproche au contraire d’avoir conservé telle quelle une faute grave, qu’ils avaient empruntée à l’air du temps, sans s’en défaire, donc d’avoir été bien insuffisamment révolutionnaires, laissant leurs chevaux sur un îlet au milieu du gué.

 

« Non, les gars ! Vous n’avez pas les pieds sur Terre ! »

Cette dernière citation littérale, a été criée en salle des professeurs de Lycée Professionnel, en lointaine banlieue est-parisienne : un professeur de peinture automobile entrait en violente colère contre le fait que j’étudiais un volume de métallurgie, dont j’allais projeter quelques micrographies au rétroprojecteur pour mes élèves. Pourquoi la colère ? Pourquoi à moi seul, j’étais devenu « les gars » ?

 

Ma conjecture est que les persiflages interprofessionnels procèdent presque tous de la peur et du procès d’intention : « ils veulent nous empêcher d’agir ! ».

J’ai des raisons conjugales de penser que cette terreur irraisonnée n’a pas ses racines premières à l’école, mais bien avant, à la maison. Par exemple un père qui exige trop que sa fille réfléchisse avant d’agir, sans renseignements suffisants, et à un âge bien trop précoce, où l’on exige de la pensée presse-bouton, pour une action de son âge. Ou bien d’autres exemples de frustration de l’action, dues à des inhibitions et interdits maternels.

 

6.      Pour devenir une science ?

Pour qu’un champ d’études et de connaissances devienne une science, il lui faut :

1.    une délimitation de son objet,

2.    une première liste (non négociable, mais encore enrichissable) de ses épreuves de réalité,

3.    et une socialisation rationalisée et transparente, prenant en respect tous ses clients.

Autrement dit, il lui faut se donner les critères d’un pilotage en exactitude, et donner à une surveillance extérieure les moyens de vérifier si ce pilotage en exactitude est bien respecté.

 Le premier point a été traité, par exemple par Saussure, quand il a défini le champ de la linguistique générale. D’autres sciences peuvent mettre plus longtemps, redéfinissant plusieurs fois leur objet. Cette lenteur et ces aléas doivent être acceptés avec sang froid : cela fait partie des complications de la vie.

 Le second point technique renvoie moralement au troisième : choisir ce qu’on respecte, renvoie à garantir ou non, et à qui, la fiabilité et la validité des énoncés que l’on diffusera.

 Je prendrai mes exemple principalement dans la mathématisation de la physique. Mon propos est que cette pratique ne s’est encore jamais souciée de devenir une science, conservant au contraire une ambiguïté fondamentale sur son statut : scientifique ? ou coutumier ? Elle n’a pas délimité son objet, elle n’a pas listé ses critères de réalité et d’exactitude, elle n’a pas défini contractuellement le respect de sa socialisation, ni n’a identifié les cercles de clients qu’elle se donnerait pour devoir de respecter.

J’ai pris ici « cercle » au sens de l’environnement social concentrique, que je compare à cette notion commune au monde indo-européen, exprimée en latin archaïque par « hostis », et en védique par « arya » : ceux qui sont avec vous en relation d’égalité des droits d’hospitalité, de réciprocité dans le devoir d’hospitalité, sans toutefois être de votre famille proche, donc qui sont en relation d’exogamie possible, au lieu d’être suffisamment étrangers pour n’être qu’un gibier d’esclavage.

Pour prendre mes exemples dans la mathématisation de la physique, je parlerai à nouveau des rejets hâtifs d’épreuves de réalité préconisées par le voisin. Le physicien rejette avec mépris tel critère de cohérence mathématique et logique, lui refusant le statut d’épreuve de réalité valide. Dans la pratique, lui ne reconnaît comme critère de réalité que l’indication lue sur un cadran d’appareil de mesure, et - au moins jusqu’à ce jour - persiste à rejeter la prévision des symétries correctes. Réciproquement, le mathématicien rétorque par d’autres mépris tout aussi déplacés, envers des épreuves de réalité qui lui paraissent bien trop terriennes.

Ces exemples renvoient non seulement à une myopie technique, mais surtout à une carence morale : Chaque spécialité scientifique entend se définir de l’intérieur, en prolongeant le privilège ecclésiastique d’exterritorialité qui fut celui de la Sorbonne, au moyen-âge. Chaque spécialité entend n’avoir de comptes à rendre à personne, et n’avoir personne à respecter. L’articulation entre le particulier et sa profession, ressemble à un contrat social tacite : j’adhère pour que tu me protèges du regard des autres, que tu me dispenses de rendre des comptes aux autres, les profanes et autres infidèles à la vraie foi.

Le premier critère de socialisation, entre pairs, est généralement bien compris : je dois pouvoir partager mes expériences et leur interprétation avec des collègues qui ne parlent pas la même langue, qui n’ont pas la même religion, ni les mêmes opinions politiques. Ceci implique des affirmations restreintes à ce qui peut être mis en commun entre nous, donc le renoncement à des tas de considérations esthétiques, mystiques, etc. Mais doit-on aussi renoncer à une moralité scientifique explicite et vérifiable ?

Le second cercle de socialisation est nettement moins bien traité : le respect interprofessionnel, le respect de mes clients immédiats, et de mes fournisseurs immédiats. Les discours officiels à ce sujet, souvent irréprochables, sont contredits sur le terrain des amphis, des salles de cours, des couloirs, des machines à café, voire des manuels de cours, par force persiflages, désinvoltures, et autres conduites de fuite-ou-combat (fight or flight syndrome).

Considérons la société entière comme le troisième cercle de socialisation. C’est bien en sanction de son mépris envers les deuxième et troisième cercles, que Karl Popper critiquait la psychanalyse (en tant qu’organisation, dirigée par Sigmund Freud) comme une non-science, et comme une religion attachée à un clergé. Elle se permettait de remanier ses affirmations à l’infini au fil des embarras, sans jamais prendre le risque d’énoncés nets, risquant d’être nettement démentis par l’expérience. Sigmund Freud fondait ainsi son clergé suiveur à mépriser, et à se méfier de tout le cercle de vérification externe : ils se sont maintenus à l’écart de la communauté scientifique. Ils prirent l’habitude de disqualifier automatiquement leurs contradicteurs : « Oh ! Mais c’est votre résistance ! Plus vous nous résistez, et plus vous prouvez que nous avons raison ! »[1].

Ce respect implique que le processus de lexicalisation du scientifique soit achevé : au lieu de se contenter comme les enfants de savoir dans quelles phrases tel mot est à sa place sans provoquer de haussements de sourcils, il doit pouvoir donner et respecter une définition fixe et contractuelle de chacun de ses termes, ancrée dans des expériences vérifiables par tous.

L’idée générale de ce paragraphe n’est pas de moi : elle est enseignée par les ingénieurs qualiticiens. Avant les mesures techniques pour la réaliser, donc bien avant les outils de son contrôle, dès les premiers stades de la conception et de la fabrication, la qualité commence par un choix moral, et se continue par un choix politique d’arbitrage et de pondération entre les priorités compliquées, à accorder à chaque catégorie de « client » généralisé. Le client strict, est celui qui paie pour le produit ou le service, qui a donc le droit de vote principal, avec son portefeuille. Si celui-là seul est respecté (et l’est-il ? Ou seulement son portefeuille ?), alors bonjour les dégâts et les effets pervers, mais je renvoie le lecteur à des ouvrages spécialisés (La pratique du QFD, La qualité totale dans l'entreprise, Les outils des cercles et de l'amélioration de la qualité, tous trois aux Editions d’Organisation).

Bien qu'aucun physicien faisant oeuvre d'historien des sciences n'ait le tempérament d'un faussaire - tous situent scrupuleusement le contexte expérimental, et ils pensent assez lucidement au contexte conceptuel - tous ceux que j'ai lus falsifient systématiquement les mathématisations de leurs devanciers[2], en toute inconscience[3]. De la même façon qu'en 1888 (à une époque où le concept de charge électrique était encore très très flou[4] : l'électron n'était pas encore inventé, il n’a été inventé qu’en 1891, et prouvé en 1897), Heaviside a remplacé la loi originale d'Ampère, par une autre, de son crû[5], avec "produit vectoriel", et ne respectant évidemment plus le cahier des charges initial d'Ampère (forces centrales, action opposée à la réaction, avec une même droite d’action comme support). De nos jours, c’est toujours la loi de Heaviside qui est enseignée sous le nom d’Ampère. Tous ces historiens deviennent automatiquement anhistoriques comme des enfants, perdent tout recul envers leur pratique présente, dès qu'il s'agit de la mathématisation de la physique. Nous ignorons encore le pourquoi de cet aveuglement spécifique des physiciens sur leurs mathématisations.

S'il se trouvait un ethnologue qui comprenne le cahier des charges, et les enjeux didactiques de cette mathématisation élémentaire, il pourrait trouver la question passionnante. Nous savons en revanche, y compris par les publications de l'Académie des Sciences[6] (cf. les violences verbales de la séance du 19 novembre 1984) que l'investissement narcissique dans le mythe de l’infaillibilité méthodologique, sert à compenser les carences en épreuves de réalité. Moins on a d'épreuve de réalité, plus on compense par un narcissisme chatouilleux. Toute critique de fond, portant sur la méthodologie, et qui vienne de l'extérieur, même "indulgente", même "très gentille", provoque une vive blessure narcissique, et déclenche le fight-and-flight syndrome. Si l'on tient compte des nombreuses plaisanteries fort peu indulgentes envers telle autre corporation voisine-indispensable-méprisée-redoutée, qui s'entendent dans les laboratoires, voire les amphis, on doit alors retenir que l'adhésion affective à une corporation entraîne généralement un contrat tacite du genre : Nous nous garantissons entre nous un sentiment de supériorité et d'infaillibilité méthodologique, qui nous permet de mépriser autrui, et ses autres et étranges méthodes. D'autant plus que l'autre, est concurrent dans les attributions de crédits de l'Etat.

 L'adhésion à une corporation, et à son arrogance, permet d'oublier que l'acte d'irrespect envers l'infaillibilité des experts, - soi y compris - est l'acte fondateur des sciences. L'irrespect ne suffit évidemment pas, mais sans lui, adieu la science, et bonjour le fayotage envers les puissants du jour. Nous avons en Europe le privilège d'avoir vu le prototype de ces actes fondateurs : Christophe Colomb a découvert le continent impossible, l'Amérique. En 1500 à Rome, année du Jubilé de la chrétienté, tout le monde en parlait : les livres de géographie avaient été pris en flagrante erreur. Nicolas Copernic était à Rome en 1500. Il a pris la balle au bond : Si les livres de géographie sont faux, alors d'autres livres peuvent être faux, par exemple l'Almageste de Ptolémée. On connaît la suite, bien qu'on aime oublier le début.

 Les actes de fermeture d'une corporation aux méthodes et aux critiques venant d'ailleurs, ont notamment privé les physiciens de la distinction claire entre les phases de recherche, où tout ce qui est heuristique est bon (y compris le flou heuristique et l'analogie), et les phases de consolidation, où il y a encore du talent à déployer pour tout déminer et tout mettre en forme - phases qu'ils négligent. Pour le moment, la plupart résistent des quatre fers à tout déminage, et à toute idée de contrôle-qualité, capable de faire valoir les intérêts des clients - élèves et contribuables - contre les paresses et les narcissismes des producteurs-rois. Or la dialectique avec un contrôle-qualité externe et incorruptible, est aussi nécessaire à la physique, que l'Etat français à la Corse, et la Cour des Comptes aux municipalités.

 

 

7.      Le geai se pare des plumes du paon.

Pour pouvoir confronter le mythe du pilotage en exactitude, fondateur des sciences, avec la réalité, il faut considérer les délais de la rétroaction, et son pouvoir de corriger vraiment les grosses erreurs. Du point de vue du métier du cybernéticien, il faut considérer deux stades.

 

7.1.     Le stade des pionniers.

Le premier stade, est celui qui se déroule sur le front actif, entre pionniers, tous de vrais scientifiques de vocation. En effet, le pilotage en exactitude est plutôt efficace sur le front actif de la recherche, là où sont concentrés les esprits vifs et aventureux, et quand le cycle énoncé-vérification-correction est court : l’énoncé prouvé faux n’a pas eu le temps de se propager en grand, de devenir dogme enseigné du lycée au chercheur, mais est restée circonscrit à quelques spécialistes.

Toutefois, les effets pervers de la spécialisation à outrance n’ont encore aucune parade efficace.

La spécialisation a pour effet de circonscrire la curiosité à un tout petit domaine, et la balkanisation du savoir en petites chefferies a trouvé les moyens de multiplier les sanctions et répressions obliques contre toute curiosité qui déborderait le microscopique champ de la spécialité. Cela restreint d’autant les regards critiques externes, et l’efficacité des garde-fous.

 

7.2.     Le stade de l’enseignement routinier.

Très vite, il faut considérer un système bien plus complexe, le système Science plus Enseignement, avec ses modes de couplage sur un long terme.

L’arrière du pays conquis n’est occupé que par des gens de l’arrière, qui n’expérimentent plus, qui n’ont pas le temps de vérifier profondément, qui sont là pour la sécurité de l’emploi, et qui sont déjà très occupés par les difficultés posées par les élèves. D’une part, quand l’énoncé prouvé faux est enseigné à des millions d’exemplaires, à tous les étages des manuels scolaires et universitaires, le souci de prestance l’emporte sur toute honnêteté : « On ne peut quand même pas être si nombreux à s’être trompés à ce point depuis 150 ans ! Cela ferait beaucoup trop d’imbéciles ! » objectait l’un d’eux. Et cela lui suffisait.

Que disait-on déjà, dans les manuels enseignant la qualité ? Ou encore, dans les études sur la sécurité, sur la genèse des grandes catastrophes, telles que Bhopal, ou Tchernobyl, ou tant d’autres ? Cette suffisante présomption d’avoir tout compris, tout prévu ?

D’autre part le cycle d’apprentissage de l’énoncé faux est réparti sur plus de dix ans de formation, et plus de trente ans de carrière. Plus personne ne sait par bout piloter ni réformer le monstre : les temps de réponse sont trop nombreux, et bien trop longs. C’est ainsi que la mathématisation de la physique, et dans une moindre mesure, la production de concepts de la physique échappent en fait à tout pilotage en exactitude, et sont donc loin d’être toujours scientifiques. La question des temps de réaction peut être très inquiétante. De plus, le système d’enseignement est avant tout tourné vers lui-même, et il est généralement ignorant de ses insuffisances, qui ne sont mises en évidence que loin en aval, chez les industries clientes, ou chez les chercheurs. Selon les branches, les clients peuvent être forts, comme ils le sont par exemple en géologie, en chimie, ou en informatique, et alors leurs réclamations sont efficaces. Les clients peuvent être faibles ou très faibles devant les fournisseurs; c’est généralement le cas en mathématiques, et en physique. Leurs réclamations ne sont jamais prises en compte par les fournisseurs tout-puissants, tandis que les auteurs de manuels se recopient les uns les autres. Les zones de non-qualité sont alors nombreuses, et parfois de grande taille.

Contre exemple : durant ma scolarité, l’hypothèse de dérive des continents de Wegener agitait les géographes, ainsi que les professeurs de géographie. Certains étaient tout à fait contre. Mais la question restait une affaire de conscience et de connaissance individuelles. Elle n’était pas gravée dans le marbre des programmes. Et les choses se sont arrangées en douceur, sans drames. Il en irait différemment si le dogme de l’inexistence des deux continents américains, ou le dogme de la cavité de la Terre creuse, accessible par le pôle Nord, étaient inscrits dans tous les programmes, et dans tous les livres de géographie... Ou si les dogmes de l’Olympe siège des dieux, de la course du char de Phoebus, structuraient tous les livres de géographie et d’astronomie, etc. etc., pour prendre des exemples d’une énormité comparable à ce qui se pratique dans l’enseignement de la mathématisation de la Physique.

 

7.3.     perte de l’esprit scientifique par l’enseignement de masse.

7.3.1.   Rappelons la formulation de Feynman, sur l’irrespect fondateur des sciences : « La science se distingue de tous les autres modes de transmission des connaissances, par une croyance de base : nous croyons que les experts sont faillibles, que les connaissances transmises peuvent contenir toutes sortes de fables et d’erreurs, et qu’il faut prendre la peine de vérifier, par des expériences. » (le résumé est de moi). Cet irrespect fondateur envers l’infaillibilité des experts pose de grands problèmes dans la relation d’enseignement, qui est très souvent une relation de domination et de supériorité, inapte à transmettre l’esprit scientifique. Par son orgueil, l’esprit de l’enseignement est difficilement compatible avec l’esprit scientifique. La principale déformation professionnelle de l’enseignant reste l’addiction à la position supérieure, dans une relation inégale : « Moi, je sais ! Et vous, vous ne savez pas ! ». Dans les salles de professeurs, j’ai entendu saluer ainsi les propositions ministérielles :  « Revois ta copie ! ».

Redoutables aussi sont les raisons de budget et d’effectifs. « Ce qu’on demande en fait aux professeurs du secondaire, c’est de prendre un maximum d’élèves dans leur classe, et de refermer la porte. », précise Maurice T. Maschino, dans « Quand les profs craquent ». Pris par le temps, et sous la pression des attentes des familles : « Donnez-lui des trucs pour réussir le diplôme, pas des trucs pour réfléchir à la crâne d’oeuf, qui ne rapportent pas de pognon ! », l’enseignant doit vite se réduire à n’être que rabâcheur de recettes, surtout pas éveilleur de réflexions, ni de doutes et d’investigations bien organisés. Les effets en retour sur l’intellect de l’enseignant, ont déjà été soulignés par de nombreux auteurs : de frustration en frustration, vers la sclérose.

 

7.3.2.   Le contribuable ordinaire est usuellement incapable de s'apercevoir de tels dysfonctionnements : les chefs du système d'enseignement imposent de l'intérieur, en autarcie opaque, les critères par lesquels il "mesure" ses propres performances; il rédige ses sujets d’examens en fonction de ce qu'il croit savoir. Vous ne verrez jamais d'examens scolaires, ni universitaires, posant volontairement des questions embarrassantes pour l'ignorance et les contradictions de l'examinateur ni de ses collègues. Un tel système se présente donc au regard du consultant, comme rebelle à tout pilotage par l'épreuve de réalité, verrouillé de l'intérieur, tout aussi incorrigible qu'un psychotique l'est au psychothérapeute inexpérimenté, aussi incorrigible que peut l'être une secte dans sa psychose collective.

Pris au piège, les contribuables populaires, comprenant obscurément qu’ils sont floués, mais peu exercés à démonter l’arnaque sur son propre terrain, s’en tiennent à un mépris sommaire et agressif. Ce qui referme le cercle vicieux des méfiances et mépris réciproques.

 

7.3.3.   L’enseignement des sciences entraîne à s’abstraire soi-même du champ d’investigations, à se protéger par une coupure épistémologique. Du coup, d’une part les biais sont occultés, d’autre part les techniques d’invention, de découverte, et de créativité, ayant trait au chercheur et à ses communications avec son entourage, sont fortement censurées. Le chercheur, et plus encore l’enseignant, sont ainsi de grands aveugles sur eux-mêmes, ignorants de la discipline de base de la réflexivité.

 

7.3.4.   En conclusion : l’enseignement des sciences se pare de l’aura scientifique, alors qu’il s’est rendu incapable de pratiquer ni d’enseigner l’esprit scientifique. Or, sa clientèle, soit la société entière, continue d’avoir un besoin réel d’apprendre l’esprit scientifique. L’esprit scientifique, et notamment sa composante la discipline d’expérimentation, doit être considéré comme une des maturations sociales, rendues nécessaires par l’évolution de la démographie et des sociétés humaines au fil des millénaires.

Caché par cette aura scientifique, l’enseignement des sciences est devenu une citadelle lovée sur ses archaïsmes mentaux, qui aurait le plus grand besoin de consultants extérieurs, pour remplir ses missions moins mal.

 

 

8.      Défectuologie : étude des fautes professionnelles collectives.

Dans le début de ce mémoire, j’ai étudié avec quelques détails plusieurs fautes professionnelles collectives et quasi-obligatoires, qui ont actuellement force de loi dans le complexe (Science + Enseignement des sciences). D’autres auteurs et historiens des sciences, par exemple Kuhn, ont étudié après coup des renversements de paradigmes scientifiques. Encore fallait-il que ces renversements aient déjà réussi, pour leur être accessibles. Ils l’ont étudié d’un point de vue du sociologue, et un peu moins d’un point de vue du psychosociologue. Ces deux points de vue restent indispensables; j’ai acquis la conviction qu’ils sont insuffisants.

J’ai donc ébauché l’étude défectuologique du point de vue de la psychologie du développement : les carences cognitives exhibées par une profession entière, pourtant réputée insoupçonnable, réclament d’une part une analyse plus fine des défauts de développement (individuels, mais fréquents, et il nous reste à analyser pourquoi et comment) autour duquel une profession se recrute et se singularise du restant de la société, ainsi que les carences cognitives générales, qui font que presque personne autour n’a encore été capable de leur tirer la manche : « Hé ! Ça ne tourne pas rond, ton truc ! ». Si cette analyse réussit, elle doit mettre en évidence des défauts communs à notre système d’éducation et d’enseignement. Elle doit aussi nous permettre de proposer des remèdes, applicables dès les classes primaires, avant qu’il ne soit trop tard.

 

8.1.     La brimade par le mauvais outil : l’écriture à outrance.

Ici, je n’ai pas encore rappelé la question de l’outil cognitif impropre dans son hégémonie écrasante : l’écriture, calquée sur le langage parlé, linaire. Contrairement au dessin, le langage parlé linéaire, et son dérivé l’écriture linéaire, font la part trop belle à l’oubli des prémisses, et à la non perception des contradictions successives, en cours de raisonnement. Or, le calcul algébrique, tel qu’il est réellement pratiqué, reprend ce défaut : l’oubli automatiquement assuré des prémisses initiales, des conditions initiales de validité, des faits négligés lors de l’abstraction de départ.

Rappelons l’avantage irremplaçable partagé par le langage écrit et par le dessin : Tous deux sont relisibles, aussi bien par leur auteur, que par une autre personne. Donc tous deux peuvent servir à mettre une distance entre l’auteur et son raisonnement. On peut se relire et trouver ses erreurs. Un autre peut vous relire, et trouver vos erreurs. Le raisonnement cesse d’être une affaire privée et incommunicable. Le principal avantage pédagogique de l’enseignement des mathématiques au collège, est sans doute que pour la première fois, l’élève pratique le raisonnement écrit, et peut trouver lui-même ses propres erreurs : il peut se relire.

En raison de l’infirmité de ma main, qui me rend dépendant de la technologie non-dessinante - la machine à écrire, puis le traitement de texte  - je suis moi-même un exemple de ce qu’il ne faut pas faire : un écrivain qui dépasse les capacités de synthèse de ses lecteurs. Parce que l’écriture et la lecture utilisent très mal les possibilités d’intelligence de l’esprit humain. L’écriture alphabétique, telle que nous l’héritons des phéniciens et surtout des grecs, est très récente dans l’histoire humaine. Le cerveau humain n’a jamais été optimisé pour ce médium. Lire et comprendre un texte, réclame un apprentissage énorme, et des opérations mentales d’une grande complexité et fragilité. Cet apprentissage très lourd, incite le système scolaire à négliger des étapes moins intellectuelles et moins scripturales du développement des enfants, avec des conséquences que nous constatons, parfois consternantes.

Prenons des exemples chez mes élèves de Lycées Professionnels. A Neuilly-Plaisance, des élèves en fin de terminale de Bac Pro en mécanique et hydraulique, soit âgés d’en moyenne vingt ans, étaient dans la proportion d’un tiers, incapables de produire le moyen de calculer le périmètre d’un rectangle à partir de ses côtés. Or ces mécaniciens sont peu auditifs, pas beaucoup plus visuels non plus, mais assez kinesthésiques, dans leur façon de mémoriser et de s’exprimer. Leurs instituteurs des classes primaires avaient donc négligé de faire marcher ces enfants le long de dessins et de figures géométriques tracées au sol. Je prétends qu’on ne peut plus oublier la formule du périmètre d’un rectangle, lorsqu’on s’est amusé à la tracer avec ses pieds, dans des jeux d’enfants. La marelle, et des jeux similaires, sont nécessaires au développement de l’intelligence géométrique. Même pour les garçons. Ensuite ? Invoquer cette mémoire des pieds ? Au pire des cas, cela doit se régler en réunifiant la vue, le geste, la voix, l’oreille, la pose de l’addition. Tu traces un rectangle au tableau. Tu donnes un nom aux quatre sommets. Tu donnes un nom aux deux types de côté, le grand et le petit, et tu l’écris sur chaque côté. Avec ta main, partant du premier sommet, tu parcours les côtés, pour revenir au point de départ. En parcourant, tu dis à voix haute ces quatre côtés successifs. Ce que tu viens de dire, tu le répètes pour écrire l’addition à faire pour obtenir ce périmètre que tu viens de parcourir.

Voici mes surprises à Montélimar, quand j’ai initié à l’écriture d’un peu de chimie, des élèves de B.E.P. frigoristes, âgés d’en moyenne 17 ans. La moitié de la classe avait de grosses difficultés à distinguer les majuscules des minuscules, donc à déchiffrer où commence et où se termine un symbole chimique, d’une ou deux lettres (H, Ca, Na, O, N, Cl....). Environ un tiers avait aussi des difficultés de latéralisation : faire la différence entre l’indice et le coefficient, par exemple dans la réaction de caustification du carbonate (si utilisée par les chimistes des pharaons ) :

Ca(OH)2   +    Na2CO3    ---->    CaCO3  +  2 Na(OH)

ou en ions, avec la difficulté supplémentaire de l’écriture des charges électriques :

Ca2+  +  2 OH-  +  2 Na+  +  CO32-    ---->       2 Na+  +  2 OH-  +  CaCO3

Cette question de maîtrise de l’écriture et de la lecture nous a occupés environ deux semaines.

Il me semble donc que les prémisses de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, avaient manqué à ces garçons, et cette fille. J’ai donc des questions à poser aux carences de leur éducation en C.P., et avant le C.P., en dernières classes de maternelle.

 

8.2.     Cette révérence envers l’outil scriptural, est responsable.

La confusion entre nombres et grandeurs physiques, était déjà présente chez les mathématiciens grecs. Elle s’est maintenue chez les auteurs arabes du moyen-âge. La première dénonciation que j’ai lue, occupe la première page du Treatise de 1873, par James Clerk Maxwell. La clarté de son énoncé - ci-joint - est irréprochable. Et pourtant... Plus de cent vingt ans après, l’enseignement continue partout de confondre les nombres avec les grandeurs physiques, amalgamant deux niveaux d’abstraction incompatibles. Bien sûr, il faut accuser le mauvais outil, l’écriture rien qu’écriture, et son dérivé, le calcul rien que calcul. Bien sûr, il faut accuser le mépris collectif qu’éprouve l’institution enseignante des mathématiques, envers les tableaux synoptiques, et envers les graphes d’héritage. De tels tableaux et graphes sont très présents et très appréciés en ingénierie logicielle, mais n’ont pas encore réussi à percoler chez les mathématiciens, ni chez leurs clients physiciens. D’où leur retard séculaire à établir des synthèses et des critiques qui n’ont pourtant rien de difficile. Nombreuses sont, côté élève, les fautes de raisonnement fortuites, les confusions en cascade, et côté professeur les fautes de raisonnement inamovibles et inexcusables, qui tomberaient si les professeurs de mathématiques graphaient davantage leurs raisonnements, et raisonnaient davantage avec les mains et avec le corps, et moins avec des nombres, déconnectés d’avec leur signification.

Question sens kinesthésique et gestuelle, il bien à soupçonner, dans l’inconscient des petits gamins devenus grands savants. Je vais citer le cas de l’abus des bâtons flèchus, en remplacement systématique d’un outil de dessin et de raisonnement adéquat. Il s’agit toujours du remplacement de l’être mathématique « je tourne » par « je vais », avec un bâton flèchu, mais pour dire « je tourne ». Ils disent « Oui, mais au moins, on peut dessiner ! ». Pas d’obstacle sérieux. Cela se dessine dans le plan où opère la rotation :

        

Connaissez-vous le jeu enfantin : pierre, ciseaux, papier, puits ? Le puits gagne contre la pierre ("la pierre tombe dans le puits") et contre les ciseaux, mais les enfants préfèrent les deux gestes les plus agressifs et les plus virils. Et qu'en est-il des physiciens adultes, fanatiques de l'abus de bâtons flèchus ?

 

Il ne faut pas oublier la pression sociale des classes dominantes, qui exige que les mathématiques soient un outil de sélection sociale masquée, de ceux qui auront toute leur vie le droit de commander les autres, donc restent obscures au plus grand nombre - rôle tenu précédemment par le latin. Tel jeune professeur de mathématiques, qui enseignait de façon très graphique dans un lycée du 16e arrondissement, a bientôt été rappelé à l’ordre par son proviseur, sur plainte du père du meilleur élève : « Ce que vous faites, tout le monde le comprend. Donc, ça n’est plus des mathématiques ! Revenez à des formes traditionnelles, car je ne vous défendrai pas contre ce genre de plaintes des parents d’élèves. ».

 

8.3.     Le calcul-rien-que-calcul comme activité anti-pensée.

Dénoncer l’influence pernicieuse du mauvais outil ne suffit pas : il faut encore expliquer l’accrochage individuel de certaines personnes, qui choisissent des métiers techniques ou scientifiques, pour le calcul-rien-que-calcul. Il nous faut donc étudier la place qu’occupe le calcul-rien-que-calcul dans l’économie affective et sensorielle individuelle de certaines personnes. Je rappelle sans le montrer, que ce type d’occupation calculatoire, pour ne pas dire d’activisme calculatoire, occupe la place des activités anti-pensée. Cette expression est utilisée par les psychiatres qui ont eu à étudier les passages à l’acte suicidaires d’adolescents. Les activités anti-pensée sont celles qui aident l’adolescent aux prises avec une situation - surtout les situations familiales hostiles, belliqueuses, et niantes - qui dépasse ses capacités d’intégration, à s’empêcher de penser à ce qui lui fait mal, et à se rendre incapable de trop penser en général aux sentiments, et aux relations humaines.

Dois-je démontrer une telle trivialité ? La page inoubliable où Rondibilis démontre à Panurge la vertu de l’étude fervente pour éteindre l’ardeur génésique (le Tiers Livre, chapitre 31), ne suffit-elle pas amplement ? Faut-il aussi rappeler le constat constant des professeurs de mathématiques, l’aspect de dérivation et de revanche sociale que peuvent prendre les sciences, et notamment les mathématiques, pour des enfants perturbés soit par leur mauvaise position sociale dans leur classe d’âge, soit par des relations familiales étouffantes ? Ceux-là accueillent volontiers un domaine de puissance et de rationalité, où ils peuvent épanouir enfin un peu d’eux-mêmes.

 

Il n’y a rien que de très trivial à dire qu’en études de sciences, que ce soit en Université, ou en « prépas », et en Grandes Ecoles, on rencontre des polars. Ça n’est pas la position existentielle idéale pour étudier profondément quelle socialisation est celle de l’esprit scientifique...

 

8.4.     Savoir clore le temps du flou heuristique ?

Tout physicien un peu antique, ou ingénieur, ou technicien, qui ouvre pour la première fois un manuel de mécanique quantique, est ébloui : voilà qu'apparaissent des axiomes, comme en mathématiques redoutées ! Hélas ! au royaume des aveugles, les borgnes sont rois. Même la mécanique quantique n'est que partiellement, et mal axiomatisée. Comme tous physiciens hostiles à l'axiomatique, et à toute discipline venue d'ailleurs, les physiciens quantiques ont négligé les axiomes sémantiques : « Ceci désigne ... ».

De par sa formation actuelle, tout physicien est hostile à expliciter ses implicites sémantiques. Toute axiomatique, autrement dit tout explicite contractuel sur ce que l’on suppose vrai au départ, sans pouvoir le prouver, lui fait l'effet de Big Brother vous surveille, brimant sa liberté (cf. syllogisme du gruyère : le gruyère est un fromage avec des trous. Plus il y a de gruyère, et plus il y a des trous. Mais plus il y a des trous, et moins il y a de gruyère. Donc plus il y a de gruyère, et moins il y a de gruyère). Aussi sabote-t-il soigneusement toute la partie de choix et d'explicitation des axiomes, et notamment des axiomes sémantiques, qui fondent les modèles qu'il enseigne.

Le physicien conformiste, ne supporte pas d'expliciter combien le choix des outils mathématiques charrie de modèles ou d'analogies implicites, qu'il se refuse à soumettre au doute systématique. Il préfère se précipiter sous l'abri des expériences, rassuré à l'idée qu'au moins là, aucun intrus n'y viendra lui demander des comptes trop précis.

 

9.      Les difficultés de mener la lexicalisation à son terme

9.1.     Décodage par contexte.

Dans « Le langage et la pensée chez l’enfant », Jean Piaget a montré que l’enfant entend et cherche à comprendre des phrases, bien avant de les décomposer en mots, et avant de savoir assigner à chaque mot une signification précise. Il a cité le cas d’un peuple du Libéria, les Golahs, qui, à une date non précisée, n’avaient pas encore conscience que leur langue était composée de mots : ils n’en percevaient encore que des phrases. Plus près de nous, nous avons fréquenté ou élevé des jeunes qui parlant la langue à la mode, savaient répéter le « Ça craint ! » en sorte de paraître tout à fait en phase, mais bien incapables d’en expliquer la signification.

De plus, il n’est pas courant pour des adultes d’inculquer à des enfants la saine habitude de ne plus faire semblant de comprendre un mot inconnu - à la façon du fameux presbytère de l’écrivain Colette - mais d’en demander systématiquement la signification. Et à ceux qui obtiennent une telle curiosité d’un de leurs enfants, rien ne garantit que cette acquisition méthodique soit stable. La pression sociale entre adolescents peut très bien faire régresser un adolescent du stade lexical à un stade prélexical, surtout si entre temps l’image du parent linguistiquement discipliné, a fait l’objet d’un dénigrement belliqueux et systématique par une ligue, exigeant de l’adolescent qu’il stagne dans l’inculture.

L’histoire des langues exhibe de nombreuses preuves de cette mauvaise perception des frontières des mots par les locuteurs qui n’écrivent pas, ou mal. Ainsi en français, l’outre (otter en danois) est devenue la loutre, le col Altaret est devenu le col du Lautaret, la couete pointe est devenue la courtepointe, la voile a la trina (triangulaire) est devenue la voile latine, forsené est devenu forcené, hui (ho die) a d’abord été redoublé en aujourd’hui, et maintenant retriplé en « au jour d’aujourd’hui ».

Ce que Piaget n’a pas souligné, trop scientifique pour en admettre facilement la perception, c’est combien les jeunes enfants, voire les bébés - et nos animaux familiers - peuvent se passer d’une compréhension analytique, et néanmoins jouir d’une compréhension globale qui répond bien à leurs besoins, notamment ludiques. Françoise Dolto en a fait de très nombreuses démonstrations. Les mécanismes à l’oeuvre nous échappent. Pourtant, quoique faillibles, ils existent. Mon neveu a stupéfié sa mère : à quatre ans, il a poursuivi durant deux heures une intense conversation bilingue avec un jeune anglais du même âge. Chacun ne parlait que sa langue, mais toutes les interactions, tous les jeux et toutes les activités fonctionnaient...

Il n’en reste pas moins que pour accéder à la communication avec quelqu’un qui n’a pas de structure mentale conforme à la votre, avec un ancêtre d’une autre époque, avec un auteur lointain, il faut en passer par la compréhension analytique et lexicale - qui d’ailleurs n’a pas besoin de biffer les précédentes méthodes globales.

A ce point, c’est l’informatique qui nous fournit l’outil d’analyse pertinent, notamment pour illustrer la notion de contexte et de basculement de contexte, pour une analyse. Certains langages de programmation, tel Pascal, ADA, Modula 2, ont une grammaire assez disciplinée et régulière, pour que l’analyseur lexical (le premier module d’un compilateur, suivi d’un analyseur syntaxique, etc.) n’ait qu’à lire un seul symbole (ou mot) en avant, pour déterminer quelle production en déduire. Les symboles précédemment analysés suffisent à fournir tout le contexte nécessaire. D’autres langages, à la grammaire plus complexe, tels que le C, nécessitent de lire un ou deux symboles plus loin, pour savoir dans quel contexte faire l’analyse lexicale puis syntaxique du symbole actuellement lu. Cela complique sérieusement l’écriture du programme compilateur.

Un autre exemple, mieux connu des simples utilisateurs de l’informatique : les OCR, logiciels de reconnaissance de caractères. Passé le premier moment d’émerveillement devant la nouvelle magie, vous avez éprouvé bien de la frustration et de l’impatience, devant les fautes de reconnaissance récurrentes des premières versions de ces logiciels. Ils font de leur mieux pour reconnaître des caractères, mais leur taux d’erreur reste inadmissible, quand on doit corriger tant de fautes à la main derrière eux. Parce qu’avec notre intelligence humaine, nous reconnaissons un premier environnement contextuel : le mot auquel appartient ce caractère, sachant sa langue, et sachant la grammaire. Nous connaissons souvent un second environnement contextuel : le domaine sémantique général auquel se rapporte ce texte, et donc dans quel champ lexical il se spécialise probablement. E si nous sommes encore mieux renseignés, nous pouvons nous référer aux habitudes de pensée et de sentiments, de son auteur présumé. Implémenter ces cercles de connaissances générales dans un logiciel d’OCR, demande des ressources humaines et matérielles considérable. Clairement, la tâche n’est pas terminée, et n’est pas prêt d’être implantée sur les PC de tout le monde. Le lecteur est-il bien familiarisé maintenant avec la notion de contexte de décodage ? Et avec le problème initial de détection du contexte compétent ? Puis ceux de basculements de contexte : un auteur a le droit de prendre son lecteur au dépourvu, et d’apporter des idées nouvelles.

Dans l’analyse humaine des langages humains, la polysémie pose des problèmes pratiques redoutables. On connaît l’exemple du titre de journal américain, aux débuts de la Guerre Froide :

THE RED DESIGN ON CHINA

ce qui pouvait se lire « Le dessin rouge sur porcelaine », ou dans un autre contexte « Les Rouges ont des visées sur la Chine ». Dans le livre déjà cité, Piaget a montré combien les enfants tiennent pour acquis, que l’autre enfant aurait le même contexte, aurait les mêmes connaissances, et qu’en conséquence se dispensent de nommer les objets qu’ils décrivent, d’expliciter les relations causales... Le résultat étant bien évidemment une large part d’incompréhension de la part de l’enfant qui reçoit le récit ou la description.

Dans tous ses livres sur les dysfonctionnements de l’enseignement des mathématiques, Stella Baruk a multiplié les exemples de contextes implicites pour le professeur de mathématiques, mais insoupçonnables par l’enfant, qui ne perçoit le discours professoral qu’à travers de tous autres contextes, insoupçonnés du professeur. Le résultat ordinaire est plutôt désolant.

C’est à ces polysémies insoupçonnées, d’un chapitre à l’autre, d’une profession à l’autre, voire à l’intérieur d’une même phrase, que j’ai proposé des solutions dans mes articles précédents. En effet, aussi bien mon expérience d’étudiant, que mon expérience de professeur, m’ont montré que ces basculements de contextes tous implicites, et rarement logiques, coûtent un prix d’incompréhension énorme, que nous n’avons aucune raison de trouver acceptable.

En échange, on apprécie les basculements de contexte insolites dans les jeux de mots, les plaisanteries. Comme « Quel est l’animal qui peut changer de sexe en quinze secondes ? - Le morpion ».

 

9.2.     « Collisions inévitables, collisions évitables.

Les possibilités du cerveau humain ont depuis longtemps dépassé les possibilités de la phonétique. La première conséquence a nargué les linguistes : les collisions phonétiques. La seconde conséquence nous nargue tous les jours dans notre métier de professeurs : les entassements et collisions de concepts sous un même mot.

9.2.1.   Collisions phonétiques.

Tous les jours, le linguiste rencontre des homonymes exacts pour des concepts presque confondus, dans des langues éloignées, sans aucun contact entre elles depuis très longtemps, parfois plusieurs dizaines de milliers d'années, par exemple entre l'hébreu et une langue andine. Pendant longtemps, les malheureux linguistes se sont escrimés à proposer des explications, en forme de migrations préhistoriques à travers les océans... Jusqu'à ce qu'on s'aperçoive que le nombre des phonèmes articulables par l'espèce humaine est limité, que chaque peuplade n'en emploie nécessairement qu'un sous-ensemble réduit, et que le nombre de mots, phonétiquement praticables, de peu de syllabes, qu'on peut former à partir de ces phonèmes, n'est pas bien grand. Que donc ces collisions sont statistiquement bien prévisibles, et que dans bien des cas, il n'y a strictement rien à interpréter.

 

9.2.2.   Entassements de concepts sous un même morphème.

Les morphèmes existant dans notre langue, sont en nombre réduit, quelques dizaines de milliers, et chacun d'entre nous n'en maîtrise qu'une toute petite minorité. La création de néologismes est un art peu et mal pratiqué. La réactivation de mots corrects, mais tombés en désuétude, est un art presque inconnu, et qui se heurte à des tabous, à des haines et des mépris difficiles à justifier.

Or, le besoin en concepts est quotidiennement énorme. Tous les jours, la réalité nous force à en créer, ou recréer faute de savoir que la création avait déjà été faite ailleurs. Il n'est pas rare de rencontrer une quinzaine de significations entassées sous un seul morphème (morphème : la forme extérieure du mot, le fait d'être composé de telles lettres, à prononcer de telle façon).

Statistiquement, les collisions sémantiques, sont un événement très fréquent, beaucoup plus fréquentes qu'elles ne le seraient si nous étions moins paresseux, plus attentifs, et plus compétents.

Aussi, nos élèves butent tous les jours sur les polysémies bizarres que nous leur transmettons sans y réfléchir : un même mot véhicule de nombreuses significations d'un jour à l'autre, d'un lieu à l'autre, dont personne ne les a avertis. Personne n'a crié gare au changement de contexte, de tradition locale, d'idiome local à une profession ou à une école de pensée. Chaque groupuscule, chaque despote local, a des prétentions à considérer le restant de l'espèce comme autant de sous-hommes, contre lesquels l'arme de son incivisme serait légitime, et imbu de sa juste idiosyncrasie, s'arroge le privilège d'ignorer les collisions sémantiques avec les autres professions utilisatrices des mêmes mots. »

« Pour ne pas réinventer la roue, nous emprunterons au savoir-faire des cristallographes, qui utilisent fructueusement le calcul tensoriel. Chez eux, "indice", signifie coordonnée. On s'intéressera rarement à un plan précis (passant par exemple par un point donné), et presque toujours à la direction de plan, autrement dit, à la classe d'équivalence des plans parallèles. Il serait souhaitable de distinguer par le vocabulaire, sans longue périphrase, mais la tradition a oublié de le faire. On pourrait suggérer équiplan; de même équidroite pour la classe d'équivalence des droites parallèles. Il se poserait un problème pour la classe d'équivalence des droites orientées, axes, car équiaxe fait collision avec un terme de symétrie en physique et en mécanique des solides. Sous cette convention, on remarque qu'en cristallographie, "plan" signifie le plus souvent équiplan, et "droite" signifie le plus souvent équidroite. »

« Un langage d'experts tend à réduire le désordre des langues naturelles à d'honnêtes bijections: un mot par concept, un concept par mot. On vient de voir par quelques exemples, que dans leur état présent, la physique et la mathématique sont encore loin d'être des langages d'experts, mais sont bien aussi bordéliques que des langues naturelles. Les hasards contingents de l'Histoire, pleine de crimes et de fureurs, qui ont généré des coutumes, mathématique par exemple, ont laissé un paysage d'un illogisme opaque. Par étourderie conservatrice, on a hypostasié ce bric à brac, et on a ainsi bafoué, et l'ergonomie (sauf parfois l'ergonomie des matheux chevronnés, ou celle des astronomes du 19e siècle, mais jamais celle des débutants), et la sécurité. Chaque groupuscule, chaque suzerain local, a des prétentions à considérer le restant de l'espèce comme autant de sous-hommes, contre lesquels l'arme de son incivisme serait légitime, et imbu de sa juste idiosyncrasie, s'arroge le privilège d'ignorer les collisions sémantiques avec les autres professions utilisatrices des mêmes mots.

J'ai ici proposé de nouveaux morphèmes pour les concepts indispensables à distinguer : vecteur, vectoroïde, tourneur, pré-vecteur. J'espère voir disparaître ce que j'ai dû baptiser "laxeurs" : ils ne produisent que des dégâts dans l'entendement de nos élèves, ralentissent l'apprentissage, et gênent le recrutement de physiciens doués d'un esprit concret, logique, et libre.

Je préconise qu'on ose se servir bien davantage des concepts d'héritage et de classes, et du concept de grammaire; tous trois empruntés au génie logiciel. »

En résumé, pour aboutir à ce que notre langue scientifique, et surtout mathématique, réponde aux critères d’une langue d’expert, proche du critère un concept par mot, un mot par concept, j’ai préconisé d’une part une bien plus grande création de néologismes, empruntant notamment aux fonds linguistiques de terroir, d’autre part une bien meilleur discipline interprofessionnelle, avec un respect tout nouveau envers les autres professions et leurs usages, donc des commissions de travail interprofessionnelles réduisant les collisions sémantiques. Enfin, j’ai surtout préconisé la discipline de la définition, à laquelle soit vouée un respect contractuel. Le respect contractuel porte évidemment envers des gens : les autres utilisateurs, les professions clientes, les professions fournisseuses, les étudiants, etc.

 

9.3.     La responsabilité des scientifiques envers le vocabulaire.

Cette responsabilité des scientifiques envers le vocabulaire pose plusieurs problèmes pratiques, qu’il faudrait se donner les moyens de manager :

S’ils ont choisi cette profession calculante, c’est le plus souvent pour fuir les classes de français, de langues, et d’Histoire, où ils ne brillaient guère : bien trop humain pour leurs difficultés relationnelles personnelles et censurées. Dans les pires cas, ils sont même habités par un esprit de vengeance.

L’idée de respecter les autres, de les trouver tout aussi respectables que soi-même, va complètement à l’envers des habitudes de persiflages contre tous les autres...

Citation (Mémoires, volume 2) :

« Je n’ai qu’à ouvrir un cahier de cours, pour y trouver au jour le jour quelques uns des sarcasmes (environ 20% des sarcasmes prononcés, si ma mémoire est fidèle) envers untel ou tel autre, que nous, les étudiants, étions chargés d’approuver et de partager.

1er mars 1999 : persiflage contre le journaliste François de Closets, « vous savez, qui a des opinions sur tout », « qui croit que nous décrivons des particules qui remontent le temps ! ... Vous savez, le plus dangereux, ce ne sont pas les gens qui ne comprennent pas ! Ce sont ceux qui croient comprendre ! » Je dois être très dangereux, car tout au long de ce cours, j’ai vu dessiner des diagrammes de Feynman, et calculer des trajectoires au rebours de notre temps macroscopique, depuis les premiers calculs de Dirac, en 1928. Tout au long de ce cours, j’ai vu calculer des énergies négatives, des masses négatives, des états finaux antérieurs aux états initiaux, et entendu des discours comme quoi, il ne fallait pas croire ce qu’on calculait, sinon, on serait très naïf, mais seulement s’en servir. S’en servir, car c’est indispensable. Moi, je suis certainement aussi dangereux, car je prétends que les formalismes sont souvent plus savants que ceux qui les ont inventés, et a fortiori que ceux qui les enseignent, et qu’un formalisme qui marche très très bien, s’il est aussi très cohérent, a souvent raison, plus souvent que le docte docteur. Dangereux, pour la relation de supériorité...

8 avril 1999 : « Evidemment que ce n’est pas un mathématicien ! » qui a proposé le modèle de symétrie du groupe SU(3) pour l’octet des mésons pseudo-scalaires, et pour l’octet des nucléons (M. Gell-mann & Y. Ne’eman. The Eight-fold way. 1964), gouaille le prof. Nous sommes donc la communauté qui est supérieure à toutes les autres ? »

Ma suggestion provisoire, c’est que c’est à l’époque du collège, que l’enseignement doit être capable de donner l’exemple de relations contractuelles, qu’il respecte lui-même. Alors que nos élèves en retiennent l’impression d’arbitraires incohérents, et qu’il y apprennent l’incivisme.

Il y a un lien entre cette réticence à achever la lexicalisation (ce qui inclut l’objectivation des mots), et la réticence des mathématiciens et scientifiques à objectiver complètement leurs substrats abstraits, trop familiers. Or ce lien, je l’identifie comme des frustrations de l’action, qui se vengent en activismes, et en aveuglements par l’activisme. Le remède à essayer, consiste donc à rendre acteurs en classification et en objectivation, ces élèves dont seule une petite partie deviendra des scientifiques, et à leur faire redécouvrir par eux-mêmes les livrets de famille, ou si l’on préfère les génogrammes, des différents « ensembles » qui sont indispensables aux mathématiques, et à la mathématisation de la physique. Trois planches jointes en exemple : Synoptique des propriétés des nombres, Synoptique des propriétés des grandeurs physiques, Synoptique des symétries des grandeurs physiques orientées.

Cela pose des questions sur la formation des maîtres... Telle petite fille, actuellement proviseur adjointe, était évaluée comme débile mentale par l’institutrice. Voici comment elle raconte la chose : « L’année suivante, ça a été l’arithmétique. Tous ces chiffres, ces symboles, je ne comprenais pas, et je questionnais. L’institutrice m’a répondu « Mais y a rien à comprendre ! » Je l’ai prise au pied de la lettre : je n’ai rien compris. » Elle a franchi toute sa scolarité sur la ferme conviction de ne rien comprendre en mathématiques puisqu’il n’y avait rien à comprendre.

La maîtrise de la lexicalisation de sa langue, semble bien réclamer une bonne formation structuraliste. En un sens, le populaire peut trouver que nous déstructurons et atomisons sa mémoire de la langue : nous détachons les mots des phrases dans lesquelles ils les ont rencontrés. Nous devons donc fournir une autre structure, plus forte. Dans l’état sauvage de la langue, la résolution des polysémies - ne serait-ce que des polysémies phonétiques - doit se résoudre à la volée, en devinant quel est le contexte du locuteur, et en tâchant de basculer sur son contexte. Dans cet état sauvage, il est considéré comme naturel que les différents contextes soient sans connexion logique, et que tout effort d’unification y soit une vanité sans objet. Dans ces conditions, l’apprentissage de la langue est devenue une tâche chaque année plus difficile, à mesure que croissaient les sciences et les techniques, et que la société secrète toujours plus de groupuscules narcissiques, aux chébrans toujours plus différenciés. Cela en fait une mission impossible pour l’esprit humain, qui n’a pas des possibilités d’amélioration à la vitesse où la tâche se complique.

Il faut donc alléger cette tâche en structurant bien davantage la langue technique, et les concepts techniques et scientifiques. Une des tâches d’un système d’éducation est bien de restituer une caractère d’apprentissage facile à la langue. La modularisation rationnelle est donc une caractéristique souhaitable. Prenons exemple sur le travail de Lazare Zamenhof : la grammaire de l’Espéranto tient sur une demi-page. Non qu’elle soit simpliste; elle est d’une régularité totale. Zamenhof a réinventé le trait génial de l’indo-européen primitif : à la fois flexionnel et agglutinant, parce que chaque préfixe, chaque suffixe, chaque numéral, etc, a été étudié pour ne donner prise à aucune exception, que ce soit pour la prononciation, ou pour toute autre raison.

Un autre exemple, quoique lourd, est la nomenclature internationale de Genève, pour les composés organiques : elle est totalement régulière, à défaut d’être agréable à prononcer. Il n’est pas directement transposable partout. La minéralogie, par exemple, a beaucoup résisté jusqu’à présent aux efforts de rationalisation et de systématisation de sa nomenclature; elle réclame de nouvelles idées, de nouvelles méthodes.

Un des buts de la modularisation est d’augmenter la sécurité, et la facilité de réemploi.

Qui s’y oppose et pourquoi ? L’instinct territorial s’y oppose. Si le domaine est transparent, facile, si sa structure est publique, alors comment devenir ou rester le propriétaire exclusif et jaloux, de tel fief ?

 

10 . L’instinct territorial et ses frustrations : « La science, c’est moi ! »

11 . 1. La renonciation à tailler un territoire personnel.

Il est facile de se méprendre sur le geste de Zamenhof, qui fit jurer au congrès des espérantistes, de ne jamais changer ni la grammaire, ni le Vortaro (le noyau du vocabulaire). Narcissisme ? Ego surdéveloppé ? Et puis quelles autres accusations encore ? Zamenhof leur faisait partager son propre renoncement à tout droit de propriété. Il donnait son travail au patrimoine commun de l’humanité. Un patrimoine fiable, car intangible.

Il a fallu une vingtaine d’années, pour traduire dans la technologie des langages de programmation, la même renonciation à la propriété privée du code. Imposer aux programmeurs la discipline qu’ils n’écrivaient plus pour eux, qu’ils n’étaient plus là pour exprimer leur génie ni leur fantaisie, et que leur travail était fait pour être relu, compris, corrigé et modifié par d’autres programmeurs moins géniaux, moins brillants... Autrement dit, le travail d’un chef de service, est d’imposer une socialisation très disciplinée, à des gens qui sont justement venus là, dans ce métier, par leurs problèmes de socialisation. La base de la technologie, c’est le système de classes : en jargon informatique, la « programmation orientée objet ». Dans le langage commun, cela signifie que tous les « objets » sont liés entre eux dans quelques arborescences, Tous héritent par défaut des propriétés de leurs « ancêtres », situés plus haut vers la racine de l’arbre (les arbres sont descendants en algorithmique), tous transmettent leurs propriétés à leurs descendants. Chaque étage de descendant définit de nouvelles propriétés, enrichissant le type dont il dérive. Parmi ces propriétés, les méthodes qui sont applicables.

Prenons un exemple familier : définir les nombres rationnels, en utilisant les héritages des nombres entiers. Le format de stockage est nouveau : il faut désormais deux zones, de disons 32 bits (ce qui permet de compter jusqu’à deux milliards, avec signe : 231 - 1 = 2 147 483 647), l’une pour stocker le numérateur, la seconde pour stocker le dénominateur.

La méthode « multiplication » est nouvelle : il faut multiplier les numérateurs entre eux, et pour cela il suffit de faire appel à la méthode de multiplication héritée des entiers, puis multiplier de même les dénominateurs entre eux. Enfin, il faut appeler la méthode de simplification. C’est une méthode indépendante, qu’il faut avoir écrit précédemment, et qui fait appel à la division des entiers, et à la réduction contrôlée de format, ici de 64 bits à 32 bits, toutes deux disponibles par héritage.

Et on procède de même, par héritages et par redéfinitions ou « surcharges », pour toutes les méthodes nécessaires à ces nouveaux nombres.

Etat de la lexicalisation dans un système structuré par classes : « Multiplier » n’a pas de sens clair en soi. Il faut préciser : « multiplier sur des éléments de telle classe », et il faut l’avoir défini, en deux temps, d’abord abstraitement par les spécifications, puis par la réalisation algorithmique, puisque le réemploi du mot ne fait qu’indiquer, et de préférence garantir (il devrait garantir... En informatique, cette garantie est souvent respectée, rarement en mathématiques) qu’une sémantique très simple est transportée, tandis que les détails de la réalisation, et même plusieurs propriétés vitales, dépendent étroitement de la classe sur laquelle cette sémantique générique « multiplier » est implantée.

Contrairement aux mathématiques, dont l’enseignement repose sur quelques « passez muscade ! », en profitant de la fantastique capacité d’adaptation des enfants aux pires absurdités présentées par l’environnement, l’informatique est contrainte de toujours spécifier SUR QUOI on agit, puisque le « comment » en est concrètement dépendant. Contrairement aux faibles humains, les processeurs électroniques sont insensibles aux moues d’agacement « Vous voyez bien ce que je veux dire, quoi ! Vous êtes débiles ? Ou quoi ? », ainsi qu’aux menaces et aux représailles. Il faut tout leur expliquer. Au point qu’on finit par découvrir de quoi on voulait parler.

 

10 2 .  Le rôle du mensonge.

Pour les enfants, le mensonge, puis les secrets, ont très vite le rôle de permettre la délimitation d’un espace psychique personnel. Les commerciaux, les publicitaires, parfois les juristes, ont la réputation d’être restés des enfants épanouis dans le mensonge. Dans « Bâtisseurs d’empire par accident », Kringely remarquait qu’au contraire, les techniciens, ingénieurs et scientifiques, étaient des informateurs fiables, qui n’imaginaient rien dire d’autre que la vérité. Il remarquait que sinon, aucun dispositif technique un peu compliqué ne parviendrait à voir le jour, si les échanges entre techniciens y prenaient le tour des intoxications et facéties usuelles aux commerciaux : « Oui ! Il y a six mois, je vous ai dit qu’il y aurait du -12 volts sur la pinuche n° 62. Mais c’était pas vrai ! »

Engagés aux aussi dans une oeuvre collective, les scientifiques sont allergiques à la fraude : il est exigible du collègue, qu’il ne fournisse que des informations parfaitement fiables. Ce qui laisse entier le problème de l’instinct territorial : si le mensonge scientifique leur est interdit, par quelles autres ruses vont-ils pouvoir satisfaire leur instinct territorial, surtout à mesure que l’âge le rend plus impérieux ? Ce problème réel est un des non-dits de la communauté scientifique. L’éthologiste ne s’en laisse pas conter par les dénégations vertueuses : il sait que l’évolution biologique et mentale de chacun est impérieuse.

 

10 . 3 .            Chapelles ? Vous avez dit chapelles ?

Sur Lyon 1, plus d’un physicien sur trois écrit un KHI : O (une gutturale soufflée, mais ils l’ignorent), mais le prononce KAPPA : 5 (gutturale explosive, identique à notre K). Alphabet grec privé !

Sur Lyon 2, à Bron, les psychologues citent volontiers l’anthropologue américaine Margaret Mead, mais ils prononcent son nom en « Miid ». Prononciation privée, au lieu de demander leur avis aux universitaires américains !

Oh, c’est moins grave que d’avoir tous les pare-chocs des voitures à la forme des moustaches du maréchal Pleksy-Gladtz... C’est juste encore des indices des faiblesses en informations des isolats culturels.

 

 

11 .   Le rôle des inhibitions de l’action dans ces persiflages, ces incivismes, ces procès d’intention.

11 . 1 .            En linguistique.

Nous avons vu par de nombreux exemples que la langue, pour ceux n’en ont qu’une, et ne la connaissent pas de l’extérieur, n’est pas quelque chose d’objectif, mais un substrat à disposition de leurs caprices. Ils ont donc gardé à son sujet une mentalité très enfantine, restée sans grand changement depuis les premiers stades des « tableaux à disposition ».

Doit-on considérer que ceci est un état des choses insatisfaisant ? Ou peut on considérer qu’il y a de bien autres priorités ?

Toutefois, il suffit d’innover pour être armé d’un pouvoir linguistique imprévu. Plusieurs métiers se découvrent, sur le terrain, en train de créer dans leur coin l’évolution de la langue technique et scientifique, au moins par le vocabulaire décrivant des objets nouveaux, des pratiques nouvelles, des connaissances nouvelles.

Faisons un instant l’hypothèse de travail que ce soit au cours de la scolarité normale, qu’on préconise de les familiariser avec les règles de l’art, pour fabriquer des néologismes, ou pour réutiliser intelligemment de vieux mots. Dans ce cas, comment faire ?

Les rendre acteurs et cocontractants. Leur donner des responsabilités dans une création linguistique, qui leur serve à quelque chose durant plusieurs mois, et qui leur permette de buter sur les inconvénients des choix faits, avec des définitions contractuelles. Et surtout leur donner les moyens de critiquer, négocier et remanier ce genre de créations, et l’entraînement à le faire.

 

11 . 2 .            Les persiflages en sciences et techniques.

D’une manière générale, je dénonce ici des inhibitions de l’action infantiles, et leurs dégâts à long terme. Je prétends que les vengeances envers de telles inhibitions précoces de l’action, se traduisent en persiflages, et en procès d’intentions absurdes.

Le contre-exemple valide, s’il existait, serait un persiflage du style : « Ils ne sont même pas capables de faire la différence entre etc... ». Du genre de la mise en boîte du candidat à l’élection dans un canton rural, qui n’a encore jamais appris à distinguer seigle d’orge ni d’avoine. Ce persiflage est typiquement un persiflage de classe, de dominé à dominant, de provincial à technocrate parisien par exemple. J’évoque par exemple la colère inépuisable du dernier exploitant privé de charbonnage de l’Aveyron, face au technocrate du ministère, qui reste sur sa conviction que toutes ces mines là doivent fermer.

Si son usage peut être abusif, la base de ce persiflage là reste saine. Elle n’est pas anti-connaissance, ni anti-scientifique.

Le persiflage malsain a la base opposée, c’est « Je ne veux pas le savoir ! ». Et vous, vous avez tort de savoir.

Il prend volontiers le masque de l’efficacité et de l’économie : « Si on vous écoutait, on ne pourrait plus rien faire ! Il faudrait passer son temps à vérifier si on ne viole pas une de vos foutues règles ! Vous voulez nous imposer votre dictature ! »

D’autres exemples, en chaire : « On ne démontrera pas si l’intégrale converge, car les électriciens n’ont pas attendu de savoir si les intégrales convergeaient, pour ouvrir un interrupteur ! ». Précision technique : il n’est pas malsain de trouver un raccourci pour s’épargner une vérification mathématique de convergence; la vie est brève. Il est malsain d’utiliser les étudiants comme otages d’un règlement de compte contre des absents, et les exciter à partager votre mépris générique. « Alors les mathématiciens modernes nous disent que les solutions d’une équation linéaire du second ordre forment un espace vectoriel de dimension deux. Quelle complication et quelle prétention de langage, mes enfants ! ».

 

12 .   Conclusion générale.

Nous n’avons donné là que quelques exemples du pouvoir occulte de la frustration infantile « Je fais ! Laissez moi faire ! » dans des conduites de nombreux adultes considérés pourtant comme au dessus de tout soupçon. Nos exemples manquent de pureté expérimentale : cette frustration précoce de l’action n’est guère séparable d’autres frustrations plus affectives et plus relationnelles, telles que celles qui se manifestent dans la conduite d’accaparement de la position supérieure à tout prix. Au bout de cette étude, je n’ai pas complètement séparé les causes à l’origine d’un comportement en « Je ne veux pas le savoir ! » présent dans le domaine scientifique. A l’origine du travail, se trouvait une piste de recherches dans les étapes enfantines du développement cognitif : l’implicite du substrat et des tableaux à disposition du bébé. Les ressemblances avec des comportements d’adultes existent à l’évidence, mais les filiations se sont révélées bien plus complexes que ce que nous espérions.

Prenons le parallèle avec des états psychotiques, tels que décrits par exemple par Harold F. Searles (Collected Papers on Schizophrenia and related Subjects). Voilà des adultes, en état de grande confusion, sans frontières sûres d’avec autrui. On s’aperçoit bientôt qu’ils sont dans un état d’indistinction et de fusion, antérieur à leurs deux ans. Oui, mais... entre temps, ils ont été des enfants plus âgés, puis des adolescents, puis de jeunes adultes, et il leur est arrivé d’être bien mieux décollés de leur mère qu’ils ne le sont maintenant, chroniques dans l’hôpital psychiatrique. Donc tant qu’à faire l’historien (à défaut de penser à une thérapie brève et active, ce qui n’est pas l’objet de ce mémoire), il faut faire l’histoire de ces progressions et régressions. Les régressions sont toujours intervenues suite à l’échec d’une occasion de progrès, et suite à une désadaptation à laquelle il n’a pas été trouvé d’autre solution.

En étudiant les dysfonctions en usage dans les institutions d’enseignement scientifique, je me trouve devant la même complexité historique, pour chaque individu. Le rôle des carences cognitives de jeunesse, de l’inhibition de l’action expérimentale et des jeux, et de l’inhibition des apprentissages sensori-moteurs, semble finalement être minoritaire, et en tout cas jamais séparable des frustrations et carences relationnelles et affectives. Le contrat tacite d’irréprochable sottise calibrée qui lie l’individu à l’institution et aux chapelles, le protège des vents du large, ces vents des sentiments humains et des relations humaines trop fortes, ces débats trop serrés et trop argumentés pour ses forces. Il n’a pas appris à pratiquer la disputatio des clercs du moyen-âge, et s’enfuit à la seule perspective d’un débat, ou de questions trop précises.

Je maintiens ma recommandation habituelle : L’abstraction n’est pas bonne en soi, ni mauvaise non plus. Mais notre enseignement brime le mouvement inverse, tout aussi indispensable : la recherche de l’ancrage ou de l’enracinement concret, sensoriel et expérimental. La condition humaine me semble inséparable de la dialectique abstraction-enracinement. Dans ces conditions, la formation de nos bambins, puis de nos étudiants, ne devrait ne jamais négliger l’action concrète, ni chaque étape d’abstraction qu’on peut en dégager à cette étape du développement de nos enfants.

Conclusion sans aucune originalité.

Sur un plan plus spécialisé, je confirme qu’il y a du travail de psychologue à faire, à étudier comment fonctionnent, censurent, persiflent, et esquivent, nos plus insoupçonnables scientifiques. Cette peuplade mérite des études de cliniciens, et de consultants en management humain.

Sur un plan plus général et plus diplomatique, je confirme que partout, on s’imagine savoir raisonner et trouver sans jamais l’avoir appris. Je confirme que des disciplines de généraliste transdisciplinaire seraient grandement nécessaires partout, du genre de la méthodologie générale, l’heuristique, et plus généralement une ingénierie en concepts.



 

13 .   Bibliographie.

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14 .   Annexe 1 : L'hypothèse clandestine et dirimante de la géométrie.

Article non publié, en circulation, prévu pour le bulletin de l’APMEP, Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Public.

15 .   Annexe 2.                   Ils ont mathématisé de travers.

 

 

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[1] Comédie de Regnard, Le légataire universel : « C’est votre léthargie ! » reprennent tour à tour tous les personnages de la maisonnée, dans le complot pour duper le vieillard. En effet, c’est Crispin qui a pris sa place, sa robe de chambre, et une perruque, pour dicter un testament au notaire...

[2] Sir E. Whittaker; A History of the Theory of Aether & Electricity. Dover Pub. New York. 1989. 1ère éd. 1951. T2, p. 163, lignes 2 et 3, p. 193, ligne 4,  il affirme l'identité d'un tenseur antisymétrique, avec un six-vector. Chapitre 5, il ramène plusieurs auteurs, dont D. Hilbert, G. Mie, Minkowski, Einstein, Kottler, dans son six-vector.

[3] A l'exception partielle d'Emilio Segrè: Les physiciens classiques et leurs découvertes. Fayard, Paris 1987.

[4] surtout chez les maxwelliens; les physiciens continentaux étaient plus concrets et plus clairs sur le concept de charge électrique.

[5] O. Heaviside. Electrician (28 dec 1888), p. 229. Heaviside's Electrical papers. ii, p 500.

[6] Académie des Sciences; La philosophie des sciences aujourd'hui. Gauthier-Villars. 1986. Paris.