La science comme identité ? Ou l’esprit scientifique ?

 

La science comme identité ? Ou l’esprit scientifique ?

4.1.      Un idéal moral, comme bouclier contre les mensonges.

4.1.1.       Science ? Vous avez dit science ? Quelle science ?

4.1.2.       En quoi ces deux camps se réconcilieraient-ils ?

4.1.3.       Plus Gazonbleu mentait,

4.1.4.       La démonstration : si JE peux respecter la vérité, alors ON aurait pu me respecter quand j’étais enfant.

4.1.5.       Cinquante ans d’indignation.

4.1.6.       Une preuve peut-elle renverser une unanimité ?

4.2.      Un moyen de coupure élitiste d’avec autrui.

4.2.1.       Protection de la relation inégale de domination et de supériorité.

4.2.2.       Le sarcasme comme mode de vie, envers autrui.

4.2.3.       Protection des fautes professionnelles obligatoires.

4.3.      A la façon des plébiscites gaulliens.

4.3.1.       Un OUI franc et massif !

4.3.2.       Des hypothèses clandestines, infondées.

Les préfixes multiplicateurs des unités :

4.4.      Une position de martyr ?

4.5.      L’apprentissage de l’autonomie de réflexion.

4.5.1.       De la durée de la réflexion.

4.5.2.       Autonomie pour prouver faux, ou correct.

4.5.3.       L’apprentissage du respect d’autrui : à commencer par nos clients.

4.6.      Ontologie : à quel âge conquiert-on la discipline scientifique ?

4.7.      La stratégie expérimentale : allons voir d’abord !

4.8.      Pour devenir une science ?

4.9.      La science est-elle une psychothérapie efficace ?

4.10.        Annexe technique : la réflexivité des logiques.

4.11.        Ce travail de mémoires est-il scientifique ?



Auteur : Jacques Lavau

      La science comme identité ? Ou l’esprit scientifique ?

1.1.S   Un idéal moral, comme bouclier contre les mensonges.

On a vu dans le chapitre 1 du volume 2, le rôle de refuge joué par la lecture de « Science et Vie » dès l’âge de huit ans, ou à peine plus.

1.1.1.   Science ? Vous avez dit science ? Quelle science ?

Il est clair qu’à cette époque, huit à dix-sept ans, je ne savais pas distinguer la science de la technique. Une large part du grand public reste incapable de faire cette distinction élémentaire. Cette confusion est partagée même par des prix Nobel comme Elie Wiesel, qui lors d’une panne de faisceau satellite, incrimine les hommes de science. Tant est répandue l’inculture et la panique devant toute technique.

Mais même chez les professionnels des sciences, « science » est un mot complètement polysémique, qui a des usages, et très rarement des définitions. Une définition est un contrat qui engage celui qui l’énonce. C’est un renoncement aux dérives et aux fantaisies, et aux polysémies. Bien peu de gens ont la discipline et le courage d’un tel engagement : une définition. La plupart préfèrent avoir un usage, qu’ils se gardent bien de préciser, ce qui leur permet tous les glissements et toutes les tricheries. Vous connaissez sans doute l’exemple classique : « Un cheval rare est cher. Un cheval pas cher est rare. Donc un cheval pas cher est cher. »

Jules Verne représente bien une autre confusion très généralisée : tous ses savants savent. On n’en voit pas qui doutent, qui ignorent, ni qui avouent leur ignorance. Exemple de cette outrecuidance : en vingt mille lieues sous les mers, dans le premier sous-marin muni d’un large hublot, mené par un expert unique en son genre, jamais le Professeur Arronax n’a rencontré un seul animal inconnu, auquel son valet Conseil n’ait su donner le nom latin complet, et la place dans la systématique... Alors qu’à chaque coup de filet profond de la Galathéa, les océanographes découvrirent des animaux entièrement insoupçonnés, posant d’énormes problèmes à la systématique. Quelle ignorance de notre ignorance !

Empruntons la définition donnée par Richard Feynman devant un parterre de professeurs de sciences, selon la formulation résumée suivante : « La science se distingue de tous les autres modes de transmission des connaissances, par une croyance de base : nous croyons que les experts sont faillibles, que les connaissances transmises peuvent contenir toutes sortes de fables et d’erreurs, et qu’il faut prendre la peine de vérifier, par des expériences. » [1]

Réexaminons cette définition du point de vue du cybernéticien : la science serait donc un système d’énoncés, et de production et de transmission d’énoncés, qui serait piloté en exactitude, et non en fidélité à une tradition, par des épreuves expérimentales. Problème de définition de « expérimental », pour les sciences naturelles, dont l’objet d’études est le plus souvent hors d’échelle avec les moyens de l’expérimentateur : comment expérimenter en astrophysique ? Vous allez vraiment composer une étoile à neutrons sur votre paillasse ? La seule solution est d’espionner ces objets célestes, par nos radiotélescopes, et autres moyens d’observation. Comment expérimenter avec un panache chaud, comme ceux qui pointent sous l’Islande, ou sous Hawaï ? On ne peut que les espionner, par tous les moyens de la géologie et de la géophysique. On est déjà un peu moins démunis pour expérimenter avec l’évolution génétique, bien que très limités par le peu de durée d’une vie humaine, et la faible durée de la mémoire accessible à l’espèce humaine. Et pourtant, à l’exception trop fréquente des sciences humaines, les sciences naturelles sont plutôt bien pilotées en exactitude : une mesure publiée inexacte, une analyse publiée fausse, font de très fâcheuses taches dans la carrière d’un scientifique, si ce n’est pas le même scientifique qui prend la peine de publier la rectification.

En fait, toute dérangeante qu’elle soit, la définition de Feynman est encore très insuffisante à mes yeux. Je ne pourrai développer ici, sous peine de transformer ces mémoires en traité de méthodologie générale, et cette confusion des genres ferait voler en éclats l’anonymat des participantes au parricide presque parfait, auquel est consacré le premier volume. Rappelons donc brièvement le critère de Karl Popper : pour être scientifique, un énoncé doit prendre le risque d’être facile à réfuter par l’expérience; on dit « falsifiable » en vocabulaire inspiré de Popper. Il doit donc prendre le risque d’impliquer des prévisions irrévocables, et que la confrontation des prédictions avec les expériences soit un verdict de « réfuté », ou de « pas encore réfuté ». Popper prenait comme exemple de non-science, la psychanalyse, alors en plein bouillonnement, qui s’offrait (et s’offre encore) le confort de fonctionner en religion, modifiant ses interprétations en tout sens à hue et à dia, à mesure que la réalité lui désobéissait.

Cette prise de risques - risquer de changer d’avis et de système d’énoncés - n’est pas l’apanage des seuls scientifiques. J’ai déjà admiré chez certains religieux qui ne trichent pas, la capacité à changer d’avis après avoir prié (l’archevêque de Lyon, Decourtray, dans l’affaire Touvier). Dans les deux cas, ce qu’il faut apprécier, c’est qu’il existe un procédé pour faire échapper le changement d’avis à quelque insécurité ontologique, en lui donnant un caractère impersonnel. Chez les uns, on met quelque chose au dessus de son orgueil personnel, chez les autres, on fait échapper le système d’énoncés, et les épreuves de réalité, au territoire de l’orgueil personnel. En principe, on confère la position supérieure, supérieure ultime, à « la nature » pour la démarche scientifique, et à quelque « être suprême », pour l’autre démarche; avec le danger commun de tordre le dit ordre supérieur aux impératifs les moins avouables de sa prestance ou de son inconscient. Quoique scientifique, je reconnais la supériorité de la première démarche : mettre toujours quelque chose au dessus de son orgueil personnel, au lieu de se contenter de ne faire échapper que les seuls énoncés scientifiques, à l’emprise de l’orgueil et de la prestance. Rien d’ailleurs n’empêche de cumuler les deux démarches de sagesse. Chez les scientifiques non tricheurs, la discipline consiste à se contraindre à faire des prédictions qui soient réfutables par l’expérience. Ce sont des moyens privilégiés, et bien trop rares, pour échapper à la malédiction standard : « Changer d’avis, c’est être vaincu par l’opinion d’un autre, c’est reconnaître encore une fois qu’on est dominé. Intolérable ! Il faut se battre jusqu’à la mort ! Affirmer sa supériorité par tous les moyens ! » La malédiction standard des relations interpersonnelles, consiste à n’aborder l’autre que pour en obtenir des applaudissements, ou au minimum des approbations. Pas de chance ! Le plus souvent, l’autre aussi n’a qu’une idée en tête : se faire applaudir par vous !

La seconde insuffisance consiste en l’absence totale des critères de pertinence, de réutilisation fiable sur une base interprofessionnelle large. « Pertinence » est ici pris au sens des arbres de pertinence décrits par les auteurs rappelés au premier chapitre, volume 1 (dans « Eloge de la critique » : Jantsch, Saint-Paul, Ténière-Buchot) : alors que les experts d’un domaine peuvent seulement déterminer si une recherche est faisable, seuls ses clients, qui devront en utiliser les résultats pour réaliser une mission d’ordre supérieur, ont compétence pour dire sa pertinence en regard de la mission. Je veux nous définir, nous scientifiques, comme fournisseurs de services, attentifs à nos clients, et non plus comme hobereaux et petits potentats régnant sur nos fiefs balkanisés. Pour cela, nous devrons nous donner une discipline générale, interprofessionnelle, permettant de bien meilleures compréhensions, vérifiabilités et réfutabilités de nos prétentions d’énoncés. Puis nous devons nous dessaisir en d’autres mains qualifiées, du pouvoir de surveillance. C’est à l’heure où j’écris, le grand retard, le grand archaïsme inexcusable, des scientifiques et de leurs institutions.

En pratique, cette définition selon Feynman comporte deux volets. Chaque camp préfère oublier un volet, pour persifler l’autre. Un camp, celui du clergé, se souvient que vérifier est difficile, et que c’est un métier, et que donc pour pouvoir se permettre de vérifier, il faut être un expert, longuement spécialisé et initié par ses aînés. On n’admet comme expert que celui qui a franchi les longues épreuves d’initiation, et qui a été agréé par les anciens.

Dans cette obédience-là, la mathématique, c’est ce qui est enseigné par des professeurs de mathématiques, eux-mêmes surveillés par des inspecteurs de mathématiques. N’est donc mathématicien que celui qui a subi avec obéissance, voire enthousiasme, tous les bizutages de la profession, pour en reproduire à l’identique tous les tics. Et ce qui vient de l’extérieur est minutieusement agressé par ce qu’il faut d’anticorps. L’enseignement des mathématiques est donc, en pratique, largement dispensé du pilotage en exactitude, et se contente très vite du pilotage en tradition, et en obéissance aux chefs.

De même, la physique, c’est ce qui est enseigné par des professeurs de sciences, eux-mêmes surveillés par des inspecteurs de sciences. N’est donc physicien que celui qui a subi avec obéissance, voire enthousiasme, tous les bizutages de la profession, pour en reproduire à l’identique tous les tics. L’enseignement de la physique, et surtout de ses outils empruntés à d’autres professions, et prétendus vérifiés par d’autres professions, en particulier de ses outils mathématiques (ou réputés mathématiques, car il leur arrive d’être mathématiquement fort étranges) est donc, en pratique, largement dispensé du pilotage en exactitude, et se contente très vite du pilotage en tradition et en obéissance aux chefs.

En effet, le pilotage en exactitude n’est efficace que sur le front actif de la recherche, là où sont concentrés les esprits vifs et aventureux, et quand le cycle énoncé-vérification-correction est court : l’énoncé prouvé faux n’a pas eu le temps de se propager en grand, de devenir dogme enseigné du lycée au chercheur, mais est restée circonscrit à quelques spécialistes. L’arrière du pays conquis n’est occupé que par des gens de l’arrière, qui n’expérimentent plus, qui n’ont pas le temps de vérifier profondément, qui sont là pour la sécurité de l’emploi, et qui sont déjà bien occupés par les difficultés posées par les élèves. Quand l’énoncé prouvé faux est enseigné à des millions d’exemplaires, à tous les étages des manuels scolaires et universitaires, d’une part, le souci de prestance emporte toute honnêteté : « On ne peut quand même pas être si nombreux à s’être trompés à ce point depuis 150 ans ! Cela ferait beaucoup trop d’imbéciles ! » objectait l’un d’eux, d’autre part le cycle d’apprentissage de l’énoncé faux est réparti sur plus de dix ans de formation, et de trente ans de carrière, et plus personne ne sait par bout piloter ni réformer le monstre : les temps de réponse sont trop nombreux, et bien trop longs. C’est ainsi que la mathématisation de la physique, et dans une moindre mesure, la production de concepts de la physique échappent en fait à tout pilotage en exactitude, et sont donc loin d’être toujours scientifiques.

Dans le camp des carriéristes frileux, toutes les définitions sont institutionnelles. Ils se rendent alors incapables de considérer sérieusement les pathologies des institutions, et du comportement institutionnel. Il leur faut donc développer une schizophrénie ad hoc - ou termes moins savants, dresser des cloisons étanches dans leur esprit, afin qu’une connaissance acquise dans un domaine ne percole jamais dans un autre, et n’en subvertisse aucune certitude infondée - pour s’accommoder, par exemple, de l’existence et des travaux de George Green (1793-1841), qui était boulanger. Nous nous servons de fonctions de Green tous les jours, mais ses travaux de 1828 ne furent remarqués qu’après sa mort, en 1845, par W. Thomson et G. R. Kirchhoff, et surtout après leur réimpression en 1850, par Thomson.[2]

Le cas d’un jeune va-nu-pieds que personne n’écoutait, est plus connu : Albert Einstein. Mais la schizophrénie institutionnelle porte désormais le principal de son effort de dissimulation sur l’intégrité scientifique du directeur des Annalen der Physik, à l’époque, 1905, qui a accueilli les trois articles d’un inconnu, hors de la protection d’aucune puissante institution, rien que parce que les articles étaient intéressants et apportaient des solutions inédites. Une telle intégrité scientifique est totalement obsolète, et ne se rencontrerait plus de nos jours dans aucune revue sérieuse : on a un large panel de referees pour se garantir contre toute nouveauté non prévue, qui ne serait institutionnalisée d’avance.

L’autre camp, celui des incroyants, ou au moins libre-penseurs, retient le caractère irrespectueux, de la croyance que les experts soient faillibles, et il aime bien exaspérer le camp du clergé, avec cet irrespect de base.

Je me situe moi-même comme un incroyant, mais un incroyant qui a appris à vérifier et à expérimenter, et qui sait que dans ce domaine, on n’a jamais fini d’apprendre.

J’ai soutenu ailleurs que l’acte de naissance de la science en Europe (seconde naissance, pour être précis : n’oublions pas l’Antiquité), est une défaite historique de la doctrine instituée : Christophe Colomb n’a pas cru les bons livres, ni les bons docteurs, a trouvé un roi pour financer son expérimentation, traverser la mer Océane, pour trouver un continent de l’autre côté.

 

Début de citation :

Koestler consacre une part importante du livre cité plus haut[3] à un chanoine craintif : Copernic. Il a passé l’année 1500 à Rome, l’année du Jubilé. Or, cette année-là, à Rome, tout le monde parlait du dernier scandale : Cristobal Colon avait traversé la mer Océane, et trouvé de l’autre côté un continent refusé par tous les bons livres de géographie, et nié par tous les docteurs en théologie. Les esprits se délièrent : « Si les livres de géographie sont faux, alors d’autres livres peuvent être faux ? ». Tout craintif fut-il, Copernic s’engouffra : Et si l’Almageste de Ptolémée était faux ? Giordano Bruno fut promptement brûlé : il avait osé suggérer que la Bible fut aussi fantaisiste que les autres livres de contes poétiques. Galileo fut relativement épargné : il s’était limité à mettre en doute la véracité immanente des écrits d’Aristote, et à procéder à des vérifications expérimentales.

Ce rappel historique permet de donner un ancrage chronologique à la définition donnée par Richard Feynman : « La science se distingue de tous les autres modes de transmission des connaissances, par une croyance de base : nous croyons que les experts sont faillibles, que les connaissances transmises peuvent contenir toutes sortes de fables et d’erreurs, et qu’il faut prendre la peine de vérifier. »

A nous de donner l’ancrage dans le temps et dans l’espace :

La technologie chinoise avait alors plusieurs siècles d’avance sur la technologie européenne, sans pourtant guère donner naissance à de la science : ils avaient la conviction qu’il n’existe point de loi générales. Si elles n’existent pas, à quoi bon les chercher ? Voilà un nouvel exemple de conviction métaphysique : elle n’est basée sur aucune expérience.

Marshall Mac Luhan a souligné que l’explosion de littérature et des sciences chez les grecs anciens repose sur un fait technologique et social n’ayant qu’un seul précédent (inexploité) à l’époque : il existait une écriture simple, et qui ne soit plus la propriété exclusive d’un clergé étouffant, comme en Egypte ou en Mésopotamie. Du point de vue du physicien, la science grecque est assez décevante, car les aristocrates grecs n’aimaient guère expérimenter, et méprisaient la tekhnè des artisans. Du point de vue du mathématicien, elle est plutôt impressionnante : ces mêmes grecs adoraient raisonner. Et l’écriture désormais accessible à tous leur donnait des armes de raisonnement inconnues précédemment. Rappelons l’expression de mépris suprême : « Il ne sait ni lire, ni nager ! ». Historiquement, l’écriture grecque est héritée des phéniciens, qui n’en firent qu’un usage commercial. Les outils tels que l’écriture, doivent aussi rencontrer des esprits curieux et avides, dans une société qui valorise la création, par exemple la création artistique. Cette première rencontre fut grecque.

L’historien est acculé à conclure : la science est née une seconde fois, la principale, en Europe, vers 1500,
lorsque d’une part la technologie des ingénieurs et des artisans du Moyen-âge et de la Renaissance lui a donné des moyens expérimentaux suffisants,
en Europe judéo-chrétienne, là où on pensait qu’il existe au monde des lois générales,
mais après qu’on y eût découvert les auteurs grecs, donc commencé à conquérir une vision diachronique (relativisant les convictions à la mode du jour),
et surtout quand le clergé a subi une première défaite retentissante.

Cette défaite retentissante, c’est ce Cristobal Colon, qui refuse de croire les bons docteurs, qui trouve un roi pour financer son expédition, qui va expérimenter avec ses trois navires, la largeur réelle de la mer Océane, et qui en revient vivant, accompagné d’indigènes caraïbes. Le convoque-t-on à l’université de Salamanque pour lui démontrer que sa découverte maritime est forcément fausse, car « elle contredit toutes les connaissances que nous avons », Colon fait entrer les indiens caraïbes, et demande aux docteurs : « Et ceux-là, ils étaient présents dans vos livres ? »

Nous aurons à nous demander si nous sommes encore à une telle époque favorable, et si une ou plusieurs conditions indispensables n’ont pas disparu, au moins localement.

Notamment si la reconstitution de clergés locaux, et de théologies étouffantes, d’idéologies locales autarciques et méprisantes, ne compromet pas gravement l’heuristique; par exemple en multipliant les mises en gardes obliques contre la recherche d’épreuves de réalité.

Fin de citation.

 

1.1.2.    En quoi ces deux camps se réconcilieraient-ils ?

En fait, outre un minimum de curiosité, les deux camps opposés ont une valeur morale en commun : l’amour de la vérité, l’horreur du mensonge. En quelque sorte, et au moins en partie : l’esprit scientifique.

Mais pour le camp du clergé, cet amour de la vérité est perverti par l’adhésion peureuse à des agglomérats, le plus souvent basés sur la censure de trop de faits qui les dérangent. Nous en verrons les détails plus loin avec Michel Schiff. J’ajoute de mon cru que dans ce camp là, du clergé, ils ont souvent oublié que notre honneur de scientifique, est d’avoir pris l’engagement, et de le tenir, de faire passer l’exactitude avant la prestance, et donner la même publicité à la rectification de nos erreurs, qu’aux erreurs originales elles-mêmes. C’est cet engagement qui nous distinguerait des notables ordinaires - si toutefois nous le tenions !

Pour le camp des libres penseurs, cet amour de la vérité est souvent aussi perverti, mais de façon beaucoup plus diverse. Parfois par simple incompétence : ils n’ont pas appris à être disciplinés avec la logique, et avec les vérifications. Parfois ils sont inchiffrés. Parfois par narcisse blessé : hors de leur motivation vengeresse, rien ne les touche, aucune objection; ceux-là sont malades de la même façon que les quelques savants fous que j’ai pu approcher à l’Université de (NotreVille), ou dont quelques oeuvres insolites échouent dans ma bibliothèque. Tout dépend de leur armature morale : ou ils savent se tenir debout et rester honnêtes, ou ils pratiquent les mêmes fautes que les plus cléricaux des membres du clergé, bottant en touche du coq à l’âne à la moindre difficulté.

En résumé, pour moi, et depuis l’enfance, c’est le choix moral qui primait, et ce choix moral était rebelle : l’horreur du mensonge, la recherche de la vérité. Autrement dit, pour moi, l’esprit scientifique était un psychothérapeute, intégré depuis la pré-adolescence à ma personnalité : un psychothérapeute spécialisé dans la guérison des délires d’origine externe (tels que le catholicisme, mais ceci n’est qu’anecdotique). La progression de ces mémoires a aussi rappelé que l’esprit scientifique n’est seulement efficace contre les illusions et les aveuglements en provenances de l’extérieur. D’ailleurs, on le savait depuis longtemps : de nombreux consultants, par exemple Michel Fustier, ont depuis longtemps démontré, exemples à l’appui, que faire progresser l’esprit scientifique dans une entreprise, améliore toujours sa santé mentale, son efficacité, puis ses performances économiques.

 

1.1.3.    Plus Gazonbleu mentait,

plus sa fille aînée s’enfermait dans la mythomanie, et plus je me tenais fermement à ma définition « je suis un scientifique, un physicien ». Etudier et chercher, était la preuve de mon identité maintenue contre l’assaut des contre-vérités, tout en persistant à ne pas lutter, à rester inexistant sur le terrain du conflit à mort,,  conformément au projet d'annihilation et de foudroiement de son fils, au plan de mort passionnément poursuivi par ma famille d'origine, par la Reine-Mère surtout. Pendant que mon épouse et sa fille aînée organisaient mon assassinat en écartant tous les témoins, organisaient le huis-clos mortel sans témoins.  Voir mon compte-rendu de leur préparation d'assassinat, copie publique de mon courrier du 18 août 1997, à André Tunc. Lien.

Puis, fin 1997, j’ai échappé de mon vivant à Gazonbleu et Frédégonde. Me voilà, en 1999, au moins durant les heures de bureau, entouré de physiciens institutionnels. Et je maintiens ma définition ? Intenable ! Je reste motivé à me définir comme scientifique, mais hélas le clergé spécialisé m’a dégoûté d’une spécialisation à laquelle je tenais, avant.

Simplement, je remets en avant le large éventail d’épreuves de réalité élaborées par diverses professions, et je rappelle qu’on en n’aura pas de trop. Alors que chaque chapelle proclame que seule sa propre épreuve de réalité compte, et que toutes les autres ne sont qu’illusions de farfelus qui n’ont pas les pieds sur Terre. A mon âge, il est urgent de faire la synthèse de ce qu’on a appris à faire dans sa vie, et de le transmettre pendant qu’on en a les forces. Je fais donc de la synthèse, de la discipline de généraliste, à usage interprofessionnel. Même si pendant ce temps, cela me fait souffrir d’abandonner trop vite pour mon goût, la physique, où pourtant les fautes professionnelles accumulées sur plusieurs générations, méritaient quelques interventions correctives.

Ma science à moi, est donc bien une réaction interpersonnelle, une réaction d’identité, en réponse à des négations d’identité, à des agressions à mes valeurs morales de base. Après un an loin des agressions quotidiennes - je parle aussi bien du lieu conjugal, que du lieu professionnel, en ce Lycée Professionnel de Nagoumari, où le proviseur ne peut s’empêcher de sandwitcher un mensonge dans chaque phrase, entre deux couches d’épais bon sens, donnant ainsi la référence de l’établissement - mes motivations évoluent et se renouvellent complètement. Là bas, mon identité, c’était bien évidemment : « Je suis un scientifique ! ». Maintenant ? Eh bien, c’est beau, la vie sans agressions ! C’est beau de constater que ma tendresse et ma sensibilité sont intactes, et qu’elles ont franchi indemnes toutes ces années d’hibernation sous une terrible glaciation !

Pendant qu’un peu de temps
Abrite un peu d’espace,
En forme de deux coeurs,
Pendant que sous l’étang,
La mémoire des fleurs
Dort sous un toit de glace, ...

Gilles Vigneault

Je n’ai plus de gages interminables à donner à la jalousie maladive de Gazonbleu. Depuis le début, j’étais sous l’obligation, pour donner de la confiance en soi à cette femme qui en manquait terriblement, de ne m’intéresser à aucun autre humain qu’elle-même. Pourtant, quelle que soit l’ampleur des sacrifices consentis, Gazonbleu n’a jamais sérieusement guéri sa jalousie, se contentant de la généraliser à tous les aspects de la vie. Maintenant, finie l’obligation de ne consacrer mon ardeur de connaissance qu’à la curiosité scientifique, je suis libre de m’intéresser aux humains, et je ne me prive plus de m’y intéresser. Un peu tard, sans doute ?

 

1.1.4.    La démonstration : si JE peux respecter la vérité, alors ON aurait pu me respecter quand j’étais enfant.

La motivation réelle pour devenir un obsessionnel de l’exactitude scientifique, ou linguistique, fut bien de fournir une démonstration : on peut respecter rigoureusement les faits. On PEUT ne pas tricher. On peut ne pas ensevelir autrui sous son territoire sonore, on peut ne pas procéder à un viol sonore permanent de son fils, comme le fit ma mère dans sa névrose et sa vanité envahissantes. On peut respecter les faits en silence et avec humilité.

Mon père était volontiers un baratineur approximatif, pourvu que cela lui fit les moyens de briller, de préférence aux dépens d’autrui. Là encore, après une première phase où la technique fut vue comme un moyen de puissance, de puissance revancharde, le goût de l’exactitude vint en guise de rempart contre leur n’importe quoi, à tous deux.

Tout cela est bien insuffisant à faire de moi une personnalité chaleureuse... Les corrections partielles sur ce plan là vinrent bien tard, et sont d’ailleurs étrangères à ce chapitre sur la science et l’esprit scientifique comme identité.

Second élément de la motivation : j’ai cité dans le chapitre 1, vol 2, l’article de psychologue expliquant qu’il ne fallait surtout pas empêcher les petits tortionnaires de passer leurs nerfs sur les petits boucs émissaires, de peur de traumatiser les tortionnaires. C’est aussi contre cette façon de se foutre du monde, ou celle de Sigmund Freud dans nombre de ses romancements, que je suis devenu scientifique, obsessionnel de l’exactitude.

Remarque : cette motivation, démontrer comment bien faire, comparé à ce que firent nos parents pour nous, fut une motivation commune, quand nous élevâmes nos enfants. D’où quelques uns de nos excès, quelques unes de nos outrecuidances.

En conclusion de ces deux paragraphes, on peut conclure que je suis devenu et resté scientifique dans l'espoir que cela me permettrait de desserrer le garrot de mensonges permanents qui m'étranglait, et cela aussi bien dans ma famille d'origine, que lorsque la famille que j'avais fondée est devenue complètement folle et meurtrière - à l'instigation notamment de ma mère, prêcheuse de la guerre sexiste. L'exactitude scientifique recherchée, était un élément de loyauté et de fiabilité, antidote vital  au venin de la déloyauté parentale, puis de la déloyauté conjugale, puis encore et toujours de la déloyauté des matriarques de ma famille d'origine.

J'ai épuisé la question ?
Toujours pas. Il y manque la radicalité de notre façon de couper net aux flot de délires. Si une prédiction de théorie est contredite par une expérience fiable, alors la théorie est fausse. De même qu'en mathématiques un seul contre-exemple suffit à ruiner une affirmation. J'étais enseveli par ma mère sous les flots de mensonges et d'affabulations. Avec la discipline scientifique, je disposais de la bonne barre de fer apte à être lancée dans ses rouages et à y tout bloquer. Là où l'autothéorie rejoint l'histoire générale, c'est bien ce jubilée de la chrétienté, en 1500 à Rome : tout le monde parlait de la découverte de Christophe Colomb. Donc les livres de géographie sont faux. Mais alors ? Si d'autres livres étaient aussi faux ? C'est cette défaite des discours du clergé, qui est l'acte fondateur de la science à l'aube du seizième siècle. La suite a bien pris cinq siècles, voire plus. Une date importante est quand l'abbé Lemaître est allé voir le pape Pie XII et l'a convaincu de ne plus s'occuper de régenter l'astrophysique : 1939. Plus de cinq siècles, si l'on regarde de plus près les tentatives toujours fortes d'un clergé pour régenter la biologie, et interdire l'enseignement des bases de l'évolution, aux U.S.A. et dans les zones où règne l'intégrisme islamique.

La brutalité d'un "C'est faux !" était vitale pour moi, pour interrompre les flots de mensonges de la Reine-Mère.
Voir un éloge funèbre de ladite Reine-Mère à http://jacques.lavau.deonto-ethique.eu/Fam_Lavau/Delire_borderline_Reine-Mere.html et à http://jacques.lavau.deonto-ethique.eu/Fam_Lavau/proteger_criminalite_feminine.html.

1.1.5.    Cinquante ans d’indignation.

Sur l’air du sketch « La publicité », de Laspales et Chevalier : « Tu ne pourras jamais empêcher qu’il y ait des cons, qui ne comprennent jamais rien à la pub ! », on ne pourra jamais empêcher qu’il y ait en moi un petit garçon, qui s’indigne d’être odieusement lâché et trahi par ses parents. J’avais cinquante cinq ans lors de la rédaction du présent chapitre, et mon indignation n’a pas diminué, en cinquante ans.

 

1.1.6.    Une preuve peut-elle renverser une unanimité ?

Un autre mirage a dominé ma vocation scientifique : si la science était vraiment le domaine où l’exhibition d’une preuve pourrait renverser une unanimité établie ?

J’ai eu énormément à souffrir des unanimités établies, sur des bases qui défiaient l’honnêteté la plus élémentaire.

Des exemples favorables existent. Les témoins de l’époque attestent que Rudolf Mössbauer, post-doc à Grenoble, passait facilement pour fou : il lui manquait tout de l’élégance mimétique du jeune homme ambitieux. L’irremplaçable effet Mössbauer, découvert en 1958, a eu très vite des applications exceptionnelles. Il faut modérer ces exemples. Les règles de la distribution du pouvoir, et des « opinions communes » chez les scientifiques ne diffèrent quand même que fort peu, de ce qu’elles sont partout ailleurs, chez les autres.

Un singe de rang élevé n’apprend rien des innovations introduites par un individu d’un rang subalterne. Ou très très à contre-cœur, et longtemps après les autres.

 

1.2.    Un moyen de coupure élitiste d’avec autrui.

1.2.1.    Protection de la relation inégale de domination et de supériorité

A juste titre, le lecteur pourrait être lassé de mes opinions personnelles. Donnons la plume à Michel Schiff :

« Du point de vue psychologique, la recherche éperdue de l’objectivité est le résultat d’une fuite devant tout ce qui pourrait nous renvoyer à nous-mêmes. [...] dans un essai sur le cartésianisme, une féministe américaine parle de « fuite dans l’objectivité ». [...] J’en viens à croire que, si mes collègues sont devenus scientifiques, c’est parce qu’ils ont fait à l’adolescence le même choix que moi : refouler ce qui concerne la personne. Dans cette optique, la démarche d’objectivation ne serait pas seulement une démarche de connaissance. Elle serait l’alibi du « je ne veux pas le savoir » que nous opposons à tout ce qui nous dérange. [...] le principe d’objectivité invoqué par [...] n’a pas seulement joué un rôle de mystification vis-à-vis des profanes. Je pense que les chercheurs se sont mystifiés eux-mêmes [...] La religion de l’objectivité n’est pas seulement l’opium du peuple, elle est aussi celle des chercheurs. » (SCHIFF 94, p174)

Schiff précise en quoi ladite « communauté » est aussi une communauté de croyants : « L’appartenance à un groupe, avec ses valeurs, ses normes, ses rites et ses certitudes nous sécurise. Cette appartenance nous aide à construire notre identité. Du point de vue psychologique, ce qui distingue une secte d’un autre groupe social est le caractère radical, quasiment métaphysique, de la coupure avec les autres. Pour la personne qui appartient à une secte, le monde des humains est divisé en deux catégories bien distinctes : il y a « nous » qui connaissons la vérité, et « eux » qui ne veulent ou le peuvent la connaître. De ce point de vue psychologique, les scientifiques me semblent constituer une secte, tout comme les membres d’un parti doctrinaire.

La connotation religieuse du mot « secte » peut paraître déplacée quand il s’agit de gens qui rejettent avec véhémence l’idée de croyance. C’est précisément l’illusion de ne pas avoir de croyances qui fonde l’Eglise scientifique... Certains sociologues de la science prétendent que, contrairement à ce qu’ils croient, les scientifiques sont bien semblables aux autres humains : comme le commun des mortels, le scientifique est guidé dans sa pratique professionnelle par un système de croyances. » (SCHIFF 94, pp 166-167).

« Les sarcasmes sont une de manifestations courantes du refoulement scientifique, refoulement qui conduit à évacuer des questions pertinentes. Une autre manière d’exorciser une question embarrassante est de profiter de la moindre défaillance théorique ou expérimentale pour rejeter en bloc tout ce que peuvent dire ou écrire ceux qui ont posé cette question. » (SCHIFF 94, pp 196).

« Un rapport au savoir étriqué et dominateur.

Chaque groupe humain voit midi à l’heure de son clocher. Dans le jargon propre à leur tribu, les ethnologues parlent d’ethnocentrisme. Cette idée est en fait très ancienne. C’est ainsi qu’une parabole chinoise plusieurs fois millénaire évoque le ciel de la grenouille : n’ayant jamais quitté le fonds de son puits, la grenouille croit que le ciel se limite au rond qu’elle voit à travers la margelle. Elle ne soupçonne même pas que l’Univers puisse exister en dehors de ce qu’elle perçoit. [...] nous croyons avoir une idée globale du monde. Cette croyance est particulièrement répandue chez les chercheurs. Malgré les millions de livres auxquels ils ont accès, [...] la plupart n’ont jamais quitté le puits de leur science. [...] mais partout, ils ont transporté la lorgnette de leur savoir. S’imaginant détenir les clés de la connaissance, les chercheurs universitaires sont souvent incapables d’apprendre des autres humains. » (SCHIFF 94, pp 181).

« La science en a vu d’autres. [...] Si les scientifiques ont fait preuve de la violence verbale et institutionnelle que j’ai décrite dans les chapitres précédents, c’est que [...] ce chiffon rouge met en cause leur propre rapport au savoir, et en particulier le monopole qu’ils s’arrogent de dire le vrai et le faux à propos des phénomènes naturels, y compris ceux qui concernent directement les humains. [...] Après une inévitable période de désarroi, la plupart des scientifiques s’accommoderaient d’un changement conceptuel, si radical soit-il. Ce qui leur est insupportable, est l’idée qu’il faudrait éventuellement réévaluer leur place dans la société. » (SCHIFF 94, pp 180).

Fin des citations de Michel Schiff [4].

J’établirai plus loin, qu’ainsi Michel Schiff a prouvé l’immaturité - nous savons, vous ne savez pas - de ce sentiment de supériorité et de coupure-d’avec-les-profanes, fondateur de la communauté scientifique. Cette immaturité est totalement contradictoire avec la moralité et la discipline scientifiques de base.

 

1.2.2.    Le sarcasme comme mode de vie, envers autrui.

Je n’ai qu’à ouvrir un cahier de cours, pour y trouver au jour le jour quelques uns des sarcasmes (environ 20% d’entre eux, si ma mémoire est fidèle) envers untel ou tel autre, que nous, les étudiants, étions chargés d’approuver et de partager.

1er mars 1999 : persiflage contre le journaliste François de Closets, « vous savez, qui a des opinions sur tout », « qui croit que nous décrivons des particules qui remontent le temps ! ... Vous savez, le plus dangereux, ce ne sont pas les gens qui ne comprennent pas ! Ce sont ceux qui croient comprendre ! » Je dois être très dangereux, car tout au long de ce cours, j’ai vu dessiner des diagrammes de Feynman, et calculer des trajectoires au rebours de notre temps macroscopique, depuis les premiers calculs de Dirac, en 1928. Tout au long de ce cours, j’ai vu calculer des énergies négatives, des masses négatives, des états finaux antérieurs aux états initiaux, et entendu des discours comme quoi, il ne fallait pas croire ce qu’on calculait, sinon, on serait très naïf, mais seulement s’en servir. S’en servir, car c’est indispensable. Moi, je suis certainement aussi dangereux, car je prétends que les formalismes sont souvent plus savants que ceux qui les ont inventés, et a fortiori que ceux qui les enseignent, et qu’un formalisme qui marche très très bien, s’il est aussi très cohérent, a souvent raison, plus souvent que le docte docteur. Dangereux, pour la relation de supériorité...

8 avril 1999 : « Evidemment que ce n’est pas un mathématicien ! » qui a proposé le modèle de symétrie du groupe SU(3) pour l’octet des mésons pseudo-scalaires, et pour l’octet des nucléons (M. Gell-mann & Y. Ne’eman. The Eight-fold way. 1964), gouaille le prof. Nous sommes donc la communauté qui est supérieure à toutes les autres ?

 

1.2.3.    Protection des fautes professionnelles obligatoires.

L’anti-heuristique comme confort intellectuel.

Le 9 février 1999, le conférencier invité par la section locale de la SFP (Société Française de Physique), fut un historien des sciences. C’est tout à l’honneur de cette section locale : cet historien est un empêcheur de danser en rond. Il critiquait l’histoire triomphaliste des seuls problèmes résolus et des seuls succès, trouvant qu’on oubliait un peu précipitamment l’histoire des questions, et surtout des questions non résolues, ou au moins des questions longtemps non résolues. Il nous interpellait sur l’inefficacité en grand de notre enseignement scientifique, qui glisse sur les plumes-de-canard du plus grand nombre, sans effets durables. Quand on interroge les gens, si la Terre tourne autour du Soleil, ou l’inverse, une nette majorité répond que c’est le Soleil qui tourne autour de la Terre...

Ce qui fut moins bien ? Deux choses : l’amphi était presque vide, les doigts d’une main auraient suffi pour compter les étudiants, dont moi, l’étudiant quinquagénaire, alors que l’intention avouée de cette série de conférences est d’ouvrir des horizons aux étudiants de Licence et de Maîtrise. Et le restant de l’amphi, constitué de chercheurs et d’enseignants, prit vivement l’historien à partie. On justifia qu’on avait raison de multiplier les précautions pour se prémunir contre la présence des esprits farfelus. On s’affola que l’historien ait évoqué à quel point leur recherche éperdue de l’équation de tout, était inexplicable et incompréhensible au contribuable de base.

Quand quelques semaines plus tard, j’ai évoqué cette conférence, et son accueil étonnant, avec des physiciens qui n’y avaient pas été, il m’a été répondu précipitamment des mots méprisants envers les « provocateurs professionnels », et le comble de l’opprobre : « C’est presque de l’épistémologie! ». On sait qu’Anatole Abragam, quand il entend le mot « épistémologie », sort son revolver, même s’il reconnaît ensuite que c’est là une réaction excessive.[5] Mon interlocuteur s’affirmait moins vindicatif, mais tout aussi méfiant et réprobateur, envers toute question sur les fondements des convictions communes au clergé.

Nous rencontrions la même nervosité précipitée, dans plusieurs autres professions, pour justifier leurs haines ou leurs aveuglements envers tel ou tel novateur très mal accueilli. Il me revient à l’esprit en illustration, chez les obstétriciens les sarcasmes envers Frédéric Leboyer, et bien entendu, l’exemple historique (mais auquel je n’ai pas assisté en personne) des manœuvres des chirurgiens viennois de 1848, contre Semmelweis, pour garder les mains sales avant de manipuler les parturientes.

 

1.3.    A la façon des plébiscites gaulliens.

1.3.1.   Un OUI franc et massif !

Pour ceux qui l’ont connu ! Charles de Gaulle avait l’art de poser de nombreuses questions à la fois, auxquelles les citoyens n’avaient que deux choix possibles : répondre un seul OUI à toutes, ou NON à toutes. Il appelait cela un référendum. « Approuvez-vous telle réforme constitutionnelle, plus tel choix de politique étrangère, plus tel choix de politique intérieure, plus toute ma politique depuis que j’ai pris le pouvoir, et m’aimez vous ? Oui ou non ? ». Ce jeu a duré de 1958 à 1969, lorsque de Gaulle a perdu. Son tombeur, Georges Pompidou, crut astucieux de recommencer la même combine presque trois ans plus tard : « Approuvez-vous la construction de l’unité européenne, et toute ma politique, et m’aimez-vous ? ». Ce fut comique, le soir du dépouillement (avril 1972), la panique à la télévision gouvernementale, pour cacher le plus longtemps possible le taux de participation catastrophique : vite vite, des images du plus loin possible, vite, des images de la Lune ! Où il ne se passait rien. Des journalistes avaient répondu : « Nous ne sommes pas aux ordres ! L’Europe, ça fait longtemps que nous y avons déjà répondu oui. ». Le nouveau parti Socialiste avait répondu à Pompidou par des affiches « On ne joue pas avec des tricheurs », et l’ampleur de l’abstention fut son premier succès politique. Au contraire de de Gaulle, Pompidou n’avait pas les moyens de susciter une adoration, un amour démentiel. [6]

D’autres auteurs ont décrit, mieux que je ne pourrais le faire, ces transactions piégées, où un gourou réclame un amour démentiel de la part de son peuple, en échange d’un rêve de pouvoir et de revanches sur la vie. Pour Hitler, ce fut la promesse du beurre, des canons, de l’argent du beurre, et de l’espace vital conquis sur les sous-hommes de l’Est.

Et les scientifiques qui enseignent, ici à l’Université de Notreville, ou ailleurs ? Ils font eux aussi des demandes d’approbation démentielle, par un seul et même OUI franc et massif, à de nombreuses questions distinctes, qu’ils se sont rendus incapables de démêler. Je peux le certifier, moi l’étudiant de 55 ans : je l’ai vu de mes yeux vu, entendu de mes oreilles entendu. Qu’on excuse la technicité des lignes suivantes.

 

1.3.2.    Des hypothèses clandestines, infondées.

Un plébiscite porte sur la transaction : « Le formalisme mathématique de la Mécanique Quantique fait de bonnes prédictions statistiques, donc la totalité des énoncés sémantiques que nous mettons autour, sont au dessus de tout soupçon, et vous devez l’approuver en bloc, ou déguerpir en avouant que vous ne savez rien comprendre, et que vous êtes un esprit farfelu ! ».

Si on décompose ce plébiscite en ses constituants principaux, on trouve bien des croyances, qui ne reposent sur aucune expérience, voire sont complètement contredites par les expériences, et qui sont souvent contradictoires entre elles :

La plus grave croyance, nous est enseignée depuis le collège :

 

1.3.2.1.             Hypothèse macroscopique clandestine.

On nous a habitué à croire à des abstractions géométriques : points, droites, plans, courbes, surfaces, positions, continuité, puissance du continu, points d’accumulation, suites de Cauchy, etc. Or ces abstractions sont l’extrapolation d’une aventure technologique multimillénaire, mais désormais épuisée au long du vingtième siècle : pendant longtemps, on a toujours réussi à faire un pointage plus précis que le précédent, tracer des traits plus fins et plus droits que les précédents, usiner des surfaces plus propres et plus planes que les précédentes. Puisqu’on n’atteignait pas les limites de la précision, pourquoi ne pas faire un passage à la limite intellectuel ? Sauf que ce passage à la limite, vers point, droite, plan, position, inclus une hypothèse macroscopique : on pourra toujours diviser la matière plus finement que précédemment, ou pourra toujours diviser l’espace plus finement que précédemment, et la limite atomique ne sera jamais atteinte !

Pas de chance, la limite atomique est bien là. Voilà déjà un siècle que nous autres physiciens, butons dessus, et plus de cinquante ans, que nous autres ingénieurs, butons aussi dessus. Dans vingt-sept milligrammes d’aluminium, vous avez six cent deux milliards de milliards d’atomes d’aluminium. Vous ne diviserez donc pas un objet d’aluminium, en morceaux plus petits qu’un demi nanomètre : car un demi nanomètre, c’est un seul atome d’aluminium. Et une vapeur d’aluminium, n’a aucune des propriétés de l’état métallique. Pour retrouver l’état métallique, il faut un bon milliard d’atomes, soit un morceau de quelques quatre cents nanomètres, peu en dessous des limites de résolution du microscope optique. Avec un aussi petit morceau, certes vous retrouverez les propriétés électriques de l’état métallique, mais même pas encore ses propriétés optiques dans le visible : trop petit pour réfléchir la lumière !

Conclusion provisoire ? L’hypothèse géométrique de départ est farfelue. Et pourtant, elle est enseignée partout. La notion même de position, est inepte, et incompétente, en dessous des distances pour lesquelles on ait encore des moyens expérimentaux de les mesurer.

Inepte en dessous de combien ? Inepte en dessous du demi micromètre, si on emploie des moyens d’expérimentation optiques, dans le domaine du visible. Inepte en dessous de plusieurs distances interatomiques (un ou plusieurs nanomètres), si l’on s’intéresse aux électrons de conduction dans un solide, car c’est au moins cela l’encombrement de chacun. La pensée géométrique que nous avons apprise, est définitivement incompétente en dessous du rayon Compton d’une particule quelle qu’elle soit, soit 386 fm (trois cent quatre-vingt six femtomètres[7]) pour un électron au repos ou presque.

 

1.3.2.2.             Des « particules » ?

Tout document de vulgarisation, en vidéo, nous montre des petites billes colorées, censées représenter les électrons, traçant des trajectoires circulaires autour d’autres billes, ou éventuellement agrégats, représentant les noyaux atomiques.

L’ennui, c’est qu’avec ce concept-là de « particule », on a maintenu et prolongé l’hypothèse macroscopique précédente, pourtant indéfendable. Pour que vous ayez reconnu et individualisé à l’oeil les petites billes, il faut disposer de quelque chose de plus petit qu’elles : de la lumière, colorée et modulable en intensité. De même que nous admirons du haut de la falaise, la régularité des grandes vagues, parce qu’il y a quelque chose de plus petit que les vagues, pour nous renseigner sur leur forme : la lumière du soleil, réémise vers notre oeil. Mais il n’y a rien de plus petit qu’un électron, qui pourrait nous renseigner sur la forme, la taille, ni même la position d’un électron. La lumière visible est environ un million de fois trop grosse. Un rayon plus énergétique alors ? Un rayon gamma, ce sera assez petit ? S’il est presque assez petit, alors ce photon gamma est assez énergétique pour que la collision produise deux électrons et un positron : un anti-électron ! Tu parles d’un renseignement sur la position et la forme de la petite bille !

Donc non seulement ce concept de « particule » est encore un indéfendable reliquat du passé, incorporant en lui-même l’hypothèse macroscopique, mais en plus, il n’existe rien qui permette de définir « petit », en dessous de l’électron, du photon, et de quelques autres particules élémentaires. Encore plus vexant : les quarks sont définitivement en deçà de toute définition de « petit » dans l’espace puisqu’ils sont inséparables dans notre espace, et n’y laissent même pas d’ombre. Aux jets de hadrons près, ce qui est une ombre fort indirecte.

Et pourtant ? Pourtant ils y croient toujours. Certains ont même le courage d’imprimer leur croyance : « On peut appeler particule tout objet de masse, spin, charge électrique... déterminés, mais le terme est généralement réservé à des objets de taille inférieure à 10-13 cm (1 fm, fermi ou femtomètre[8]) », ou un autre : « Les particules sont des portions de l’espace-temps où l’énergie est concentrée. » (Edgard Elbaz). Sans jamais poser de questions embarrassantes à cet espace-temps, qui trouverait le moyen d’exister à n’importe quelle échelle, et indépendamment des particules qui l’habiteraient ou non. Et ils les démontrent comment ? cette validité et cette existence postulées ?

 

Les préfixes multiplicateurs des unités :

Multiplier par

préfixe

symbole

 

Multiplier par

préfixe

symbole

10

déca

da

 

10-1

déci

d

102

hecto

h

 

10-2

centi

c

103

kilo

k

 

10-3

milli

m

106

méga

M

 

10-6

micro

µ

109

giga

G

 

10-9

nano

n

1012

téra

T

 

10-12

pico

p

1015

péta

P

 

10-15

femto

f

1018

exa

E

 

10-18

atto

a

"Déca" et "déci" dérivent du latin "decem" : 10, "centi" de "centum" : 100, "milli" de "mille" : 1000.

"Kilo" dérive du grec khiloï : 1000; "hecto" de ekhaton : 100 (une hécatombe est un sacrifice de cent boeufs).

"Peta" et "Exa" semblent dérivés des mots grecs désignant 5 et 6, au sens de 5e et 6e rangée de trois zéros.

"Femto" et "atto" sont abrégés du suédois "femton" et "atton" : 15 et 18. 1 fm : environ un diamètre de noyau atomique.

Trois autres préfixes viennent du grec : "giga" : géant; "nano" : nain; "tera" : monstre. "Pico", de l'italien "piccolo".

 

1.3.2.3.             Les réactions sont granulaires, donc les entités seraient des « grains » à la macroscopique.

C’est Albert Einstein, dans son article de 1905 sur l’effet photoélectrique, qui a ressuscité ainsi le corpuscule à la Newton, et installé la confusion encore enseignée : « Si la lumière réagit par quanta, alors elle voyage aussi par petits grains, qui sont des corpuscules néo-newtoniens ». Et c’était parti ! « Entité réactionnelle » implique « on peut extrapoler : c’est comme des grains de sables vus de nos yeux, juste un peu plus petit ». Sauf que les vraies « particules » interfèrent, comme des ondes, autrement dit passent par tous les chemins possibles, y compris par deux trous simultanément. Des corpuscules néo-newtoniens qui passent par deux trous à la fois ? On en a accumulé des pages et des pages d’amphigouris, avec du dualisme onde-corpuscule, et autres réduction du paquet d’onde ! Sans une seule fois s’arrêter au seul énoncé économique et logique : « S’il y a interférence, il y a ondes, et rien d’autre. Pourquoi et comment ces ondes sont quantifiées, et seulement à quelle échelle observationnelle ? n’est que la question suivante. »

A la façon dont on rajoutait des épicycles au système de Ptolémée, à mesure des progrès des observations et des divorces d’avec la théorie circulaire, on a dû bien vite rajouter des épicycles au dogme quantique : ce furent les photons virtuels, les électrons virtuels, etc... toutes les particules sont bien plus souvent virtuelles que dans leur couche de masse. Autant dire que ce sont tout ce qu’on veut, sauf des particules, avec la sémantique que l’on continue d’y rattacher, par inertie mentale.

 

1.3.2.4.             Le temps macroscopique serait valide à l’échelle du quantum

C’est l’un des grands problème de la physique : on est incapables de définir le temps. Il faudrait être à l’extérieur. On n’est pas à l’extérieur du temps macroscopique, mais bien au milieu. On ne sait pas très bien définir un temps à l’échelle cosmique. Et c’est la panique complète, pour définir un temps valide à l’échelle des quanta. Mais on fait semblant d’avoir tout compris, et que notre truc macroscopique serait encore valide, à une échelle où l’on est bien incapable de le prouver, et d’où les démentis nous parviennent en rafales...

On a donc transporté sans réfléchir dans la dimension temps le postulat d’autosimilitude à toute échelle qui présidait déjà aux hypothèses de la géométrique : à toute échelle, c’est toujours macroscopique, et infiniment loin de la limite atomique !

1.3.2.5.             L’irréversibilité macroscopique serait valide à l’échelle quantique.

Paragraphe trop technique pour ces mémoires.

L’irréversibilité et le second principe de la thermodynamique, cela se démontre bien en physique statistique avec une très grand population de molécules, ou de particules quelle qu’en soit la définition, alors certains états moyens seront immensément plus probables, etc...

Mais on fait semblant que ce principe d’irréversibilité du temps serait encore valide à l’échelle de une particule, durant son vol, ou durant sa réaction initiale ou terminale. Et vous démontrez cela comment ? Avec quelle statistique sur une, deux ou trois particules ?

Tout étudiant prudent, soucieux de carrière sans obstacles, évitera soigneusement de poser une question aussi incongrue. Pendant ce temps-là, les particules, illettrées, et peu soucieuses de carrière, n’en font qu’à leur tête, et restent indifférentes à nos présupposés effarouchés. Un photon infrarouge, long et large de plusieurs millimètres, continue de converger vers une molécule un million de fois plus petite, et d’y être absorbé. Mais si vous voulez être collé par un jury d’Agrégation, il vous suffira d’évoquer ce phénomène universel, au lieu de le censurer comme tout le monde.

Le postulat que cette irréversibilité macroscopique du temps macroscopique serait valide à l’échelle quantique, était à la base du défi lancé en 1935, par Einstein, Rosen et Podolsky. L’expérience, et surtout les expériences menées à l’Institut d’Optique d’Orsay par Alain Aspect et al. ont au contraire prouvé que la réaction à l’arrivée du photon, joue exactement autant de rôle causal sur l’ensemble de la trajectoire de l’onde photonique, que la réaction d’émission : sur l’ensemble de la trajectoire libre d’une particule entre sa réaction de création (ou de recréation) et sa réaction d’annihilation (ou annihilation-recréation), les réactions terminales, et tout l’environnement, sont inséparables. Et pour toute onde, le principe de Fermat a une largeur non nulle, ni même négligeable : tout ce qu’on demande à l’onde, c’est d’arriver en phase à son lieu de destination. Qu’entre le départ et l’arrivée, elle ait passé par un trou, deux trous, ou mille trous, qu’elle ait été large de deux cents mètres ou de vingt femtomètres, qu’elle ait ou non contourné une étoile naine brune, voilà qui ne dérange que nous-mêmes.

On n’observe l’irréversibilité postulée, que si les conditions expérimentales permettent une thermalisation sur un nombre notable de particules. Ainsi, la réémission spontanée d’un photon par un atome excité, quelques dix nanosecondes après avoir absorbé cet excédent d’énergie, par exemple en absorbant un photon, est un phénomène thermalisé, et il n’y a donc plus aucune relation de phase entre le photon absorbé et le photon émis. Le photon émis, ne dépend plus que de l’atome excité, et plus du tout du moyen d’excitation . En effet, dix nanosecondes est une durée énorme, comparée à la période broglienne[9] de chacun des électrons du cortège de cet atome : environ 8,09 . 10-21 s/cycle (0,08 attosecondes par cycle), environ mille deux cent cinquante milliards de fois la période broglienne de l’électron. Les électrons ont donc eu largement le temps de s’informer l’un l’autre de l’absorption d’un photon, et de s’en partager l’énergie en conséquence !

De même, dans une double réaction nucléaire typique, passant par un état de noyau excité, telle qu’on en produit sur l’accélérateur d’ions lourds de Darmstadt, telle que :       (Si votre navigateur ne prend pas cette image de réaction :  84/74 W + 16/8 O 5+   -->    200/82 Pb        -->   194/82 Pb + 6 1/0 n)   la seconde réaction n’intervient qu’après thermalisation sur l’ensemble des nucléons du plomb 200. La durée de demi vie du plomb 200 fortement excité est de l’ordre de 10-20 s. Bien sur, c’est très bref à l’échelle humaine, et la tentation est grande, dans notre anthropocentrisme outrecuidant, d’abandonner tout sang-froid, et d’abandonner immédiatement tout raisonnement.

Mais comparons à la période broglienne des neutrons : Tau 0 =  = 4,4016 . 10-24 s/cycle. Sur deux mille trois cent périodes brogliennes de nucléon, ou quatre cent cinquante mille périodes brogliennes de noyau, les nucléons ont donc largement le temps de s’informer l’un l’autre de ce qu’il leur arrive. Le schéma plus haut n’est pas valide à toutes énergies. A de plus hautes énergies d’impact, le noyau-cible est directement brisé en fragments : l’énergie d’impact n’a pas eu le temps de s’équirépartir. A de plus hautes énergies encore, il est vaporisé directement en nucléons sans aucune thermalisation, et les calculs de diffusion par la méthode des phases, deviendraient valides, pour autant qu’on sache les mener sur un nombre de particules aussi élevé.

Ces deux exemples rappelaient dans quel genres de cas la thermodynamique se réintroduit validement dans les domaines atomique et nucléaire, qui vus de loin, de nos gros yeux et nos grosses mains, nous semblent indistinctement microscopiques. Et quand elle n’a rien pour se réintroduire ? Alors zéro pour sa conséquence : l’irréversibilité du temps, et le second principe de la thermodynamique.

 

1.3.2.6.             Anthropocentrisme, et confusion entre niveaux d’analyse incompatibles.

Paragraphe trop technique pour ces mémoires.

Nous venons de voir que les durées caractéristiques de la microphysique sont de l’ordre de 10-20 à 10-24 secondes. Ces durées-là sont inhumaines. Nous ne pouvons appréhender expérimentalement que des phénomènes bien plus durables.

Sous la pression de l’angoisse, Max Born et Werner Heisenberg en 1927, suivis par Niels Bohr, puis par presque tous les autres, ne surent résister à la tentation d’un renoncement, à la Saint Augustin, qu’ils dogmatisèrent : Tu renonceras à comprendre les mystères de dieu et du quantum. Tu ne regarderas pas sous les jupes du quantum. Et après moi, il n’y aura plus d’autre prophète : « La Mécanique quantique est complète. » (Heisenberg).

A la place, tu confondras entre l’échelle anthropique, où l’on statistique des événements imprévisibles, et où l’on calcule des ondes de probabilité, au lieu de les prendre pour ce qu’elles sont macroscopiquement : des calculs de prédiction en semi-ignorance volontaire, et l’échelle microphysique, où nos postulats macroscopiques imprudents, n’ont rien à faire, et dont les lois sont encore largement à écrire, sur des bases enfin assainies.

Niels Bohr, inspiré par Kierkegaard, a théorisé cet anthropocentrisme, en termes restés célèbres : « Il est faux de penser que le but de la physique soit de trouver comment est faite la nature. La physique est seulement concernée par ce que nous pouvons dire sur la nature ».

 

1.3.2.7.             Les énergies négatives, les masses négatives, indispensables dans le formalisme, ne seraient que des artefacts mathématiques, à circonvenir par des circonvolutions de langage.

Paragraphe trop technique pour ces mémoires.

Dès la Relativité Restreinte de 1905, on sut exprimer le carré de l’énergie d’une particule, comme somme du carré de sa masse, et du carré du module de son impulsion (ou quantité de mouvement), avec ce qu’il faut de carrés de la célérité de la lumière pour l’homogénéité des termes. Autrement dit, comme la diagonale d’un triangle rectangle, en dimension quatre, selon la relation de Pythagore :

E2 = p2c2 + m2c4

Bien entendu, cette relation est satisfaite même si les masses sont négatives, même si les énergies sont négatives, et même si le module de l’impulsion est négatif. Sur le moment, on s’est contenté de nier et de hausser les épaules.

Quand plus tard, Schrödinger, puis Klein et Gordon, puis Dirac, (1926 à 1928) utilisèrent cette relation pour écrire des équations d’ondes quantiques pour des champs de matière, les solutions à énergie négative sont devenues mathématiquement incontournables : toutes les solutions physiquement raisonnables et utiles impliquaient des mélanges des deux solutions « mathématiquement pures » à énergie positive et à énergie négative. Une solution provisoire à l’embarras de nos grands ancêtres est arrivée en 1932, quand Anderson découvrit le positron. Depuis, on enseigne que cette solution partielle et provisoire, est suffisante.

On répugne autant que faire se peut, à admettre qu’un formalisme bien fait et élégant, est souvent plus savant que ses inventeurs eux-mêmes. Inversement, un formalisme bancal peut égarer longtemps les esprits trop respectueux du désordre établi. J’en ai longuement parlé dans une autre publication, et plus brièvement dans les deux articles L'hypothèse clandestine et dirimante de la géométrie et La transformation de Lorenz devient-elle Non-Physique quand on la diagonalise ?.

 

1.4.    Une position de martyr ?

C’est à toi, lecteur et contribuable, de choisir.

Selon des avis autorisés, mon choix rigide de la probité intellectuelle, quel qu’en soit le coût, me condamne d’avance à la position de martyr. D’aucuns en concluent que tel est mon scénario perdant : toujours se mettre en position de martyr, parce que ça au moins, je connais. Ou comme manifeste ? A quoi bon alors manifester mon reproche muet, si la Statue du Commandeur est depuis longtemps retournée à la poussière, par un bel après-midi d’octobre ?

Si on se reporte à mon chapitre liminaire, « Eloge de la critique », et à son paragraphe « avertissement au minoritaire », nous avons le schéma de sortie du piège.

Trotski est resté jusqu’à sa mort dans un tel piège stratégique : tous ses efforts portaient sur le Parti, alors que le Parti était solidement détenu par Staline. De 1993 à novembre 1998, je me suis débattu dans un tel piège : la technicité du sujet obligeant, j’aboutissais à ne parler contrôle-qualité qu’à ceux qui abusaient encore et toujours de leur position de juge-et-partie, des malfaçons qu’aux malfaçonneurs, du crime qu’aux criminels, avec l’accueil au revolver que l’on devine.

Il faut au contraire parler des malfaçons, à leurs victimes. Et dans le langage de ceux qui ont refusé l’enseignement des maths et des sciences tel qu’on le leur proposait, mais qui ont prouvé depuis, qu’ils n’étaient pourtant pas des débiles. Autrement dit changer d’abord de perspective, et de lectorat savant. Alors, on peut devenir majoritaires, et renverser le rapport de forces, et réformer.

 

Et ton rôle à toi lecteur ? Réagir à ces lignes. M’envoyer ton avis, m’engueuler ou m’encourager, ne pas rester passif. Voter avec ton porte-monnaie d’acheteur de livres, ou de non-acheteur. Puis être actif à ton tour.

 

1.5.    L’apprentissage de l’autonomie de réflexion.

1.5.1.    De la durée de la réflexion.

Ce paragraphe est une réaction différée à une grappe d’échanges vifs sur un forum internet. Mais si, mais si! Même sur un forum de rencontre... L’esprit souffle où il veut. Le pavé fut lancé par une femme, qui s’agaçait d’être souvent contactée par des hommes ayant tout juste un C.A.P., alors qu’elle a un bac + 7, et qui rappelait que « dans une journée, le plus gros des échanges est intellectuel », et que si à force de psychologie, le plus lettré peut apporter beaucoup au moins lettré, l’échange est inégal, et qu’elle (ou tout autre qui soit le plus lettré) n’y trouve pas son compte.

En gros, elle a raison, et pourtant, la réalité est moins simple, et la supériorité de longues études est loin d’être aussi évidente qu’elle, et plusieurs des répondants, l’ont dit. Il ne manque pas de diplômés supérieurs inaptes aux relations humaines. Sur le campus, je suis entouré de gens très savants, mais qui sont surtout motivés à être savants et très spécialisés, pour appauvrir leurs relations avec autrui. (Le renard et les raisins ? Parce que je parviens plus à me spécialiser autant qu’eux ? Oui, un peu).

La qualité la plus utile que, à mes yeux, les études développent, est l’habitude de rester longtemps, tout le temps nécessaire, sur un problème, sur une réflexion. Ceux qui refusent les études, refusent aussi le temps nécessaire à assimiler et maîtriser quelque chose. Oui, hélas, même parmi les diplômés supérieurs, il y a de ces précipités à répliquer n’importe quoi, pour avoir le dernier mot...

Mais cela n’empêche pas des gens qui n’ont pas eu la chance de faire des études, de savoir consacrer le temps qu’il faut pour écouter quelqu’un, pour étudier un problème. Alors que malgré son bac + 3, Gazonbleu a vite perdu son peu de capacité à réfléchir et à écouter, et s’est lancée dans une folle croisade anti-livres et anti-culture, dont j’ai fait les frais.

Ce ne sont pas les études, qui feront que vous saurez, ou non, respecter et écouter autrui.

 

1.5.2.    Autonomie pour prouver faux, ou correct.

Là, je vais surtout parler d’une retombée de la formation mathématique. Pas toujours, hélas.

Rappelons d’abord une banalité, pour s’en débarrasser. La première caractéristique utile des mathématiques, c’est que c’est un raisonnement écrit. L’écrit n’a pas pour seul but de vous permettre de communiquer avec autrui, loin dans l’espace ou dans l’avenir, il a aussi pour vertu de vous mettre à distance de vos propres énoncés. Vous pouvez les relire, et en trouver les erreurs. Le codage mathématique a ceci de commun avec d’autres langages artificiels, tels que les langages informatiques, d’être une aide à raisonner, et une aide à trouver ses erreurs, très supérieur aux langages naturels, sauvages.

La retombée citoyenne irremplaçable - si elle existait, car en fait, elle manque souvent - est l’apprentissage de l’autonomie de jugement. Un mathématicien qui se relit, peut trouver ses erreurs. Il ne lui manque plus qu’une grande et solide corbeille à papier, pour y jeter ses erreurs. Hélas, il définit son métier par rapport à d’autres mathématiciens, et non par rapport aux professions clientes d’outils de raisonnement fiables et réutilisables.

Hélas, obnubilés par les quelques success stories (histoires de succès) trop connues, on en a négligé les autres modes de raisonnements, les modes dessinés et graphiques, et les modes plus kinesthésiques, gestuels et musculaires. Les métiers techniques auraient grandement à enseigner aux professeurs de mathématiques (s’ils étaient capables d’apprendre d’autrui). En physique, et en mathématisation de la physique, tels que je suis chargé de les propagander à mes élèves, je sais bon nombre d’inepties qui auraient été facilement évités, si on ne s’était à ce point focalisés sur le seul écrit, oubliant de vérifier si ce qui semblait correct sous ce seul mode (en fait c’était faux sous ce mode aussi, mais ils ne l’ont pas vu, à temps, et maintenant c’est trop tard, l’ineptie est déjà imprimée et enseignée à des millions d’exemplaires) était vérifié aussi dans les modes graphiques et kinesthésiques, et dans un ancrage concret. S’ils avaient pensé à procéder à ces vérifications indispensables, l’imposture leur aurait sauté aux yeux.

Mais cette retombée espérée - l’autonomie de jugement, par l’entraînement mathématique - se produit-elle vraiment ? Rarement, et pratiquement jamais chez les spécimens qui aboutissent en Lycée Professionnel. Il ont déjà emmagasinés des conduites d’échec qu’ils expriment en « C’est vous le prof ! », et « Cherche pas à comprendre, c’est de la logique ! ». L’épreuve de réalité logique, propre aux mathématiciens, qui serait si utile à d’autres personnes, à d’autre professions, ils sont nombreux à l’avoir complètement ratée, et à rester dépendants d’autrui, pour qu’autrui leur dise quoi est faux, et quoi est juste, selon des critères les plus impénétrables, et les plus incertains, et parfois inexcusables.

 

1.5.3.    L’apprentissage du respect d’autrui : à commencer par nos clients.

De mon vivant, j’ai vu la chimie rationaliser ses notations et sa terminologie, éliminant bon nombre d’absurdités héritées du passé, et de relâchements. Quand j’étais jeune, on ne savait pas distinguer par les mots, l’élément hydrogène de la molécule dihydrogène. Il subsiste encore quelques polysémies fâcheuses, comme celles de « acide », ou « métal ».

En comparaison, les principales matières que j’enseigne, maths et physique, sont restées d’un illogisme opaque, bourré d’archaïsmes inexcusables, par indifférence méprisante envers nos clients. En fait, dans ces matières, nous sommes presque aussi efficacement protégés contre les réclamations de nos clients, que le sont les croque-morts.

Tandis qu’en chimie, au sein des instances de l’IUPAC (International Union of Pure and Applied Chemistry), les clients sont efficacement représentés, et s’appuient sur de grosses industries concentrées. Là, ils ont pu taper du poing sur la table, et réclamer des modernisations et des rationalisations, de la qualité. Au moins dans la nomenclature, ils l’ont obtenu. Rien de semblable en physique, et bien pis encore en mathématiques. Dans l’IUPAP, les clients sont faibles et mal représentés. Nul n’est de taille à exiger des fournitures de qualité. Le fournisseur est tout-puissant, juge-et-partie, bien décidé à étouffer dans l’oeuf toute réclamation pour un contrôle-qualité sur le marché des énoncés mathématiques, voire physique.

J’ai cité plus haut l’ignorance et le mépris des profs de maths envers tous les langages graphiques, en provenance des autres professions, leur déniant leur valeur d’aide au raisonnement, donc leur qualité mathématique profonde. Prenons un exercice ludique pour exemple. Au pays d’Utopie, les habitants sont soit francs, soit menteurs. Les francs disent toujours la vérité, et font ce qu’on leur dit. Les menteurs mentent toujours, et font le contraire de ce qu’on leur dit. Dans la prison se trouve un condamné à mort, et le roi l’a à demi gracié : sa prison a deux portes, l’une conduit à la liberté, et l’autre à l’échafaud. Sur les deux geôliers qui ont les bonnes clés, l’un est franc, et l’autre menteur. Cela, le condamné le sait, mais il ne sait lequel est quoi. Il ne sait pas non plus quelle est la porte de la liberté, mais les geôliers le savent. Enfin, le condamné n’a droit qu’à une seule phrase, la dernière en cas de malchance. Quelle porte lui ouvrira-t-elle ? A vous de réfléchir, pour vous faire ouvrir à coup sûr la porte de la liberté.

Un conseil : dessinez et raisonnez graphique, utilisez les symboles graphiques de l’électronique. Le menteur sera représenté par un amplificateur inverseur, et le franc par un ampli suiveur. Vous n’avez plus qu’à dessiner le câblage, décider du signal d’entrée, et enfin traduire en mots votre raisonnement graphique. Les normes en électronique, logique et automatique, imposent d’orienter les schémas par blocs, avec le signal qui progresse de la gauche vers la droite.

 

un menteur :

un franc :

A un signal d’entrée comme ceci :

Le menteur répond ceci :

et le franc cela :

Ce petit dessin, quoique emprunté à un métier technique, et non scientifique, était donc des vraies mathématiques : une vraie aide efficace pour le raisonnement. Ce genre d’aides efficaces et simples, on oublie volontairement de vous les diffuser.

 

1.6.    Ontologie : à quel âge conquiert-on la discipline scientifique ?

Les jeunes enfants sont pressés d’emmagasiner des connaissances. Tout jeunes, ce sont fantastiques machines-à-apprendre. Au cours des millions d’années de notre évolution, il était fort incertain de garder ses parents et tuteurs aussi longtemps que nécessaire. Pour un orphelin, il est vital d’avoir appris vite, et notre organisme est préparé à cette éventualité. Certains linguistes conjecturent que plusieurs apparitions de langues seraient dues à la survie locale de quelques enfants, n’ayant que des connaissances fragmentaires et maladroites de la langue parlée par leurs parents disparus. Ils avancent des arguments assez précis, pour qu’on prenne cette conjecture au sérieux. En Afrique, on découvre parfois un orphelin de douze ans se débrouillant seul dans la brousse, cultivant ses légumes, cueillant ses fruits, réparant sa cabane, et ne soupçonnant même pas qu’il est un enfant, pouvant demander du secours à des adultes. Nous avons entendu Frédégonde et Sigbert se partager nos casseroles, pour quand on serait morts. Je dois dire que Frédégonde profitait de la grande jeunesse de son frère, pour que le partage lui soit extrêmement avantageux. Durant une brève rémission de son cancer, Stephide était transporté de joie à voir Audowere, trois ans, lui situer et nommer sur la globe terrestre la silhouette de Madagascar (Stephide y est né).

A ces âges d’emmagasinage rapide, pas question de mâcher les connaissances. Comme les ruminants, nous les ramassons le plus vite possible. La critique viendra quand on aura le temps, plusieurs années après. C’est bien pourquoi les systèmes de croyances totalitaires, comme les religions et les dictatures à support idéologique exigent d’avoir la main sur l’éducation des enfants, très jeunes, quand leur crédulité est l’échelle de leur faculté d’assimilation. Avez-vous eu la curiosité, à l’âge adulte, de jeter un coup d’oeil à un livre d’endoctrinement pour enfants ? J’ai déjà cité avec horreur le catéchisme de mon enfance, « La miche de pain ». Au couvent des dominicains de l’Arbresle, il restait un exemplaire d’un livre maréchaliste, d’Histoire et instruction civique. Terrifiant. « Le maréchal dit alors « Il faut que la France soit pure. » Et aussitôt on vit la racaille sortir de France ». Le dessinateur sur double page, montre alors des silhouettes reconnaissables comme « juifs » et « gaullistes » (et quelques autres, que je n’identifie plus, quarante trois ans plus tard) parmi les fugitifs les valises à la main. Les enfants, c’est bien pratique pour ceux qui veulent régner par le mensonge : on leur refile n’importe quoi !

On évoque volontiers le pantagruélisme : cette boulimie oro-anale, envers les connaissances. J’ai ainsi longtemps été pantagruélique. Le courrier du 17 novembre 1992 au couple Tunc, donne les détails sur la fin de cette démarche : j’avais 48 ans, et le cerveau ne suivait plus. Son mode de fonctionnement commençait à changer, et à se réadapter aux exigences d’un autre âge de la vie.

Quand vous examinez des biographies de scientifiques (et pourquoi pas celle de Feynman ?), vous remarquez combien la curiosité commence par être pantagruélique, et mue par des questions du genre « D’où viennent les bébés ? ». Vous les voyez démonter des réveils et des postes de radio, puis les dépanner. La conquête de l’esprit critique scientifique vient graduellement, à mesure des échecs des conjectures successives, ou de la découverte de la fausseté expérimentale de telle ou telle doctrine pourtant imprimée et apprise. Autrement dit, quand l’adolescence est déjà loin, et que le logicien commence à s’inclure dans sa propre logique, comme objet d’examen.

La définition de Feynman, irrespectueuse envers l’autorité des experts, est d’un senior, d’un sage qui a su résister aux honneurs et à la grosse tête. Ni un enfant ni un adolescent n’ont encore la force de caractère qu’il faut pour oser répondre pendant des dizaines d’années, peut-être des siècles : Je ne sais pas, et pour le moment, il semble que personne n’arrive à le savoir. L’enfant et l’adolescent sont trop pressés.

Une anecdote ? Sa référence sera imprécise : je l’ai entendue sur une émission scientifique de France-Culture, et je suis incapable de préciser, le jour, l’année, l’auteur, ni sa source. Vraisemblablement dans un courrier, Voltaire aurait persiflé : « Je suis bien dégoûté de faire de la chimie ! Car quand j’ai posé à tous les chimistes de ma connaissance, cette simple question « Qu’est-ce que le feu ? », ils m’ont tous fait une réponse différente ! ». Eternel adolescent vengeur, et pressé de briller aux dépens d’autrui, Voltaire était bien trop pressé pour attendre deux siècles. Les chimistes du dix-huitième siècle n’avaient pas la plus petite chance d’y voir clair dans le problème posé. Bien sûr, nos ancêtres domestiquaient le feu voici quatre cent mille ans; bien sûr, voilà environ six cents millions d’années que notre atmosphère contient du dioxygène capable d’entretenir des oxydations et donc d’éventuelles combustions; bien sûr, voilà quatre cent millions d’années qu’il existe de la végétation sur les continents, et que donc la foudre peut y allumer des incendies, mais cette ancienneté ne prouve en rien que la combustion du bois ou de l’herbe sèche, que les gaz qui s’en échappent, et dont les flammes dansent, soient un phénomène simple. La reproduction sexuée aussi, existe depuis peut-être plus d’un milliard d’années, mais cette ancienneté en a-t-elle jamais fait un phénomène simple ? Et même, de nos jours, un Voltaire ou un autre, pourrait bien interroger plusieurs spécialistes de la combustion, y compris des praticiens, par exemple chargés des tests d’incendies normalisés du Centre Technique du Bâtiment, et, dépité de ne pas tout comprendre du premier coup, et incapable d’attendre la suite de l’exposé, décréter qu’ils lui ont tous fait une réponse différente, puisqu’ils ont tous commencé par un point de départ différent... Pour tolérer la complexité de la nature, et la complexité des connaissances qui s’y rapportent, pour tolérer l’ignorance, le doute et l’incertitude, il faut un minimum de maturité.

En opposition aux autres modes de connaissance, la science est une sagesse de la maturité. Aussi est-elle arrivée si tard dans l’histoire de l’humanité, à peine deux siècles avant la démocratie, dont elle partage la fragilité menacée, de nouvelle-née.

 

1.7.    La stratégie expérimentale : allons voir d’abord !

J’ai sans doute été trop cruel et critique pour mes collègues, en ce sens que j’ai peu insisté sur l’aspect fondamentalement sain : explorons d’abord ! On fera des discours après.

Une rédaction faite dans une classe secondaire (je ne situe plus laquelle à coup sûr, la cinquième probablement) nous demandait d’exposer quel métier nous plairait, et pourquoi. J’ai répondu : géologue. On y cherche la vérité sur le terrain, pas dans le regard ni dans les moues du chef, pas dans les opinions des plus anciens dans les grades les plus élevés. On s’ancre dans le passé. On s’ancre dans la Terre. On n’échappe pas à l’ancrage sensoriel et musculaire, avec son marteau et ses chaussures. On s’expose au voyage et au dépaysement. Et si sur le terrain, on croise un groupe de lionnes, il vaut mieux qu’elles n’aient pas faim.

Ensuite, ma formation universitaire a été toute autre. Mais le métier d’ingénieur, aidé du goût, m’a obligé à reprendre en autodidacte (pantagruélique toujours) plusieurs morceaux du métier de minéralogiste d’abord, et même de géologue ensuite, pour examiner et sélectionner des sites de carrière potentiels, dont nous avions besoin pour l’exploitation de nos procédés.

Pourtant en géologie aussi, on a rencontré des dérives pathologiques.

L’une, plus anecdotique que grave, était dérivée de la fâcheuse polysémie héritée des chimistes : « acide » avait au moins trois significations différentes, d’Arrhénius, de Brönstedt; de Lewis. Du coup, les géologues parlaient de laves « acides », pour désigner les variétés les plus riches en silice, les moins fluides. Or, ces laves très siliceuses, étaient des verres, riches en alcalins. Donc si vous les broyez, et que vous dispersez la poudre obtenue dans de l’eau pure, au pH-mètre, il n’est pas rare de mesurer un pH de 11 et plus... ce qui est tout ce qu’on veut sauf acide. On avait oublié de vous dire qu’il s’agissait d’acidité de Lewis, en milieu fondu non aqueux, à plus de 900 °C, quand la silice devient assez active, pour être le seul « acide » possible, car non volatil, et au sens d’acide de Lewis. Alors que la notion d’acidité de Lewis est inutilisable dans les conditions de température et d’humidité où vivent les humains.

Deux dérives furent plus graves, car directement dirigées par l’instinct territorial :

L’une fut la vogue de la pétrographie de tiroir. Le géologue atteint de cette maladie, s’attachait à décrire le plus minutieusement possible un échantillon de roche. Mais il en oubliait toutes les relations génétiques et de voisinage. La région géologique était oubliée, le faciès général était oublié. Bref, le géologue pétrographe se taillait un micro-fief inexpugnable, aux frais du contribuable, mais contribuait bien peu à rendre des services généraux, réutilisables par toutes sortes de gens, dont le fournisseur ne peut avoir la moindre idée.

L’autre fut la vogue strictement dogmatique du géosynclinal. Le dogme du géosynclinal prit autant de variantes qu’il y a de régions géologiques. Il y eut d’innombrables variétés de phénomènes périgéosynclinaux, tardigéosynclinaux, etc. Le géosynclinal devint aussi polymorphe et pervers que le phallus des freudiens, ou que le pantagruélion de Rabelais, ou que les voies du Seigneur de certains croyants. Il prit toutes les formes, les plus contradictoires les unes que les autres, pour résister aux assauts de la réalité géologique. Paix à ses cendres. Ce dogme remédiait à notre ignorance encore épaisse, des mouvements d’ensemble des plaques de l’écorce terrestre. Et beaucoup ont manqué du courage nécessaire pour oser dire qu’on ne comprenait pas bien. Le dogme servait à éviter d’avouer qu’on ne comprenait pas.

Retour au positif : sans géologie, pas de paléontologie, et pas de datation sérieuse. Sans paléontologie, pas de contact avec nos ancêtres.

A la fin d’un cours sur les ondes sonores, avec mes B.E.P. de Paris, nous étudions les planches anatomiques de l’appareil auditif humain. Après avoir considéré les trois osselets de l’oreille moyenne, le marteau, l’enclume et l’étrier, je leur explique qu’ils jouent le rôle de transformateur d’impédance, indispensable pour pouvoir attaquer avec un rendement acceptable un milieu d’impédance acoustique élevée : l’oreille interne, pleine d’un liquide, alors qu’ils sont actionnés par le tympan, actionné par des ondes dans l’air, donc avec une course bien plus grande, et une pression bien plus faible. Et qui plus est, un adaptateur d’impédance à gain variable, autoadaptateur ! Et néanmoins très fragile aux surintensités chroniques (atelier de chaudronnerie, ou baladeur ou discothèque). Après cet exposé technique, je donne quelques mots sur l’évolution qui a conduit à notre anatomie actuelle.

Au début du Trias, chez nos ancêtres reptiles mammaliens, ces os faisaient partie de l’articulation de la mâchoire. Au cours du Trias, le plus gros des innovations dont les fossiles nous livrent la trace, portèrent sur la dent, et sur l’articulation de la mâchoire, qui prit le dessin beaucoup plus efficace sur le plan mécanique, que nous conservons. Cela laissa trois os sans utilité dans l’articulation de la mâchoire, mais qui restèrent utilisés dans la transmission des sons, et rapetissèrent considérablement, jusqu’à la proportion que l’on constate actuellement chez les mammifères.

Imaginez les mines stupéfaites de mes élèves, la plupart fils d’immigrés. L’un d’eux murmura pensif : « Ah bien ! Pour faire des sciences, il vaut mieux ne pas être croyant ! ». Pour quelqu’un qui au début de l’année, envisageait de devenir dealer, s’il ne réussissait pas bien dans cette classe d’électronique, mesurez l’évolution morale et culturelle que nous avons obtenu. A la fin de l'année, il exhiba à mon collègue Joël sa carte d'identité française toute neuve. Il avait définitivement choisi d'être français.

Ceci pour rappeler que quelles que soient les déviations pathologiques que l’on peut hélas constater chez des professionnels de l’enseignement des sciences, les sciences, je suis pour. Totalement pour. Même si ce n’était que pour des raisons morales et culturelles, alors que les raisons techniques sont déjà surabondantes ! La curiosité scientifique, ça décape la crasse ! Et la curiosité est un des ingrédients indispensables de l’esprit scientifique, et de son rôle de psychothérapeute intégré.


Note 1 : Ce qu'en franglais nous appelons un dealer, les québécois l'appelent un pusher.
Note 2 : Un paléontologue a critiqué une des phrases plus haut, sur la génétique de l'évolution de la mâchoire. Il a expliqué qu'une translocation de gène, intervenue au Trias, a amplifié la croissance de l'os dental, reléguant trois autres os loin de leur fonction d'articulation. Ils ont toutefois continué leur fonction d'audition, qui s'est perfectionnée : un mammifère entend un spectre largement plus étendu qu'un reptile, notamment vers les aigus.
 

Texte complet de son explication à http://deonto-famille.org/citoyens/debattre/index.php?topic=372.0.

1.8.    Pour devenir une science ?

Pour qu’un champ d’études et de connaissances devienne une science, il lui faut :

1. une délimitation de son objet,

2. une première liste (non négociable, mais encore enrichissable) de ses épreuves de réalité,

3. et une socialisation rationalisée et transparente, prenant en respect tous ses clients.

Autrement dit, il lui faut se donner les critères d’un pilotage en exactitude, et donner à une surveillance extérieure les moyens de vérifier si ce pilotage en exactitude est bien respecté.

Le premier point a été traité, par exemple par Saussure, quand il a défini le champ de la linguistique générale. D’autres sciences peuvent mettre plus longtemps, redéfinissant plusieurs fois leur objet. Cette lenteur et ces aléas doivent être acceptés avec sang froid : cela fait partie des complications de la vie.

Le second point technique renvoie moralement au troisième : choisir ce qu’on respecte, renvoie à garantir ou non, et à qui, la fiabilité et le domaine de validité des énoncés que l’on diffusera.

J’ai pris mes exemple principalement dans la mathématisation de la physique. Mon propos est que cette pratique ne s’est encore jamais souciée de devenir une science, conservant au contraire une ambiguïté fondamentale sur son statut : scientifique ? ou coutumier ? Elle n’a pas délimité son objet, elle n’a pas listé ses critères de réalité et d’exactitude, elle n’a pas défini contractuellement le respect de sa socialisation, ni n’a identifié les cercles de clients qu’elle se donnerait pour devoir de respecter.

J’ai pris ici « cercle » au sens de l’environnement social concentrique, que je compare à cette notion commune au monde indo-européen, exprimée en latin archaïque par « hostis », et en védique par « arya » : ceux qui sont avec vous en relation d’égalité des droits d’hospitalité, de réciprocité dans le devoir d’hospitalité, sans toutefois être de votre famille proche, donc qui sont en relation d’exogamie possible, au lieu d’être suffisamment étrangers pour n’être qu’un gibier d’esclavage.

Le premier critère de socialisation, entre pairs, est généralement bien compris : je dois pouvoir partager mes expériences et leur interprétation avec des collègues qui ne parlent pas la même langue, qui n’ont pas la même religion, ni les mêmes opinions politiques. Ceci implique des affirmations restreintes à ce qui peut être mis en commun entre nous, donc le renoncement à des tas de considérations esthétiques, mystiques, etc. Mais doit-on aussi renoncer à une moralité scientifique explicite et vérifiable ?

Le second cercle de socialisation est nettement moins bien traité : le respect interprofessionnel, le respect de nos clients immédiats, et de nos fournisseurs immédiats. Les discours officiels à ce sujet, souvent irréprochables, sont contredits sur le terrain des amphis, des salles de cours, des couloirs, des machines à café, voire des manuels de cours, par force persiflages, désinvoltures, et autres conduites de fuite-ou-combat (fight or flight syndrome).

Considérons la société entière comme le troisième cercle de socialisation. C’est bien en sanction de son mépris envers les deuxième et troisième cercles, que Karl Popper critiquait la psychanalyse (en tant qu’organisation, dirigée par Sigmund Freud) comme une non-science, comme une religion attachée à un clergé. Elle se permettait de remanier ses affirmations à l’infini au fil des embarras, sans jamais prendre le risque d’énoncés nets, risquant d’être nettement démentis par l’expérience. Sigmund Freud fondait ainsi son clergé suiveur à mépriser, et à se méfier de tout le cercle de vérification externe : ils se sont maintenus à l’écart de la communauté scientifique. Ils prirent l’habitude de disqualifier automatiquement leurs contradicteurs : « Oh ! Mais c’est votre résistance ! Plus vous nous résistez, et plus vous prouvez que nous avons raison ! ».


1.9.    La science est-elle une psychothérapie efficace ?

1.9.1.    Je risque dans ce paragraphe de réinventer ce que Korzybski a probablement déjà bien exprimé dans son « Science and Sanity », que je n’ai encore jamais pu lire. Il n’y en a qu’un seul exemplaire à la Bibliothèque de Lyon, que l’on ne consulte que sur place.

Quand je regarde mes collègues scientifiques, la réponse est évidente : NON ! ce n’est pas efficace ! Quand je regarde la plupart des non-scientifiques, alors je pense presque le contraire : ces gens-là n’ont vraiment aucune culpabilité à fuir toutes les épreuves de réalité, à justifier leurs refus de toute curiosité. Il leur manque vraiment une part de l’éducation dont ils auraient besoin.

Le point sain dans la science, c’est sa prétention, son obligation morale, à être un système piloté en exactitude. La réalité des gens dans les institutions, reste, et cela de plus en plus, constituée d’astuces pour se soustraire à une obligation morale si contraignante. Son échec de plus en plus grave, est inscrit dans la spécialisation à outrance, que le progrès technique d’une part, les pesanteurs institutionnelles d’autre part, ont établi comme règle étouffante. La spécialisation a pour effet pervers de circonscrire la curiosité à un tout petit domaine, et multiplie les sanctions et répressions obliques contre toute curiosité qui déborderait le microscopique champ de la spécialité.

1.9.2.    Toutefois, si l'on réexamine cette affirmation depuis le métier du cybernéticien, on a plusieurs questions à poser sur l'efficacité de la rétroaction et d'un tel pilotage, dès qu’il s’agit non plus du seul système science, mais bien du système autrement plus complexe et plus lourd, science-plus-enseignement. En premier lieu, la question des temps de réaction peut être très inquiétante. En second lieu, le système d’enseignement est avant tout tourné vers lui-même, et il est généralement ignorant de ses insuffisances, qui ne sont mises en évidence que loin en aval, chez les industries clientes, ou chez les chercheurs. Selon les branches, les clients peuvent être forts, comme ils le sont par exemple en géologie, en chimie, ou en informatique, et alors leurs réclamations sont efficaces. Les clients peuvent être faibles ou très faibles devant les fournisseurs; c’est généralement le cas en mathématiques, et en physique. Leurs réclamations ne sont jamais prises en compte par les fournisseurs tout-puissants, tandis que les auteurs de manuels se recopient les uns les autres.

Concernant la question des délais de réponse pour les corrections : la correction des bévues n’est une tâche à l'échelle humaine, que si la correction se fait tôt, lorsque seuls un maximum d'une centaine de scientifiques sont concernés, et que la propagation n'a pas dépassé les revues scientifiques ou les courriers entre collègues. Autrement dit : tant que la correction se fait sur le front actif d'avancée de la science, entre pionniers. Les choses deviennent beaucoup plus graves, et pratiquement ingouvernables, quand les bévues ainsi commises passent au statut de dogmes enseignés dans les classes du secondaire, et sont imprimées à des millions d'exemplaires, que les étudiants du supérieurs ont été formés par elles, que les profs du supérieurs ont été formés, sélectionnés et modelés par elles, que les profs du secondaire ont été formés dans le supérieur par ces bévues, etc. etc. Alors, de nombreux délais de réaction, dont certains approchent d'une vie d'homme, s'entremêlent et se verrouillent les uns les autres, sans parler des investissements individuels de prestance.

1.9.3.    En effet, l’irrespect fondateur, exprimé par la formulation de Feynman, pose de grands problèmes dans la relation d’enseignement, qui est très souvent une relation de domination et de supériorité, inapte à transmettre l’esprit scientifique. Ne serait-ce que pour des raisons de budget et d’effectifs. « Ce qu’on demande en fait aux professeurs du secondaire, c’est de prendre un maximum d’élèves dans leur classe, et de refermer la porte. », précise Maurice T. Maschino, dans « Quand les profs craquent ». Pris par le temps, et sous la pression des attentes des familles : « donnez-lui des trucs pour réussir le diplôme, pas des trucs pour réfléchir, qui ne rapportent pas de pognon ! », l’enseignant doit vite se réduire à n’être que rabâcheur de recettes, surtout pas éveilleur de réflexions, ni de doutes et d’investigations bien organisés.

1.9.4.    Le contribuable ordinaire est usuellement incapable de s'apercevoir de tels dysfonctionnements : le système d'enseignement impose de l'intérieur les critères par lesquels il "mesure" ses propres performances; il rédige ses sujets d’examens en fonction de ce qu'il croit savoir. Vous ne verrez jamais d'examens scolaires, ni universitaires, posant volontairement des questions embarrassantes pour l'ignorance et les contradictions de l'examinateur ni de ses collègues. Un tel système se présente donc au regard du consultant comme rebelle à tout pilotage par l'épreuve de réalité, verrouillé de l'intérieur, tout aussi incorrigible qu'un psychotique l'est au psychothérapeute inexpérimenté, aussi incorrigible que peut l'être une secte dans sa psychose collective.

1.9.5.    L’enseignement des sciences entraîne à s’abstraire soi-même du champ d’investigations. Du coup les biais sont occultés, d’une part, d’autre part les techniques d’invention, de découverte, et de créativité, ayant trait au chercheur et à ses communications avec son entourage, sont fortement censurées.

Voilà pourquoi je préconise à ces gens là de pratiquer au moins les ordres de réflexivité supérieurs à un. Ils sont sommairement exposés deux paragraphes plus loin.

 

1.10.            Annexe technique : la réflexivité des logiques.

 

1.11.            Ce travail de mémoires est-il scientifique ?

Il faut s’attendre à tout, et notamment au pire, avec les énoncés psychologisants. Donc aussi avec l’introspection. Le psychologisme est un monde assez fermé, qui refuse savamment autrui, qui refuse les faits matériels et les faits sociaux, qui refuse les sévères verdicts de l’expérience, qui se contente de faire un commentaire autocohérent et séduisant.

L’écrit, est non seulement un moyen de transmettre à quelqu’un d’autre, plus loin ou plus tard, mais aussi le moyen de se mettre à distance de ses propres énoncés et de ses propres raisonnements. On peut se relire plus tard, avec une toute autre casquette, de critique, venu d’une autre planète, avec d’autres sentiments. On introduit bien des degrés de réflexivité dans les énoncés, et les investigations.

L’écrit est aussi prise de risques. Prendre le risque d’avoir écrit des erreurs, et de devoir les corriger. Donc s’imposer une discipline totale quant à l’exactitude rigoureuse de ce qui est écrit. Les versions successives de ces mémoires sont incrémentales: il y a des ajouts, jamais de retraits. Pas de palimpseste regravé, pour cacher les changements de ligne du Parti.

Par chance, il y a eu cette conjonction de mon esprit scientifique, à la curiosité insatiable, et à l’éthique scientifique intraitable, avec le goût d’écrire, la passion de la langue, des langues, et un solide apprentissage. Ma dette est grande envers mes professeurs de français, des classes de sixième à la seconde. Cette conjonction a fait un travail à la fois scientifique, et pragmatique.

Un détracteur, une détracteuse en vérité, m’accable de reproches, selon lesquels ce travail n’a aucune valeur d’objectivité, parce que je suis trop proche des faits, dont plusieurs m’ont profondément meurtris... J’attends toujours sa contre-proposition. Ou plutôt si, je la sais : elle me reproche de n’avoir pas continué de museler ma gueule, et de n’être pas entré chez un psychanalyste. J’ai dû me rendre compte qu’elle pratique là une jalousie de chapelle : à ses yeux, seule la communauté des psychanalystes et des psychanalysés a le droit de parler de l’histoire et des sentiments des gens... Je ne suis pas dans cette chapelle, donc, je ne suis pas autorisé à me mêler de ce qui ne me regarde pas : mes propres affaires, celles de mes enfants, de mon épouse durant vingt-huit ans. Je remets en cause la supériorité et le monopole de sa chapelle. Il y a pis : je vais remettre en cause les fautes professionnelles standardisées de sa chapelle préférée.

Ce sera peut-être l’article « Des étiquettes qui tuent, aux questions qui libèrent ».

 

 

Ce chapitre a pour l’essentiel, été écrit début 1999. J’avais repris des études, et étais en Maîtrise de Physique.

 

Auteur : Jacques Lavau.

 

 

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[1] L’énoncé original est plus long, et en deux paragraphes : un d’exposé, et à la fin une conclusion. R. Feynman : La nature de la physique. Le Seuil.

[2] René Taton. La science contemporaine. 1/ le XIXe siècle. Quadrige / Presses Universitaires de France.

[3] Arthur Koestler;  The Sleepwalkers. A History of Man’s Changing Vision of the Universe. Hutchinson 1959, Penguin books 1962.

[4] Michel Schiff. Un cas de censure dans la science : L’affaire de la mémoire de l’eau. Albin Michel. Paris 1994.

 

[5] Anatole Abragam. De la physique avant toute chose. Odile Jacob. Paris 1987.

[6] Uderzo et Goscinny ont tiré d’un des plus gros mensonges publics de Pompidou, l’allusion suivante, dans le volume d’Astérix « Le devin » : « Ou alors, c’est peut-être Amora, la déesse de la moutarde, qui est montée au nez des autres dieux ? – Ah ? Une déesse parallèle ? Il faudra que je fasse une enquête ! ». Ceci est calqué sur Pompidou, dans son entretien télévisé, arrangé pour publier le ralliement d’un député du Jura, Jacques Duhamel, durant la campagne présidentielle de 1969 : « Je vous promets que ces polices parallèles, si elles existent, seront dissoutes. ». Vous en connaissez beaucoup, vous, des premiers ministres qui ne savent même pas s’ils commandent ou non des polices parallèles ?

[7] préfixe femto: un millionième de milliardième, ou 10-15. Du suédois femton: quinze. On rencontrera plus loin le préfixe atto: un milliardième de milliardième, ou 10-18. Du suédois atton: dix-huit. Fem: cinq. Otta: huit.

[8] page 15: André Rougé.  Introduction à la physique subatomique. Ellipses, Paris 1997. Mais ils font tous pareil.

[9] Lors de sa thèse « Recherches sur la théorie des quanta », soutenue en 1924, Louis Victor de Broglie postula que la relation d’Einstein, reliant l’énergie à la fréquence, pour un photon, fut valide pour toute autre particule, même de masse non nulle : W = hn : l’énergie totale W (énergie de masse, plus énergie potentielle, plus énergie cinétique) est égale au produit de la fréquence (n) par le quantum d’action de Planck (h). Louis de Broglie postulait donc que toute particule fut de nature ondulatoire. Ce fut, mais après sa soutenance, le début d’un succès expérimental sans précédent, et ininterrompu depuis, en commençant par l’expérience de Davisson et Germer en 1927, qui prouvait que les électrons interféraient bien sur les réseaux métalliques cristallins, comme les rayons X, et qu’ils sont donc bien des ondes, au moins durant tout leur temps de vol entre deux réactions.

Ce qui a tout compliqué à tout le monde, y compris de Broglie lui-même, c’est qu’on a voulu faire nègre-blanc: à la fois ondulatoire ET pas-ondulatoire. Bonjour les dégâts! Les dégâts sont toujours en place de nos jours, jamais corrigés.