5.     De la solitude et de la déréliction.  Et de leur dépassement ?
    5.1.      J’ai froid et je tourne en rond.
    5.2.      Le sentiment de déréliction.
    5.3.      Approche différente, et première solution :
    5.4.      Juste une technique d’esquive des coups.
    5.5.      De l’insécurité par son entourage immédiat.
    5.6.      Exemples de l’insécurité à domicile.
    5.7.      Seconde solution.
    5.8.      Synthèse ? L'exploitation du dépressif.



5.         De la solitude et de la déréliction.  Et de leur dépassement ?

Ce chapitre a été commencé en novembre 1998. Il a circulé dans les premières versions de ces mémoires, et a donc été exploité dans un ou ou deux des faux témoignages de mes aînés contre moi. Cinq ans après, il semble périmé, obsolète. A l’époque, il me semblait que j’étais presque moins marqué par le deuil de mes vingt-sept ans d’élevage d’une famille, vingt-sept ans jetés à la poubelle, que par le deuil des quatre mois d’amitié tumultueuse, avec la pétulante Firefly – mais cette impression était trompeuse. C’était la première fois de ma vie que j’étais mêlé de près à une personnalité narcissique-histrionique ; le feu après la longue glaciation ! Je sous-estimais les dommages à long terme implantés ou renforçés par tant d'années vécues comme souffre-douleur du gang formé par mon épouse et son aînée.

Je n’avais plus ma chambre d’étudiant en face du campus depuis le 5 août 1998, mais depuis le 27 août un T2 au haut d’une trop lointaine cité dortoir, et mon isolement était devenu très dur à supporter, surtout ces samedis et dimanches où j'avais tout bloqué ou décommandé, pour recevoir ma fille, et que ma fille faisait faux-bond, ou ceux où j'étais malade, enrhumé et contagieux.

Je m’en suis « sorti » surtout par le travail d’écriture, et accessoirement par quelques amitiés épistolaires sur Internet, et ce fut une longue et douloureuse histoire. Toutefois, cinq ans après (en 2003, date de la mise en ligne de ce chapitre), il est facile de constater que je reste loin du compte, le travail d'écriture ne pourvoit pas à tout. Au moins, il faut compléter cette rédaction.

 

5.1.   J’ai froid et je tourne en rond.

J’ai froid et je tourne en rond dans mon T2 de divorcé, en haut de ma cité dortoir, trop loin de tout, pour un piéton. Avec quatre côtés sur six donnant sur l’extérieur, mon logement est froid. Il y fait seize degrés.

De toutes façons, à Château La Haine, c’était bien pis. Nous n’avions pris qu’un abonnement de 60 ampères, ce qui était franchement avare pour une si grande maison, entièrement à chauffage électrique. Il suffisait d’assez peu de chose pour que ça disjoncte, et j’ai dû vite acheter un onduleur pour sauver mon travail sur ordinateur. A treize degrés, je grelottais assis à mon bureau. Et Gazonbleu me mesquinait l’usage du radiateur de trois cents watts devant mes pieds sous le bureau, au cri de « Couvre-toi ! ». C’est vrai, je n’avais que deux pantalons superposés, que trois chandails... Je pouvais encore rajouter la doudoune en duvet d’oie... Gazonbleu passait derrière moi pour couper, ou au moins réduire à fond, le radiateur à accumulation du bureau d’en bas... Bureau commun ? Une belle promesse, non tenue évidemment. Bureau commun, ce n’était vrai qu’au temps où nous étions jeunes mariés.

Je tourne en rond, sans plus savoir commencer aucun de mes chantiers en retard. Je ne parviens plus à croire qu’il m’absorbera assez pour que je ne ressente plus ma solitude et ma déréliction. Même divorcé et seul, je ne sais toujours pas (ou plus ?) nidifier. Mon « territoire », même à moi seul désormais, n’est toujours pas vraiment mon territoire, et l’impératif d’y imprimer ma marque, continue de ne pas m’intéresser : lui aussi, commence d’être associé dans mon cerveau à une solitude insoutenable. Tant fut profond le traumatisme laissé par toutes ces années de haine uxorale, et par la solitude sans limites que Gazonbleu m’imposait. Un « territoire » où je continue d’y souffrir de la solitude, ce n’est toujours pas « le mien », puisque je continue d’y subir ce que j’ai assimilé comme « la loi de Gazonbleu ». La suite des événements me rappellera combien, dans cet état-là, je suis un intendant plus que médiocre.

La cicatrice laissée par Firefly est refermée, mais restait brûlante lors de la première rédaction de ce chapitre. Durant trois ou quatre mois, Firefly a constitué le plus gros de ma joie de vivre[1], et le trou qu’elle laissa trop tôt, resta béant. J’étais prévenu : Firefly est instable et inconstante. Elle n’avait laissé espérer nulle fidélité. Ça ne m’avait pas empêché d’être amoureux, au trois quarts, selon mon évaluation de l’époque. Si séduisante et aguichante, si pétulante, Firefly n’a pas beaucoup plus qu’un grelot dans la tête, ne jugeant guère autrui qu’à la capacité d’amusement qu’il lui apporte. Elle s’est trouvée un autre homme, l’avait en pratique déjà reperdu sans se l’avouer. Toutefois, elle tenait à ne pas me perdre, mais seulement en tant que coussin de sécurité, que « copain », que père lettré qu’elle n’avait jamais eu, en tant que gamin lettré et cultivé, à gronder, dénigrer, bafouer et émasculer... Elle a tourné à l’odieux. Et je connais déjà bien sa façon d’être odieuse envers ses anciens compagnons et amants, tout le dénigrement qu’elle peut leur trouver, pour valoriser son propre narcisse.

Puis j’ai vu clair dans la détresse de ma nouvelle déréliction, si semblable dans sa structure à celle que j’ai enduré l’été 1997 à Château La Haine. J’ai alors eu les ressources en colère pour me ressaisir de mon sentiment amoureux, et rompre net. Après tout, ce n’était que la deuxième fois, erreur, troisième fois, de ma vie, que je disais non à une femme[2]... Je ne regrette rien, ni d’avoir connu Firefly, ni d’avoir rompu. Si, je déplore ce que sera désormais l’évolution de Firefly, et je sais qu’il ne faut s’attendre qu’à de mauvaises nouvelles. De temps à autre, elle me relance au téléphone, pour me jeter remontrances et mépris. Elle joue les rôles supérieurs, et sa voix est fausse, toute en apprêts. Elle n’a donc plus personne en stock pour être la cible de ses remontrances et de ses conflits ahurissants à propos de queues de cerises. Cet appel à l’aide codé n’est plus de mon ressort : j’ai épuisé mes compétences dans les urgences auxquelles j’ai dû faire face. Il lui faut un psychothérapeute professionnel. La supériorité du bon psychothérapeute sur le médiocre, ou sur le non-professionnel, c’est qu’il ne se contente pas d’écouter et d’encourager : il sait quand et comment casser le jeu. J’avais accepté le risque d’aider, sans savoir si et quand je saurais casser le jeu, briser le piège. C’est cela l’urgence, l’amitié, la solidarité. Pendant ce temps, Firefly me prenait pour détective, puis pour cambrioleur, passant d’un extrême à l’autre, d’un jour à l’autre. Non, que le lecteur n’en déduise pas du mal sur Firefly : elle m’a largement rendu mes efforts, et m’a généreusement rendu de grands services, avant de retourner à ses démons familiers. Pourquoi lui ai-je donné ce pseudonyme ? Se reporter aux sous-titrages français de Duck Soup. Je reste un marxiste tendance Harpo (ne pas confondre avec la tendance Groucho).

On peut aussi se demander si je n’étais pas reparti à la conquête de Firefly, pour me prouver que j’y arriverai ? Pendant plusieurs mois, le souvenir de la première entrevue avec Firefly, a pollué toutes les autres rencontres : « Tu te rends compte le laideron que tu as devant toi ! Alors que si tu y mettais le paquet, tu parviendrais bien à séduire Firefly ! Pourquoi rester un éternel perdant dans ta vie ? Sauras-tu au moins un jour mettre le paquet ? Ou continueras-tu d’attendre passivement qu’une femme te choisisse ? Ça ne t’a pas encore instruit, ce que ça donne, de se laisser passivement choisir par Gazonbleu ? C’est qui ? le responsable de ta vie ? Mmh ? ». Oui, en un sens, j’ai réussi mon challenge, et ai souvent été émerveillé de la découverte que j’avais devant moi, mais n’ai réussi ni à garder ma tumultueuse amie dans mes bras, ni à lui remettre la tête durablement d’aplomb.

Les qualités de ses défauts : « Tu te rappelles Tien An Men ? Cet étudiant qui arrête un char à lui tout seul ! Eh bien ! Ta bonne femme, tu vas lui faire pareil ! Tu vas la faire arrêter et reculer, rien qu’en te posant là, et en refusant de céder d’un pouce ! Hein ? Toi l’étudiant ! » L’image était efficace (si l’on doute désormais de l’identité réelle de la silhouette admirée sur nos écrans, vraisemblablement policier secret). Quand elle trouvait de bons sujets d’expression, la combativité de Firefly faisait alors merveille, toujours au premier rang.

Mais, de mon côté, voilà que les semaines passent, et ma solitude dure, dure...

Déréliction semblable en structure, ce qui m’a alerté, mais non comparable en durée ni en intensité, bien sûr. Structure : je suis au désespoir de savoir que j’attends en vain de l’attention de quelqu’un qui ne m’en accordera pas dans un avenir prévisible. Mêmes yeux bloqués par le besoin de pleurer. Même visage figé.

Durée : je n’ai pas laissé le temps que ma voix se réétranglât, comme sous la dictature de Gazonbleu.

Intensité : certainement pas comparable. A Canas, pendant que Gazonbleu, Frédégonde et mon petit-fils partaient en promenade avec FrncsGdrd, collègue de Gazonbleu au lycée de Sottenville, je restais toujours seul. C’était parfaitement volontaire et concerté : on n’adresse pas la parole à ce type-là, on l’isole le plus possible, on le calomnie minutieusement auprès des rares voisins, on le prive de tout contact avec ses enfants et avec son petit-fils, jusqu’à ce qu’il craque, qu’il fasse un coup de folie et qu’on puisse le faire enfermer, ou déguerpir vers une maison de repos, ou de préférence qu’il se suicide, ou à défaut, qu’il accepte de développer un cancer incurable, comme son père. Je sortais avec le fourgon, marchais deux ou trois heures. Puis devais rentrer. Et je devais m’arrêter d’urgence sur le côté de la route. Mes yeux se remplissaient de larmes naissantes et bloquées, et se fermaient, à l’idée de rentrer à Château La Haine. Plus possible de continuer à conduire ainsi.

Un soir, 27 août 1997, rentrant ainsi d’arrêt-larmes en arrêt-larmes, j’arrêtai le fourgon au beau milieu du portail. Plus possible pour les voitures d’entrer ni de sortir. Les co-châtelaines accepteront-elles un jour de m’adresser la parole ? FrncsGdrd sortira-t-il du rôle d’otage consentant qu’elles lui font jouer ? Rien le soir même. A peine un regard glacé. Ce n’est que le lendemain que FrncsGdrd s’impatientera de ne pouvoir sortir sa voiture, alors qu’il doit rentrer à Sottenville, d’urgence. Ah tiens ? Maintenant, on accepte de m’adresser la parole ? Mais toujours pas comme à une personne, seulement comme à un valet mécanique qui n’obéit pas. Et il y faut un fourgon au milieu du portail, pour cela ? Que serait-ce si je n’avais aucun fourgon, et si je n’en gardais sur moi les deux jeux de clés ?

J’ai froid et je tourne en rond. Même le chat Diavol me manque, qui savait si bien se jeter sur mes jambes, pour jouer à chat de deux pichenettes, et qui vient hanter mes rêves. Je viens de gaspiller 24 heures dans des conduites d’échec que je croyais avoir définitivement bannies. Pourtant, sur le plan rationnel, ma déprime du jour d’alors, semblait n’avoir pas de raison apparente d’être et de se maintenir.

Je sais que je ne m’en tirerai que par le travail d’écriture. Cette sauvegarde par le travail d’écriture, cette ruse envers la solitude, ne fonctionnera que le bref temps où l’écriture ne sera pas encore, elle aussi, associée dans ma mémoire, à la solitude insoutenable. Pour l’instant, la rédaction des mémoires continue de bénéficier dans mon esprit, de toute l’aura de la résistance aux mensonges de la dictature, par le samizdat. Mais après encore quelques mois de solitude trop longue ? [3]

 

5.2.   Le sentiment de déréliction.

En fait, je ne comprends encore rien à la genèse de ce sentiment si fort dans ma vie. Je sais seulement que c’est largement lui qui m’a fait suicider à seize ans, septembre 1960. J’en garde l’innervation des mains bousillée, et l’écriture manuscrite décomposée, inutilisable en pratique.

Suis-je capable de préciser à l’année près quand Gazonbleu a commencé de jouer de ce sentiment et de ce désespoir, et à en faire un plan d’assassinat-sans-le-risque-de-passer-en-Cour-d’assises ?

Depuis très exactement le mariage, Gazonbleu attend que j’aie la bouche pleine de terre, puisque je me permets de me servir de ma bouche pour parler, et que cela la rend envieuse, et furieuse que je ne respecte pas sa Loi-du-silence. Mais pendant plusieurs années, elle ne passait pas encore à l’acte. Elle se contentait d’attendre ma fin, gagnant du temps. En 1988, Gazonbleu agissait encore par automatisme et par égoïsme, avec une efficacité effroyable. En 1989, en revanche, elle était parfaitement prévenue de l’effet que me produisait la solitude totale qu’elle m’imposait. En 1991, la fureur et la déception totale furent visibles sur son visage, audibles dans sa voix, évidentes à ses conduites de rage et de calomnies, de constater à son retour de vacances que je n’avais apparemment pas souffert de la solitude imposée encore une fois, que j’étais en excellente forme physique : je courais deux fois par jour, mon moral était solide, ma production professionnelle était patente, bien que tous mes clients aient été en arrêt de vacances. Dans la semaine suivante, Gazonbleu se vengea de ma survie, en m’accusant d’avoir le SIDA, devant les trois enfants réunis.

 Durant notre première année de mariage, alors que nous résidions dans la vallée de Chevreuse, nous sommes allés voir à Paris « Family life », de Kenneth Loach, film très illustratif d’une des thèses de Harold Searles : The effort to drive the other person crazy. Gazonbleu en sortit bouleversée : oui, c’était largement ainsi que ses parents, sa mère surtout, l’avaient traitée :  la dénier et la disqualifier, la forcer à se considérer comme non existante, et comme dépourvue de sentiments. Durant la période saine de sa vie, Gazonbleu resta en fureur contre la façon dont sa mère l’avait traitée. Le monde était alors simple : Gazonbleu était bonne, et sa mère Odette mauvaise. Et puis, selon un processus qui reste assez mystérieux pour moi, de fin 1982, jusqu’à 1986, Gazonbleu a dû entrer en contact, et en conflit, avec le besoin absolu que tout bébé, elle a dû avoir de sa mère, et ne pouvant supporter cette expérience, a supprimé de sa perception tout souvenir précis de sa mère, autant le bien que le mal. C’est ainsi que j’explique comment Gazonbleu s’est mise à pratiquer contre moi, les techniques éprouvées to drive the other person crazy : me nier au maximum, m’isoler au maximum, me faire souffrir de déprivation sensorielle, et de déprivation affective. De même qu’elle me rendait désormais le seul coupable des duretés de la vie, et m’attribuait les sentiments et les intentions horribles, qu’elle avait perçues autrefois chez sa mère, et qu’elle repratiquait en réalité contre moi. Je suis devenu le bouc émissaire, chargé des crimes de la mère.

Je viens d’évoquer l’exploitation de mon désespoir, de ce sentiment de déréliction permanente et irrémédiable. Mais je ne progresse pas d’un pas sur sa genèse.[4]

Pendant des années, j’ai eu la réputation d’un solitaire par vocation. A quoi tiennent les réputations ! En fait, je fuyais l’invasion du jacassin de ma mère. Le hasard des lectures d’adolescence et des identifications m’avait mené à projeter des circumnavigations en solitaire. Dans le chapitre D (Opéré de Gette), j’ai énoncé clairement que cette carapace d’adolescence ne jouait plus grand rôle dans les années 68-69, au temps de mes grandes randonnées dans les montagnes de Norvège. Je me contentais de réaliser mes projets quand même. Nulle exclusion d’une compagnie. C’est bien l’amour et la compagnie de Gazonbleu qui fit voler en éclat les derniers restes de la carapace d’adolescent condamné (par son refus des violences ambiantes et dominantes) à la marginalité et à l’exclusion. Ma réalité d’amant tendre, et de père attentif et tendre, fut désormais l’évidence. Je dus taire ma fragilité quand Gazonbleu me frustrait et me désespérait, par sa Loi-du-silence.

Si je m’en tiens à un cadre explicatif à la Janov, alors je bute sur un passé inaccessible, visiblement un passé de bébé mal écouté, mal regardé, mal caressé par une mère névrosée et prisonnière de son agitation. Visible, mais pas accessible de l’intérieur. En tout cas, pas encore. Pas de connexion de l’intérieur non plus, sur la déréliction de 1949, en méchante pension d’enfants. Problème non résolu sous cette approche, qui est en échec. La solution viendra de Harold Searles, longtemps après.

 

5.3.   Approche différente, et première solution :

La solution provisoire, a été de me remémorer nos actions pour éviter les jalousies entre nos enfants, puis de comparer la longue et violente jalousie de Sigbert envers Audowere, avec celle que j’aurais pu éprouver au même âge contre ma petite sœur. La clé est alors évidente : selon les observateurs extérieurs, l’absence de jalousie et d’agressivité de ma part était évidente. J’ai entendu pas mal de compliments sur ma gentillesse fraternelle.

Mais je n’en payais pas moins le prix par ailleurs. Georges Lavau a commenté de façon sarcastique ma façon de marcher vers la maison en rentrant de l’école. Ce petit garçon grignotait machinalement des grains de blé, et de gros sel, qu’il avait stockés dans sa poche, et se marmonnait des histoires. Des histoires de recours à la déréliction du petit garçon délaissé. Mes recours imaginaires étaient empruntés à Grey Owl, à J. O. Curwood, ou M. O’Hara : ce furent les Sajo et ses castors, Bari chien-loup, Mon amie Flicka, et quelques autres. Des histoires d’amitiés animales solides, en compensation de la sécheresse et du cynisme humains.

Un peu plus tôt, quand arriva le choc des soins que l’on prodiguait à ce bébé tout neuf, que j’aimais bien, je n’exprimai mon délaissement que par le grignotage, par les achats de réglisse au bureau de tabac, à la sortie du petit-Lycée. L’argent venait de la monnaie des commissions, et quand cela ne suffit plus, de petits larcins dans le porte-monnaie. Depuis cet âge de huit ans, le réglisse m’a laissé des dégâts notables dans le système digestif. Au long de la vie, le sentiment de déréliction provoque les mêmes symptômes, les mêmes conduites de compensation, et les variations sont minimes. Autrement dit : c’est la panique d’un bébé affamé et délaissé, qui est réactivée. Au temps où il faisait très faim.

Il n’y eût pas de jalousie, ou si peu (une ou deux explosions verbales, quand mon père exagérait ses marques de préférences), parce que l’ingrédient de base n’existait pas : je ne perdais rien à l’arrivée de ce bébé. Je n’avais rien à perdre, pas d’amour parental à perdre : il avait toujours manqué. Les relations avec mon père étaient trop marquées par sa violence jalouse, avec ma mère par son inattention. Ma sœur aussi souffrit de cette trop fréquente inattention. Mais c’est à elle d’en faire la relation.

Voilà les vraies grosses racines prouvées, de ma fragilité ultérieure à la solitude.

Il est à peu près convenable de parler de la jalousie entre frères et sœurs. Mais la jalousie de certains parents envers leurs enfants reste taboue, sauf chez les humoristes - écoutez donc le sketch de Sylvie Joly, « Catherine ». Très très longtemps, mon père a laissé la bride sur le cou à sa jalousie envers mon tout jeune développement. Son père n’avait jamais su être un père. Alors pourquoi lui commencerait-il ? Georges Lavau a réglé ses comptes avec son père, à mes dépens. Comme je servis parfois à mémé à régler ses comptes avec son ex. Georges Lavau n’a commencé à être père que pour son deuxième enfant, puis longtemps après, il l’est resté pour les deux autres. Entre temps, il aura été un destructeur minutieux, pour son aîné. Puis s’excusera par écrit en 1968 (ou 1969, un peu plus tard ?), après avoir quitté Anne, ce qui n’est pas ordinaire, comme lucidité et comme courage, puis recommencera, en plus faible, en plus subtil.

Chacun de mes parents avait au moins un modèle parental déficient. Anne avait un père déficient, inventeur fécond, vif et gai, mais mari rejeté, et d’un développement affectif déficient. Georges Lavau avait un père très déficient, et une mère tendre et aimante, mais vite délaissée, et bientôt addicte à l’opium, et dont la mort est mystérieuse. Chacun d’eux fut largement, à mon égard, un parent déficient. Mais parleur !

 

5.4.   Juste une technique d’esquive des coups.

Exceptions à l’affirmation qui va suivre : il y a très peu d’exceptions, dont les plus spectaculaires furent ces heureuses randonnées des années 68-70, justement celles que j’ai été capable de raconter, alors qu’à cette date, je reste encore silencieux sur les autres aspects de ma vie, tellement plus frustrants. Et ces exceptions si partielles et typiques, sont antérieures à ma capture par Gazonbleu.

Depuis l’été 1960, la suite des événements a toujours montré qu’il me reste impossible de vivre égoïstement pour moi. Pour pouvoir faire croire le contraire aux observateurs superficiels, il suffisait de cogner : je me repliais. De fait, tout au long du mariage, j’ai vécu pour ma femme, pour mes enfants, mais jamais pour moi, et je ne sais toujours pas vraiment comment on pourrait vivre pour soi. J’ai juste su à court terme éviter des coups, en me repliant sur le travail, pendant de longues années. J’ai juste su à la rentrée 1997 échapper à la poursuite de l’escalade des sévices, en prenant plus de distance, en allant reprendre des études, ici à (NotreVille). Mais vivre, non, je ne sais toujours pas. Je ne sais toujours que vivre pour des enfants que j’ai perdus, pour une femme que j’ai perdue, pour des clients, que j’ai dû abandonner en 1993 pour changer de métier encore une fois. Peut-être pour des lecteurs dont je n’ai jamais vu le nez ?

Je suis un musicien de quatuor que l’on oblige à jouer seul, ou si possible à ne pas jouer du tout. S’il ne parvient pas du tout à s’habituer à la solitude, cela servira toujours à prouver, qu’on avait bien raison de le haïr, et de lui couper ses racines le plus possible. L’épouse d’un scientifique que le Nobel projeta sous les feux de la rampe, classait les collègues de son mari en « joueurs de golf », et « joueurs de tennis ». Traduction : les premiers savent pousser seuls leur balle sur de longues distances, sans avoir grand besoin du monde extérieur; les seconds ont besoin de constamment échanger des idées et des gestes avec autrui pour progresser. La plupart des superficiels me prennent pour le joueur de golf, alors que je suis le contraire.

 

5.5.   De l’insécurité par son entourage immédiat.

Cela nous livre les vraies clés de mes réactions envers mes proches, et ceux qui auraient quelque vocation à être mon intimité : dans quelle insécurité vont-ils me faire vivre ? Quand et comment vont-ils m’agresser dans mon identité et dans mes sentiments ?

J’ai laissé Gazonbleu devenir mon intimité, alors que j’avais bien vu les problèmes psychologiques énormes qu’elle trimballait avec elle, exclusivement dans la mesure où elle a temporairement garanti de la sécurité envers mes propres sentiments. Puis qu’elle a provisoirement fait semblant de mettre sa jalousie en sourdine.

On constate qu’après être parti de Château La Haine, j’ai tout évalué à l’aune de la dimension : sécurité affective / insécurité affective. A titre conscient, j’avais formulé plusieurs critères, tels que « ne plus jamais reprendre en charge un cas psychiatrique ». Et pourtant, dans l’urgence, c’est bien ce que j’ai fait quelque temps avec Firefly, avant d’y renoncer définitivement trois mois plus tard. Qu’est-ce donc qui avait changé dans mon esprit ? Ou en quoi cet énoncé est-il incorrect ? En ce sens que je sais prendre en charge le devoir d’aide et de compassion, mais dans la limite où, contrairement à un professionnel, je ne savais alors ni ne pouvais assumer les voltes-faces agressives.

Pas encore d’agressions dangereuses contre moi début juillet, de la part de Firefly, au sens de « contre mon identité et mes sentiments ». Après tout, je n’étais pas encore amoureux de cette pétulante narcisse, mais surtout amical et fraternel. Le ridicule des idéations de Firefly m’amusait. Je trouvais tout cela tantôt cocasse, tantôt tragique. Ce n’est qu’après rétablissement de son état mental, que notre attachement devint profond et beau (à son instabilité volage près, dont je fis l’expérience ultérieurement).

A la recherche de tout ce qui pouvait bien me dénigrer et me ridiculiser, Gazonbleu prétendait depuis de longues années, que j’étais « demandeur d’une femme qui me materne ». Il lui aurait suffi d’ouvrir les yeux, pour voir que j’entretenais de riches relations heureuses avec nos jeunes enfants, que pouponner m’enchante, et que Gazonbleu ne m’enchantait vraiment pas, avec sa façon de faire la grondeuse et l’autoritariste péremptoire envers moi. En clair : je m’entendais bien avec qui ne me menaçait pas, et fort mal avec ceux (surtout celle) qui me menaçaient, ou m’agressaient. J’ai continué à avoir besoin qu’on ait besoin de moi, que l’on me reconnaisse utile et bienfaisant.

Cela règle aussi la question de la course à la position supérieure. Cette course-là m’indispose et m’agresse. A plusieurs reprises, je me suis laissé prendre au piège, quand la position supérieure m’était offerte - c’est toujours temporaire, et contre autre chose, ou contre une offensive ultérieure. Mais les vraies relations riches et durables ne sont que dans la renonciation définitive à cette course à la domination d’autrui. Il y a tellement mieux à faire de sa vie !

Je ne sais plus très bien à quel âge (six ou sept ans ?), Frédégonde fut prise d’inquiétudes métaphysiques, peut-être sous l’influence de copines affiliées à une croyance (catholicisme sans doute, sans doute Géraldine) :
« Pourquoi on est là, sur Terre ? Dans quel but ? », tout en dévorant de bon appétit le repas que je lui avais préparé.
- Et à quoi ça te sert, à toi, que je sois là ?
- (soulagée, et illuminée d’une grande joie) Ah bon ? On est là pour prendre soin des enfants, qui à leur tour prendront soin des leurs ! C’est tout !
- Eh oui ! Il n’y a pas d’autre secret. »

La réplique suivante est célèbre : un chercheur (Branly ? Faraday ?) que l’on interrogeait agressivement sur l’utilité de ses travaux de recherche, dont on n’allait pas tarder à découvrir les riches applications, répondit : « A quoi sert un enfant ? ». Quand Audowere eut trois ans (ou quatre ?), je lui répercutai cette question (de Branly ?) « A quoi ça sert, les petits enfants ? ». Pas l’ombre d’une hésitation, Audowere répondit sur le ton de l’évidence : « A leur faire des bisous. »

« A quoi ça sert, les petits enfants ? » ? En 1980 et 1981, j’ai consacré beaucoup de longues soirées à préparer la première version d’un livre de méthodologie. Il sera prochainement réécrit de fond en comble : en plus d’être inachevé, il avait quelques défauts de fond dirimants, quoique bien assez de qualités pour mériter sa relecture par l’auteur, et le travail de réécriture. Pendant ce temps-là, il arrivait que Sigbert, âgé de moins de trois ans, descendit de sa chambre pour faire pipi. Puis au lieu de remonter directement dans sa chambre, il parcourait tout le couloir vers mon bureau côté rue, escaladait mes cuisses, et s’endormait là, malgré le fort ronronnement et les frappes de ma machine à écrire.

Par exemple, dans ce premier jet de livre, j’y détaillais les principaux procédés utilisés par les gens pour adultérer l’information qui leur parvient, afin de la rendre conforme à leurs préjugés, à leurs censures et à leurs phobies. Une de mes cibles fut un savant jésuite, d’ailleurs ami de mon père, qui avait publié au Seuil un gros volume sur la pensée de Karl Marx. Après une longue et honnête analyse, il fallait bien qu’il satisfît aussi sa hiérarchie d’église, et entreprit de démontrer combien nous autres chrétiens, avons une pensée autrement plus profonde que Marx, et au moins aussi nourrie de philosophie allemande. Je ne reproduirai pas ici son paragraphe, incroyablement abstrait et obscur : rien n’y est défini, rien n’est ancré dans aucune réalité, aucun mot n’a de sens autre que sous-entendu - si tant ait qu’il ait un sens, ou se contentant d’avoir un usage. Je concluais par une question au lecteur : « Vous avez compris ? Moi non plus ! L’important n’est pas que ce soit compréhensible, ni même que cela ait un sens, mais que ce soit intimidant. Il est certain que ce jésuite n’avait ni enfant escaladant ses genoux, ni flux menstruel, pour le remettre à l’heure de ses réalités biologiques. » Tandis qu’avec ce petit garçon tout chaud dormant sur mes genoux, je n’avais rien à craindre de m’enfermer à mon tour dans quelque délire d’abstraction - qu’il soit idiosyncrasique, ou collectif et imposé de l’extérieur. Je n’avais non plus, alors, rien à craindre de la terrible déréliction qui fut mon sort quand les enfants furent assez grands pour que Gazonbleu les accaparât pour elle seule, et les éloigna de moi aussi souvent qu’elle put.

Le cas de Gazonbleu dirigeant sa stratégie pour accaparer les enfants, et tous les rôles parentaux, pour elle seule, n’est pas si isolé. Dans le chapitre d’épilogue Z, j’ai déjà cité textuellement deux femmes qui reconnaissaient spontanément avoir pratiqué cet accaparement, et le mal qu’elles ont fait à leur mari et à leur ménage de la sorte. Un repentir que Gazonbleu ne manifestera jamais, elle. Puisqu’elle en a fait bien plus grave, il lui faut donc une construction mentale qui lui donne raison.

 

5.6.   Exemples de l’insécurité à domicile.

Epuisé après une semaine de jours et nuits à réviser la comptabilité annuelle pour remplir la déclaration fiscale (mars 1991? Ou un ou deux ans plus tôt ?), j’ai eu l’imprudence de confier à Gazonbleu, en la croisant dans le couloir :
“Ça y est, j’ai terminé la compta”.
C’est pas une fin en soi !” aboie-t-elle du haut de son mépris.

Inquiets des nouvelles qui leur parviennent de notre famille, le couple Até intervient, en nous invitant chez eux en Bretagne, à Pâques 90. Il leur faut insister énormément pour faire entrer - très temporairement - dans cette famille l’idée, que les vacances, ça se prend à tous, et qu’ils invitent Jacques et sa famille, et non la famille sans Jacques. Ils récidivent pour l’été suivant. Gazonbleu commence par leur répondre : « J’en ai parlé à Jacques et il a eu l’air de penser que ... ». Incapable d’avouer qu’elle n’avait jamais eu la patience ni de m’informer complètement et correctement, ni d’attendre ma réponse plus de quinze secondes.

C’est bien le seul trait parisianiste qu’a Gazonbleu, cette façon ahurissante de lire d’autorité la pensée d’autrui, de l’interpréter en circuit fermé, en autarcie complète, en se gardant soigneusement de demander à la personne ce qu’elle pense au juste, pour ne jamais vérifier si la personne réelle est conforme à l’étiquette qu’on lui a collée sur le front, par paresse mentale, et par besoin de briller à tout prix aux dépens d’autrui. En fait, ce trait est commun à tous les cercles féminins de papotage, médisance et calomnie. C'est une constante de la bourgeoisie. J’en détaillerai plus dans un chapitre prochain : « Un de nous deux est fou. Lequel ? »

Lecture dans la pensée d’autrui ? Quand cette lecture est faite depuis les idéations paranoïdes (et parfois franchement paranoïaques) de Gazonbleu, le résultat est généralement ahurissant.

Le cadre plus général de ma critique contre le parisianisme ? il hérite de l’esprit de cour, où il fallait briller très vite et très méchamment aux dépens de son prochain, avant que quelque autre mufle, lui aussi d’excellente éducation, vous coupât la parole. Pour faire très vite semblant de comprendre, il est très pratique de coller des étiquettes sur les gens : C’est un ceci, c’est une cela ! Cela fait l’économie d’une pensée, et de pas mal de questions à poser, de pas mal de réponses à écouter soigneusement. Et penser vraiment, s’informer vraiment, c’est fatigant, et ça ne rapporte pas assez ! Et puis, le parisianisme adore enfermer autrui dans le commentaire que l’on fait de lui. Ils vont jusqu’à appeler cela une « définition » d’un tel ou de tel autre ! On l’aura compris, cette combinaison de vacherie et de puérilité, je n’aime pas !

Le lacanisme et ses calembours, a été accueilli avec ravissement par le parisianisme. Il suffisait de sortir un calembour inattendu et obscur, et de le prononcer sur un ton pénétré et mystérieux, pour paraître un penseur profond. Le lacanisme présentait encore une fois l’avantage - du point de vue de la superficialité parisianiste - d’esquiver toute discipline d’épreuve de réalité. Le choc des syllabes, et quelque intime conviction fugace, suffisaient amplement à esquiver toute épreuve de confrontation avec la réalité. Le moteur secret de la secte psychanalytique n’est nullement la recherche patiente de la réalité, mais bien la recherche effrénée de la position supérieure. Aussi toute vanne est bonne à prendre, du moment qu’elle déconcerte l’adversaire, par son absurdité !

Après la mort de Georges Lavau, il a été envisagé de publier un recueil de ses articles. Je les ai donc découverts. Je n’ai pas apprécié plusieurs points, que je ne détaillerai pas ici, par exemple l’imprécision de son style, et le fait que l’éditeur voulût faire une édition non critique, illisible par tout autre que spécialiste de la politique, et très au fait d’événements déjà anciens. J’ai notamment été soufflé par la fanfaronnade de mon père, qui commentant pour l’année 1984, le message politique de l’œuvre romanesque de George Orwell, concluait : « Résistez maintenant », à une époque où, à son domicile, il était déjà largement bafoué et trompé, et où déjà il ne résistait en rien, acceptant même de culpabiliser. A une époque où il devait faire face à un clan compact, formé de sa seconde épouse et de ses dernières filles, qui bientôt le mirent à la porte de chez lui (mai 1987). Je concluais ainsi mon courrier du 5 février 1993 au couple Até, par ces mots :

« C'est vrai, j'étais hypersensible sur les écrits de (Georges Lavau). Je ne lui ai jamais pardonné sa volonté d'aveuglement, et de voler au secours des mensonges les plus éhontés. En juillet 90, il a consacré notre entretien à me soutenir que sa femme l'aimait, et que ma femme m'aimait... Du coup, je supporte très difficilement cet auteur, et mettrai très longtemps à le supporter à nouveau. »

Milieu 1997, j’ai eu la naïveté de citer textuellement cette réflexion à Gazonbleu. Qui, dans sa manie de riposter, et de river son clou au mari abhorré, riposte du tac au tac « C’est pourquoi tu riais à son enterrement ? », tout en s’enfuyant à sa manière habituelle. Georges n’a pas été enterré, mais brûlé. Gazonbleu n’y était pas. Gazonbleu avait limité, pour des raisons familiales légitimes, sa présence au seul office religieux du matin. Nul ne saura jamais sur quoi reposent les convictions surprenantes de Gazonbleu... Nul ne saura jamais pourquoi elle prétend justifier les événement antérieurs supposés, par la lecture des articles huit mois plus tard. Posez-lui toujours la question, et éprouvez à votre tour ses convictions hermétiques. Insistez. Insistez en vain. Les schémas causaux chez Gazonbleu, sont bien étranges. Et ils restent imperméables à toute communication.

 

5.7.  Seconde solution.

Cette mise au clair aura attendu sept mois, de novembre à juin 1999, en salle d’examen... Je sais presque le faire, cet interminable développement de l’équation de Schrödinger, on l’a fait plusieurs fois en Travaux Dirigés, mais... il faudrait qu’on m’aide, au moins au départ. Je suis encore dans mes dix ans environ, à avoir besoin qu’un autre apprenne les leçons avec moi, cherche les astuces mnémoniques avec moi. Ma mère fut pourtant assez bonne à ce rôle-là, bien moins défaillante que mon père. Par chance, ma mère prenait du plaisir à redécouvrir le programme scolaire, en même temps que le découvrais. Hélas, quand vint le temps de le redécouvrir à nouveau pour ma sœur, l’intérêt de notre mère se trouva épuisé, et ma sœur dut se trouver des copines pour faire les devoirs avec elles.

Je ne tourne guère ainsi en rond pour créer, ou pour écrire ces mémoires, mais pour une tâche d’obéissance, non créative, notamment pour les bachotages, ou encore pour les courriers conflictuels. Je hais les conflits.

Une « aide » qui fut très efficace, encore que très inattendue : je n’ai jamais si bien travaillé ensuite qu’au foyer CIMADE, entouré d’africains bruyants, voire futiles, qui twistaient et discutaient politique africaine sans retenue. Ils me dérangeaient, pensez-vous ? Il me suffisait de m’opposer, de faire le « Moi je travaille », pour effectivement travailler efficacement. Autrement dit, je fonctionne en contre-étayage. Quand je crus bon de m’installer dans la solitude de ma chambre de bonne, au-dessus de chez mes parents, l’isolement commença d’installer un désastre : ni étayage ni contre-étayage. J'étais livré à mon absence de tous désirs capables de me tenir en vraie vie : dressage à ne jamais obtenir ce qu'on désire.

Pourquoi nous enseigne-t-on l’isolationnisme comme valeur ? Pensez donc à ce qu’une paranoïde envieuse comme Gazonbleu peut en faire, de la valeur isolationnisme : une arme de destruction implacable. Je le consignais dans mon courrier du 17 novembre 1992 (ci joint en hors-texte) : claquemurer chaque moine dans sa cellule, et crier qu’il en sorte de l’or, et plus vite que ça !



5.8.   Synthèse ? L'exploitation du dépressif.

Exploiter le sens du devoir du dépressif majeur.

Premier temps : la fabrication du dépressif majeur.

N’accorder qu’une attention distraite à cet enfant, le laisser en marge de tout ce qui compte, lui bien faire comprendre qu’il dérange l’intimité et l’entente des grands.
Bien lui faire comprendre que toute plainte est disqualifiée, irrecevable.
Lui faire miroiter qu’en se dévouant beaucoup, en prenant grand soin des petits frères et petites soeurs, il/elle obtiendra un jour sa part d’amour parental. Bien lui faire comprendre que c’est en étant utile aux autres constamment, qu’il peut acheter le droit de survivre, lui il a des devoirs, et rien d’autre.

La disqualification est toute-puissante, et lui il n’est rien, de la petite merde.


Second temps : exploiter son dévouement, son sens du devoir.
Mentionnons d’abord l’exception : il peut arriver que dans sa recherche d’une personne qui lui donne enfin la nourriture affective dont elle a été déprivée depuis toujours, la personne dépressive rencontre réellement ce pourvoyeur affectif, et que ce pourvoyeur tienne la distance. La recherche du conjoint s’inscrit dans cette quête, qui peut parfois réussir.
Dans la vie sentimentale comme dans la vie professionnelle, le dépressif majeur peut être une proie facile pour un prédateur. Le prédateur prend ce qui l’intéresse, puis jette le reste. Témoignage en ce sens d’une femme, secrétaire alors. La seule main secourable qu’elle rencontra alors fut celle d’un proxénète…
Les cas courants sont plus gris.
Le plus souvent, on ne daigne s’en apercevoir que lorsque le ou la dépressif/ve craque, après une longue exploitation particulièrement bien réussie. Le propos ambiant est cynique à souhait, tant que l’exploitation à outrance ne l’a pas fait casser encore : « Oh après tout il/elle est majeur(e) ! C’est de sa responsabilité ! ».
Ou pis encore, pour se dégager la responsabilité de son suicide, on déclare que le suicide est un mystère purement génétique…
Dans une fratrie, le dépressif majeur est idéal pour s’occuper du parent impotent, voire dément sénile. Il/elle est alors délégué(e) à consacrer tout ou partie de sa vie à cette tâche infirmière. Malheur aux faibles, esclaves de leur sens du devoir, et dégagement de la corvée pour les plus malins : eux peuvent jouir librement de la vie.

Livre à consulter : Psychothérapie des états dépressifs. Promenade derrière le masque honorable de la tristesse.
Juan Luis Lunares, Carmen Campo. 2000 Barcelona.
Traduction ESF 2002, Issy les Moulineaux.


 Rater l’exploitation du dépressif ?

C’est toujours l’échec du parasitisme, que d’être si parfait qu’il tue rapidement sa victime. Ainsi en Afrique, le paludisme continue de tuer une proportion effrayante d’enfants – j’ai oublié les chiffres exacts. Une minorité de malchanceux ! Mais la réussite du plasmodium est de laisser son parasité en vie assez longtemps pour que d'autres moustiques s'infectent en le piquant, pour aller en infecter d'autres à leur tour. Pour bien faire, le parasite doit à la fois apprendre à ménager ses victimes pour qu’elles soient juste assez affaiblies pour ne pas pouvoir se débarrasser de lui par des moyens immunitaires, mais ne meurent que lentement, assez lentement pour que le parasite ait le temps de se reproduire et d’aller infecter d’autres parasités en toute quiétude.

Toutefois, chez les humains, on peut avoir envie, ou avoir intérêt à mettre rapidement à mort un parasité. Par exemple parce qu’on a déjà trouvé un autre pigeon à plumer. Ou parce qu’il commence à en savoir trop, et qu’il pourrait informer les autres naïfs… Alors là, il y a intérêt à bien réussir le suicide du parasité, le rendre à la fois imparable et insoupçonnable.

Cela fait toujours mauvais effet que d’exploser de colère quand on apprend que le suicidé a été ranimé par les urgentistes réanimateurs de l’Hôpital, comme le fit la femme de Roger M.rc..nd : « T’es vraiment un Kon ! Mon premier, lui, il s’était pas loupé ! » Non, il faut vraiment savoir continuer de dissimuler, dissimuler toute sa vie. N’avouez jamais !

On sait que la personnalité dressée à être exclue et dénigrée ne vit que par ce qu’elle vous donne, n’existe par que par son utilité et son dévouement : elle ignore tout de la façon de vivre pour soi-même. C’est là qu’il faut frapper. Dénigrer systématiquement ce qu’elle vous donne. Dévaloriser tous les domaines où cette personne est experte et forte. Valoriser exclusivement les domaines où c’est le parasite domine, ou quelqu’un de son clan. Reprocher à un chercheur scientifique de ne pas être l’agent immobilier d’en face, dans son costume endimanché et sémillant, cela fait merveille. L’épouse du physicien Paul Langevin fut très efficace dans ce domaine. Elle l’avait épousé pour devenir riche et dominer la vie sociale locale. Elle le harcela de reproches, et le poursuivit de toute sa haine, car physicien au lieu d’être industriel, il ne devint jamais riche, ne fréquenta jamais les notaires ni les rois de la mine et du négoce, mais d’autres physiciens et mathématiciens – dont Marie Sklodowska, veuve Curie.

Si vous avez repéré un dévoué, qui est tout heureux de vous introduire dans le domaine où il est fort, l’astuce sera de ne plus jamais l’autoriser à fréquenter son domaine de forces. Démontrez que ce domaine là, c’est du Pouah ! « Hors de la réalité ». A la place, reprochez-lui de ne pas être spontanément enthousiaste et primesautier dans le domaine que vous, vous dominez, et où vous adorez le ridiculiser et le renvoyer plus bas que terre. C’est un homme de plein air, qui prend beaucoup de douceur à guider vos pas sur le rocher, malgré votre long passé de frousse ; dans un premier temps, hurlez qu’il n’est même pas pédagogue, puis dénigrez sa façon de faire la vaisselle, et assourdissez-le de cris de rage et de mépris. Les seules vraies valeurs c’est ce qui me réussit à moi, tout le reste n’est que des faux dieux.

Ce qui est souverain pour achever un dépressif, c’est de l’isoler dans la solitude la plus rigoureuse possible. Une stratégie très efficace pour y parvenir est de commencer par jouer le jeu de la grande jalousie amoureuse. Comme le dépressif est dévoué, il va s’adapter à votre frousse de toute espèce de concurrence, va vous fournir des dizaines de preuves de votre exclusivité totale sur lui, jusqu’à ce que vous preniez confiance en vous. Il va en perdre tout son propre réseau de relations amicales, sportives ou professionnelles, voire semi-amoureuses, qui le maintenaient en vie avant que vous preniez possession de lui. Maintenant, il est entièrement dans votre main, seuls vos amis sont invités à la maison, tous les autres ont été mis à la porte. Vous voilà maîtresse du jeu.

Maintenant, il est temps de l’exclure du couple et de la famille. S’il passe du temps avec les enfants, surgir le visage blanc de rage : « Qu’est-ce que vous faites ensemble ? Toi ! As-tu fini ceci , Toi ! As-tu fini cela ? ».
Mettez-le tout en bas de la hiérarchie, donnez à vos enfants tous les privilèges d’autorité sur leur père, ridiculisez-le ensemble, montez des secrets avec eux, donnez-leur la mission de surveiller et dénoncer l’infantilisme de leur père, donnez-leur toute protection pour pratiquer à votre place votre violence conjugale, payez le prix nécessaire en leur donnant toujours raison pour tous leurs méfaits et larcins.

Utilisez vos enfants pour colporter chez tous les voisins les rumeurs habiles qui isolent le dépressif à faire suicider. Faites bien comprendre à tout le voisinage qu’il ne faut en aucun cas rencontrer la bête à abattre, que cet ours jamais léché aime la solitude, que ce sous-homme n’a plus rien d’humain, et qu’il pourrait bien être dangereux à connaître.

Bien sûr, il est essentiel qu’il soit dénié et bafoué au maximum sur le plan sexuel. Jamais avec vous, ni avec personne d’autre, prenez-y un soin jaloux. Tôt ou tard, à force d’être bafoué, le dépressif fragilisé finira bien par péter les plombs, et vous pourrez en tirer parti officiellement contre lui. Il suffit d’augmenter les sévices à fond à fond à fond à fond à fond à fond à fond et normalement il doit casser.

Tiens non ? Il n’a pas encore cassé, et on n’a pas compris pourquoi. Enfin pas tout à fait cassé. Aurions-nous commis une faute tactique ?

Pas grave, il nous reste encore toutes les ressources de l’Injustice aux Affaires Antifamiliales, pour poursuivre le parasitisme à distance avec le plus grand succès, par Injuge interposé.
Malheurs aux mâles ! Malheur aux vaincus !

 

Dimanche 21 juin 2009, cela faisait 3395 jours que je n'avais plus jamais revu ni entendu ma fille cadette : depuis dimanche 5 mars 2000. Neuf ans, trois mois, et seize jours.

 

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[1] C’est caractéristique du dépressif majeur, ici d’un souffre-douleurs, que la vie lui soit une corvée inintéressante. Il a besoin d’emprunter des raisons de vivre, du goût de vivre, et de la joie de vivre à d’autres. Le dépressif majeur est en conséquence très facile à exploiter : il est toujours à la recherche de la nourriture affective dont il a été si déprivé durant son enfance. En particulier, j’ai emprunté à Gazonbleu son ardeur à prendre sa revanche sur son passé, puis surtout à nos enfants leur appétit de vivre. Quand un tel père entièrement dévoué à ses enfants est privé de ses enfants, quelles sont les raisons de vivre qui lui restent ? Le plus souvent, le déprivé rationalise son besoin en un Sens du devoir assez facile à exploiter par les prédateurs. De ma vie entière, je n’ai su faire qu’une seule chose : être utile aux autres.

C’est l’une des deux raisons pour lesquelles les lobbies « féministes », c’est à dire misandres, tiennent à manipuler la Chancellerie pour faire couper tout lien entre les enfants et leur père : d’une part pour que les pères aillent mal, se suicident ou pètent les plombs, d’autre part pour avoir le monopole sur la propagande de tous les instants sur les enfants, en faire des engins de guerre dociles contre leurs pères.

[2] Erreur: troisième fois. En octobre 1997, j’avais décidé de refuser de divorcer, quelles que fussent les pressions et les manigances, à quelque niveau que se situent les sévices, mais de demander la seule séparation de corps, pour me protéger judiciairement de l’assaut de sévices. Ce fut donc alors la première fois que je dis non à une femme, la mienne. Parce qu’en cas de divorce, je suis délivré de l’obligation de venir à cette personne quand elle se met en danger, et je savais ou croyais savoir, que sa dépendance envers la source de calomnies que représentait sa fille aînée, la mettrait toujours davantage en danger. Il n’était pas alors dans mes intentions de l’abandonner à son sort.

[3]  On verra plus loin, par exemple au paragraphe « 25 mars 1999 », que cette inquiétude semblera vaine. Les avaries léguées par Gazonbleu céderont les unes après les autres, au moins quelques temps. La rédaction des mémoires sera relayée plusieurs fois  par des interventions sur des forums internet. De multiples manières, la sensibilité à l’isolement, et même l’isolement, seront progressivement vaincus. Et puis les témoins réagiront aux premières versions de ces mémoires, et ce retour d’information sera précieux à l’écrivain. Mais au plus long terme, le dressage au désespoir primordial, obtenu très tôt dans l'enfance, reprendra un pouvoir très inquiétant, surtout après que le procureur de Valence ait accordé une impunité scandaleuse à l'attestation mensongère d'Alie Boron exploitée par Gazonbleu et son avocate.

[4] Consulter le livre suivant :
Psychothérapie des états dépressifs. Promenade derrière le masque honorable de la tristesse.
Juan Luis Lunares, Carmen Campo. 2000 Barcelona. Traduction ESF 2002, Issy les Moulineaux.